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Editorial La Presse de la Manche
Publié le
6 novembre 2024 à 18h00
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Forgeron de métier, Michel Guérard débute en 1951 à l’arsenal, après avoir quitté l’école d’Arpètes. Après une interruption – il devient délégué syndical de la CFTC – il a fondé les Bâtiments de Fer en 1966. La construction des Redoutable était déjà bien engagé.
« Ce qui frappe le plus sur ce bateau, ce sont ses dimensions : 128 mètres de long, mais surtout 10,60 m de large… Il y avait aussi un nouvel acier de coque, le 80 HLES, très compliqué à travailler et contraignant à souder.
Les presses et machines à découper récupérées auprès des occupants allemands ne suffisent plus et de nouvelles machines arrivent. Des moyens de levage aussi, qui nécessitaient de bétonner certaines allées…
« Pour les couples, nous n’avions pas d’outils assez gros, se souvient Michel Guérard. UN coupleil s’agit d’une pièce métallique circulaire, composée d’une âme – la partie intérieure – et d’une semelle soudée perpendiculairement, qui participe à la résistance de la coque. Il y en a une centaine Le Redoutable. « Nous découpons des feuilles de tôle chalumeau oxyacétylène. Nous avons travaillé en binôme, l’un pour l’intérieur, l’autre pour l’extérieur, en avançant en même temps. Un peu plus tard, nous avons développé un chariot de découpe… Chaque bateau nous a fait évoluer», acquiesce le forgeron.
Après les couples, il a travaillé les profils, les angles, réalisé des centaines de hiloires (trous d’égout), puis des carlings, des colliers pour les câbles…
J’ai terminé ma carrière sur des modèles d’essai. En effet, nous avons construit le bateau à l’échelle 1/10ème, avant de l’envoyer au centre d’essais, le CETEC, où il a été torturé pour vérifier la qualité de la conception.
Dans l’enfer des bâtiments en fer
« Les conditions de travail étaient épouvantables. Le travail des bagnards », se souvient Michel Guérard en évoquant le bâtiments en fer. Il est là, à l’emplacement actuel du Chantier de Laubeufqui ont été découpés et ont formé les plaques de coque.
Ces « BF » contenaient une grande nef longue de deux cents mètres, et cinq nefs d’une centaine de mètres de longueur. 500 personnes y travaillaient, de toutes spécialités : tailleurs, menuisiers, meuleurs, burineurs… « Les premières choses qu’ils nous ont données à notre arrivée étaient sabots et manches.
Les sabots étaient nos chaussures de sécurité. Il fallait les encercler. Les manches étaient destinés aux outils, et le premier test pour le jeune ouvrier était la façon dont il maniait ses outils.
Le sol était sale. « Il n’était arrosé que deux fois par semaine. C’était bien pour une demi-journée. Après, avec les outils pneumatiques utilisés, la poussière volait”» affirme un ancien permanent de la CFDT, Bernard Lechatreux. « Les grandes portes des immeubles étaient ouvertes pour un oui ou un non », ajoute Michel Guérard, qui voit encore la poussière en suspension. Et les seaux simples pour se laver les mains. Et puis il y a eu le froid. « Quand les forges ont disparu, nous allumions des foyers, avec du bois que nous allions chercher à la cale du Galet. Et ça fumait ! », raconte Michel Guérard.
Nous avons aussi brûlé du coca. Avec la poussière, il y avait des moments où on pouvait à peine voir
Et il y avait le bruitdont le niveau dépassait régulièrement 100 décibels. « Pour nous protéger, on nous a conseillé de nous mettre du câble dans les oreilles », constate Michel Guérard.
Le marron de papa
Dans les années 1960, Émile Poutas était charpentier ferronnerie dans le secteur de Cales. Sur Le Redoutableil a notamment installé des structures.
C’étaient des conditions de travail terribles. Il fallait se faufiler dans le sous-marin, côtoyer préchauffeurs, soudeurs et bien d’autres spécialités…
Le soir, il rentrait noir et sale… Quand on est enfant, c’est quelque chose. J’ai été marqué par ces images témoignant de la condition de travail », se souvient l’un de ses fils, Jean-Marie Poutas.
Dans un coffret, il conservait l’invitation reçue par son père pour le lancement de la Redoutablecela aussi pour la réception. Émile Poutas avait passé la nuit « aveuglante » avant de participer, du fond de la cale, à la mise à l’eau. « C’était un gaulliste, un gaulliste de gauche, mais il parlait du Grand Charles avec beaucoup de respect. Je ne l’ai pas vu, mais il a dû pleurer de fierté ce jour-là. Le fils gardait également « la châtaigne de papa », un petit disque de métal, du diamètre d’une balle de ping-pong, avec un numéro gravé.
C’était son numéro. Lorsqu’il arrivait au travail, il devait le mettre dans la caisse à marrons.
Cette boîte est l’ancêtre de l’horloge. « Dans cette boîte, il y avait un tas de petits compartiments dans lesquels chacun plaçait sa châtaigne. Il fallait pointer en bleu. Cinq minutes de retard, parfois seulement deux selon les chefs d’atelier, et on nous a mis par terre pendant une demi-heure sur la fiche de paie», se souviennent tous les vétérans. Début des travaux à 7h30 Quatre heures de travail le matin, entrecoupées d’une collation « interdit mais toléré ». Cinq heures de l’après-midi. « Quarante heures par semaine, mais nous revenons souvent le samedi. »
Jean LAVALLEY
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