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Goncourt à Kamel Daoud et Renaudot à Gaël Faye : des tarifs très politiques

La concurrence était vive, mais on voyait mal le Goncourt 2024 échapper à Kamel Daoud, grand favori depuis les premiers jours de la rentrée littéraire avec Houris (Gallimard, 416 p., 23 €). Et c’est avec six voix dès le premier tour que les 122eLe prix Goncourt a été décerné par la dizaine d’académiciens réunis à Drouant à l’écrivain franco-algérien de 54 ans. Il restait alors deux voix pour Hélène Gaudy, une pour Gaël Faye et une pour Sandrine Collette.

” Avec Hourisl’Académie Goncourt couronne un livre où le lyrisme rivalise avec la tragédie et qui donne voix à la souffrance liée à une période sombre en Algérie”a commenté le président du jury, Philippe Claudel. Avant l’arrivée de Kamel Daoud, essoufflé, qui se disait “très heureux, bouleversé”. L’ancien journaliste oranais a immédiatement rendu hommage à la , où il réside, « un pays qui protège les écrivains ».

De leur côté, dans une autre salle de la brasserie parisienne traditionnelle, les jurés du prix Renaudot et leur président Jean-Marie Gustave Le Clézio ont distingué Gaël Faye pour son deuxième livre, Jacaranda (Grasset, 288 p., 20,90 €).

« La littérature trace un autre chemin de la mémoire »

Deux livres de douleur et de mémoire, mais aussi deux romans très politiques qui reviennent sur le génocide au Rwanda pour celui de Gaël Faye, sur les drames vécus en Algérie il y a trente ans pour l’ouvrage de Kamel Daoud, même si aujourd’hui son éditeur s’en est vu refuser l’accès. au Salon du livre d’Alger…

Livre impressionnant au style éprouvant, Goncourt raconte le drame d’un pays ensanglanté par dix années noires, de 1992 à 2002… Hourisc’est l’histoire d’Aube, une jeune femme qui a échappé à la mort et hésite à donner la vie. Sauvée alors qu’elle aurait dû mourir la gorge tranchée, elle n’a plus de voix. Mais c’est sa voix intérieure que l’on entend, qui fredonne et pleure, murmure et crie. Va-t-elle prendre le risque de donner naissance à cet enfant qu’elle porte ?

Sommes-nous méfiants face aux propos d’une jeune femme enceinte ? « Je résiste à l’effacement qui, dans ce pays, a été imposé à des gens comme moi »confie le narrateur. Le silence imposé par les autorités est inscrit dans la loi, c’est l’article 46 du code pénal, placé au premier plan du roman : « Quiconque, par ses déclarations, ses écrits ou tout autre acte, use ou exploite les blessures de la tragédie nationale est puni d’un emprisonnement de trois à cinq ans. (…). » Alors il faut se taire, oublier. N’écrivez pas.

Mais la force vitale de Dawn ne faiblit pas : « C’est une idée folle, ruineuse et mauvaise d’essayer de remonter le temps. » Ce que les hommes ne peuvent pas dire, l’écriture peut le sauver : « Ce roman montre comment la littérature, dans sa grande liberté d’auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace, à côté de l’histoire historique d’un peuple, un autre chemin de la mémoire »added Philippe Claudel.

Une lecture exigeante, captivante, dure sans être dénuée de poésie

Une affirmation qui pourrait s’appliquer au roman du chanteur et écrivain Gaël Faye, relatant le parcours initiatique d’un jeune franco-rwandais. Le pays aux mille collines est le théâtre d’une longue histoire de massacres dont le jeune Milan, de père français et de mère rwandaise, ne sait rien. Même le génocide des Tutsi de 1994 appartient pour lui au passé. Jusqu’à ce que l’adolescent retrouve ses racines.

S’il comprend l’indicible, il se heurte toujours au silence maternel : « Nous ne venons pas en vacances dans un pays de souffrance. Ce pays est empoisonné. Nous vivons avec des tueurs autour de nous et cela nous rend fous. » La justice populaire ravive les blessures tout en participant à la réconciliation. « C’est une justice imparfaite, mais elle a le mérite de libérer la parole et surtout de mettre fin à l’impunité qui a toujours existé. » Et les femmes, là encore, gardent et entretiennent l’espoir. Stella, l’enfant qui porte bien son nom, sera la gardienne de l’étincelle d’espoir.

Avec ces romans qui ravivent les blessures pour sensibiliser les consciences, deux écrivains rendent un hommage fraternel aux victimes dans des styles très différents. Fluide, Jacaranda laisse place à des histoires sanglantes tout en racontant le parcours du narrateur. Hourisdans une écriture plus dure, ne fait aucune concession au lecteur. Une lecture exigeante, captivante, âpre sans être paradoxalement dénuée d’une certaine poésie. Deux livres qui comptent. Les jurés des deux prix ne s’y sont pas trompés.

Le prix de rédaction Renaudot a été décerné à Sébastien Lapaque pour Échec et mat au paradis (Actes Sud, 336 p., 22,50 €), et le prix du livre de poche Renaudot à Serge Rezvani pour Les années lumière (Philippe Rey, 528 p., €13.90).

 
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