“Yannick aura des contacts avec le terrain, mais on n’a pas le droit de le conseiller, de l’aider, de lui donner des stratégies.”
Leader de la course, le Rochelais d’adoption ne fait cependant pas partie des favoris du tour du monde en solitaire qui s’élancera ce dimanche des Sables-d’Olonne avec 40 bateaux au départ. Il ne s’en offusque pas, compte sur sa force mentale et compte sur sa nouvelle pépite, Maître Coq V, pour déjouer les pronostics qui font la faveur de Charlie Dalin et de son supersonique Macif : le IV a remporté la Vendée 2020/2021. surprise, la V s’annonce encore plus rapide et surtout plus solide. Indispensable lorsque l’océan décide de mettre à mal les carapaces des aventuriers.
Des mesures impressionnantes
Pendant près de 80 jours – seulement 74 pour battre le record d’Armel Le Cléac’h qui date de l’édition 2016/2017 – Maître Coq V sera son refuge, son rempart contre les dangers, son unique compagnon. Sa fusée, il l’espère. Amarré au village du Vendée Globe depuis mi-octobre au port des Sables-d’Olonne, transformé en capitale mondiale de l’aventure maritime, l’Imoca impressionne.
Des mensurations de coq, d’abord : 60 pieds et 18,18 mètres de long comme tous ses concurrents, un mât de 29 mètres et une quille de 4,50 mètres. « Toutes ces mesures sont standardisées, par mesure de sécurité », indique Julien Pulvé, skipper 2 du bateau, celui qui ne prendra le large que et seulement si Yannick Bestaven venait à affaler les voiles et à se retirer.
Neuf tonnes sur la balance, 100% carbone. Des foils de 350 kilos chacun, ces ailes qui feront décoller et voler Maître Coq dès que le vent atteindra 18 nœuds. Sensations vertigineuses garanties, à des vitesses supérieures à 40 km/h. Montant de l’investissement pour cet avion océanique conçu par l’architecte naval Guillaume Verdier : huit millions d’euros.
Le froid, cet ennemi
Et un tel joyau est chouchouté s’il veut rejoindre Desjoyaux dans l’histoire. Avant le départ, chaque jour, un plongeur nettoie minutieusement la coque. Inspectez-le, retirez les algues et les éventuels coquillages. Rien ne doit modifier la vitesse de la voiture. Avant de monter sur le pont, avec des surchaussures quasi chirurgicales aux pieds, Julien Pulvé appelle à la prudence. Tout est en ligne. Les voiles, les cordages, les bottes. Le capitaine Bestaven devra trouver tout ce dont il a besoin lorsqu’il sera seul au monde, sans assistance.
« C’est vraiment une course en solo. Yannick aura des contacts avec le terrain, mais on n’a pas le droit de le conseiller, de l’aider, de lui donner des stratégies. Sur la météo par exemple. C’est très strict, les conversations sont enregistrées et la sanction peut aller jusqu’à la disqualification », explique Julien Pulvé. L’essence de la navigation en solitaire.
Ce sont l’espace de vie et la zone de navigation qui impressionnent le plus les débutants. Pour faire tourner son « moulin à café » à la seule force des bras, un exercice digne de toutes les salles de sport du monde, pour déployer les voiles et les diriger, Yannick Bestaven se trouvera dans un espace clos et totalement étanche. «C’est un vrai plus», décrit Julien Pulvé. « Dans les mers du sud, le froid est intense et âpre. En mer, avec l’humidité et le vent, nous avons froid à partir de 5 degrés. »
78 jours de nourriture
L’espace est spartiate. Casque obligatoire sur la tête. Hauteur sous plafond d’un peu plus de 1,80 m. « Quand les choses se corsent, on passe notre temps à se taper dessus, raconte Julien Pulvé. La chasse au surpoids sur le bateau est celle du confort : pas de rembourrage à l’intérieur de la cabine. Si ça frappe, c’est directement sur le carbone très dur.
Les cordes permettent de tenir en permanence. Surface au sol, quelques mètres carrés. Au-delà des hublots qui offrent une vue vers toutes les directions : le monde. C’est dans cette zone que se trouvent tous les instruments de navigation et de mesure.
Nous descendons quelques marches en nous contorsionnant jusqu’au salon. Un fauteuil amovible. Un écran d’ordinateur. Sur les côtés, deux matelas moulés à la morphologie de Yannick Bestaven. Au centre, une main du fauteuil, un réchaud et une sorte de marmite pour préparer les repas.
Dans ses bagages, Yannick Bestaven a emporté de quoi tenir 78 jours. Des plats stérilisés, plus lourds mais plus nourrissants, quelques plats lyophilisés : 160 kilos de nourriture, dont quelques plats surprises pour les fêtes. « Nous lui avons préparé quelque chose qui sort de l’ordinaire. Mais il ne sait pas quoi», sourit Julien Pulvé.
Toute l’équipe de Maître Coq sait que Yannick Bestaven reste un bon vivant. L’alimentation est stratégique : les jours de grand froid, la machine du marin doit être approvisionnée avec au moins 5 000 calories. Malgré le petit chauffage alimenté par une hydroturbine inventée par le marin lui-même et qui équipe également ses concurrents pour produire de l’électricité.
« Une course extraordinaire »
Dernier vainqueur du Vendée Globe, Yannick Bestaven prendra le départ de cette course en solitaire « extraordinaire » le 10 novembre aux Sables-d’Olonne, avec l’ambition de conserver son titre. Le skipper de 51 ans, qui a bouclé l’édition 2020-21 en 80 jours, 3 heures et 44 minutes, mise sur son expérience et sa connaissance du parcours pour aborder ce nouveau « marathon » des mers.
Après une première victoire, qu’est-ce qui vous pousse à recommencer ?
Yannick Bestaven. Durant le Vendée Globe, on traverse des endroits sauvages, il n’y a pas beaucoup d’humains qui vont y naviguer. Ce sont des lieux assez magiques : les lumières, la faune, les albatros qui suivent le bateau… Cela me motive de revivre ces moments exceptionnels d’il y a quatre ans. Être dans des zones où l’on est loin de toute assistance et de toute population ajoute un peu à l’adrénaline.
Avons-nous plus ou moins de pression avec une victoire en poche ?
Cela ne change pas grand chose. Peut-être que j’ai moins de pression que ceux qui ne l’ont jamais gagné et dont c’est le rêve. D’un autre côté, cela n’enlève rien à mon envie d’arriver à nouveau premier. J’y vais pour faire de mon mieux. C’est un défi personnel que de pouvoir faire le tour de la planète en voilier, seul à bord. Même après une victoire, cela reste un défi. L’histoire sera différente : on est dans l’inconnu quand on part en mer. L’avoir déjà fait est bien sûr un plus dans la préparation, dans la connaissance de cette compétition. J’ai beaucoup revu ce que j’avais fait il y a quatre ans, le parcours notamment. Ce qui est bien c’est que j’ai des phases en tête : la sortie du golfe de Gascogne, la route vers l’équateur, l’entrée des mers du Sud, l’Antarctique. Je connais à peu près la durée, les conditions météo, la manière de naviguer.
Vous avez changé de voilier depuis l’édition 2020-2021. Quelle différence cela peut-il faire ?
La taille des foils fait beaucoup de différence : c’est un bateau qui volera plus tôt, plus vite. Le confort en revanche n’a pas beaucoup changé, car plus on va vite, plus c’est inconfortable. Mais j’ai essayé d’améliorer la sécurité à l’intérieur du bateau : il y a une toute nouvelle ergonomie de vie, pour manœuvrer, s’asseoir, dormir ou tout simplement rester debout.
Envisagez-vous d’autres départs en solo dans le futur ?
Non, j’arrête de courir seul. Avec l’âge, je sais que ce sera de plus en plus difficile d’être au plus haut niveau : c’est dur d’être seul, c’est beaucoup de pression. En revanche, c’est important pour moi de le transmettre, je souhaite accompagner les jeunes pour le prochain Vendée Globe. Nous avons le bateau, l’équipe, les partenaires, nous avons tout ce qu’il faut pour qu’un jeune partage notre expérience. J’ai pu faire une belle carrière dans la course au large. Permettre aux autres de faire la même chose, je trouve ça cool.
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