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“Trump fait passer sa vulgarité pour de la franchise et ça marche”

Vulgaire et outrancier, le candidat républicain à la Maison Blanche se distingue par un vocabulaire très pauvre, ce qui ne l’empêche pas de se retrouver une nouvelle fois aux portes du pouvoir. Traductrice et auteure de « Le langage de Trump » (Les Arènes, 2019), Bérengère Viennot nous aide à décrypter le phénomène.

À l’approche de la prochaine élection présidentielle américaine, Donald Trump fait à nouveau la une de l’actualité, avec un discours qui, loin de se modérer, semble être devenu encore plus dur. Vulgaire, simpliste et souvent truffé de fautes, son langage ne l’empêche pas d’être une fois de plus à deux pas du Graal. Bérengère Viennot, traductrice et auteure de Le langage de Trump (Les Arènes, 2019), explores for Marianne les ressorts d’une communication en apparence décousue mais redoutablement efficace.

Marianne : Dans ton livre, Le langage de Trumpvous avez analysé le langage de Trump comme étant vulgaire et plein d’erreurs de syntaxe. Et depuis ?

Bérengère Viennot: Cela ne s’est pas amélioré, et durant les derniers mois de campagne, il a particulièrement lâché prise. Donald Trump a toujours fait preuve d’un grand mépris envers ceux qu’il considère comme des « perdants », qu’il s’agisse des soldats morts au combat ou mutilés, des migrants illégaux qui représentent pour lui le summum de l’échec, mais aussi des femmes, qu’il regarde du haut de son machisme. comme instruments du plaisir des hommes.

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Toute cette vulgarité était déjà très visible lorsqu’il était président. A l’époque, il était encore entouré d’une cour ce qui le ralentissait un peu – juste un peu ! – et l’a guidé sur ce qu’il fallait dire et faire. Aujourd’hui, c’est un électron libre qui doit sauver sa peau. S’il n’est pas élu, il a beaucoup à perdre ; il risque de tomber en ruine et d’aller en prison. Il fait donc ce qui lui a valu d’être élu la première fois : jouer à Trump. Il fait passer sa vulgarité pour de la franchise et son mutisme pour de la spontanéité, ce qui corrobore à ses yeux la thèse selon laquelle il est un honnête homme qui ne parle pas la langue du bois. Ça marche.

Imaginez un Trump qui ne serait ni excessif, ni vulgaire, ni complotiste, qui tenterait de convaincre avec des arguments politiques rationnels. Pensez-vous qu’il aurait une chance de réussir ? Ce serait simplement un vieil homme orange qui essaie de se lancer en politique et qui, visiblement, n’y connaît rien. Malgré son passage à la Maison Blanche et ses ambitions politiques, Donald Trump n’est toujours pas un homme politique aguerri. Il est en revanche resté un très bon communicateur.

Comment expliquez-vous qu’un candidat à l’élection présidentielle, un ancien président de surcroît, puisse avoir un si mauvais niveau de langue ?

C’est en effet toujours une surprise. Quand on écoute d’anciens enregistrements de Trump, datant des années 1980 par exemple, on voit qu’il était capable de prononcer un discours plus rationnel, plus réfléchi et plus posé. Je pense que sa façon de parler fait partie d’une stratégie politique. On a beaucoup parlé de « fascisme » ces derniers jours, depuis que John Kelly, son ancien chef de cabinet, a dit le mot à son sujet. Cependant, il y a toujours eu chez Trump des mécanismes linguistiques qui rappellent ceux du fascisme ; cela était déjà très visible lors de son premier mandat.

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Son vocabulaire est très limité, tant en nombre de mots qu’en qualité de nuance, sa syntaxe très déroutante. Or, si l’on regarde les chercheurs qui ont analysé le langage du nazisme, par exemple, comme Victor Klemperer dès 1933 en Allemagne, ou plus près de nous, Olivier Mannoni, auteur, entre autres, de Traduire Hitleron se rend compte que les mécanismes des dirigeants et des régimes qui aspirent à la dictature sont toujours les mêmes, et qu’ils sont tout à fait saillants chez Donald Trump : un vocabulaire primaire, qui empêche la formulation d’une pensée complexe et donc la capacité d’obtenir des nuances dans le discours ; une syntaxe décousue, qui crée un chaos intellectuel et facilite l’imposition de l’arbitraire.

Olivier Mannoni dit que “Une simplification extrême du discours constitue la voie la plus sûre vers la violence.” Voilà ce qu’est le fascisme : une non-pensée complexe, le caractère arbitraire des règles (on ne sait jamais si on n’en enfreint pas une) et, bien sûr, une loyauté totale envers l’homme au pouvoir. Sur ce point, Donald Trump est clair : pour lui, la loyauté envers lui-même est plus importante que la fidélité à la Constitution de son pays.

Comment expliquer que ses électeurs ne soient pas rebutés ?

Les électeurs de Donald Trump ont été conquis en 2016 par un type qui se vantait d’avoir donné un coup de pied dans la fourmilière duétablissement de Washington. On peut dire que sous cet angle, il a tenu sa promesse. De nombreux Américains ne se sont jamais reconnus en un président noir et intellectuel, pur produit de l’élite intellectuelle du pays, ni en Joe Biden, qui fut son vice-président.

Tout le monde n’étudie pas, tout le monde ne mange pas de steaks de tofu arrosés de smoothies sans gluten à Manhattan ou à San Francisco. Il y a une Amérique moyenne, républicaine, dont les préoccupations sont avant tout économiques et migratoires (qu’elles lient ou non les deux sujets) et Donald Trump continue de leur parler. Sous sa présidence, jusqu’au Covid-19, le bilan économique était plutôt bon, notamment parce qu’il était l’héritage des années Obama, mais il s’en attribue le mérite et promet de récidiver. Et il se targue d’être le président de la paix.

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Nous sommes très surpris que les femmes aient voté pour lui, alors qu’il a contribué à l’abolition du droit à l’avortement dans plusieurs États – mais toutes les femmes ne sont pas pro-avortement ! Et d’autres ont des priorités différentes, comme l’inflation ou l’immigration. Par ailleurs, déléguer la décision sur le droit à l’avortement au niveau des États, c’est alimenter l’antifédéralisme cher aux Républicains. Bref, les raisons de voter Trump ne manquent pas, alors que l’on se concentre davantage sur les intérêts à court terme que sur les grands principes démocratiques. C’est peut-être déplorable… mais c’est humain.

 
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