Viols de Mazan (3/3) Y aura-t-il un « avant » et un « après » Gisèle Pelicot ? Une quarantaine de médias du monde entier sont accrédités pour suivre un procès emblématique par sa dimension sociétale. Enquête et décryptage en trois parties.
A A la barre du tribunal correctionnel du Vaucluse, depuis le 2 septembre, le public découvre les visages des accusés jugés dans l’affaire du viol de Mazan, l’histoire de Dominique Pelicot qui, pendant dix ans, a drogué sa femme Gisèle pour offrir son corps inerte à des étrangers. Ce sont 51 hommes ordinaires, âgés de 26 à 75 ans, qui sont impliqués dans cette affaire exceptionnelle. Qu’ont-ils en commun ? Culture du viol. Chacun offre une illustration concrète de cette conception sociétale, de leur présence sur le forum « Inconnu d’elle » aux précautions prises pour ne pas réveiller Gisèle Pelicot. Sans parler de leurs dénégations naïves.
La culture du viol englobe « tous les comportements que la domination masculine autorise, banalise et excuse »
« Pour les accusées, cette affaire est une sorte de choc socioculturel et psychologique : elles ne comprennent pas pourquoi ce qui leur a toujours semblé normal ne l’est pas », commente Christelle Taraud, chercheuse et historienne du féminisme.
Culture du viol : définition
Et s’ils ne comprennent pas, c’est parce qu’ils sont imprégnés de la culture du viol. Un concept encore peu connu, et pourtant « déjà en germe dans la pensée, l’action et les écrits des chercheuses féministes du XIXe siècle ».e siècle », explique Christelle Taraud. Et théorisé « dans les années 1970 au cœur de la deuxième vague du féminisme occidental, dans les pays anglo-saxons », poursuit la chercheuse. Un terme « choc » pour englober « tous les comportements que la domination masculine autorise, banalise et excuse », décrypte Christelle Taraud. Au centre, « le viol comme pratique emblématique de la domination des femmes dans le système patriarcal ».
Mais l’expression va bien au-delà du viol ou du féminicide, « qui ne sont que la pointe de l’iceberg ». Les ramifications traversent tous les secteurs de la société dans un « continuum de violences sexistes et sexuelles et son corollaire, les inégalités de genre ». Les symptômes incluent les stéréotypes sexistes, les représentations de la sexualité, l’éducation genrée, etc.
« Le corps de la femme reste un enjeu tout au long de la vie, qu’il s’agisse de la procréation ou de la géopolitique »
« Cela commence dès la naissance », explique Johanna Dagorn, sociologue et chercheuse bordelaise. « Les corps des femmes appartiennent aux hommes, dont la masculinité est au contraire mise en scène en permanence. » Les petites filles sont invitées à « bien se comporter » et à respecter des « exigences corporelles » strictes. «Le corps de la femme continue d’être un enjeu tout au long de la vie, qu’il s’agisse de procréation ou de géopolitique», estime Johanna Dagorn.
La main sur les fesses, un compliment ?
Et si certains phénomènes sont désormais documentés, comme le « mécanisme de réputation », cette culture du viol produit sans cesse de nouveaux avatars, comme le constate le sociologue bordelais lors d’une enquête sur le harcèlement, au cours de laquelle des collégiens parlent du jeu du « chat-cul », qui consiste, pour les garçons, à distribuer « les mains aux fesses » des filles. « Au passage, ce geste constitue une agression sexuelle », note l’expert bordelais. Pourtant, une écolière lui a fait cet incroyable aveu : « Je suis tellement moche que je n’ai jamais eu de chatte. » « Un grand moment sociologique », conclut Johanna Dagorn face à cette intériorisation de l’agression sexuelle perçue comme un élément valorisant de la féminité…
“Cercles sportifs, politiques, artistiques… Tous les milieux sont concernés, toutes les catégories socioprofessionnelles, confessions religieuses, tranches d’âge”
C’est de cette conception de la culture du viol que Dominique Pelicot tire des éléments de défense en déclarant « Je suis un violeur, nous sommes tous des violeurs ». Sous-entendu : « Nous sommes une société de violeurs. » « Il se pose en victime du patriarcat et de la société », estime Christelle Taraud. Il n’a pas entièrement tort, car la société a encouragé l’impunité et le manque de responsabilité. »
#Notallmen : pas tous les hommes
Culture du viol dont certains hommes se désolidarisent, en utilisant le hashtag #Notallmen (pas tous les hommes). Ce faisant, ils remettent en cause le concept, plaçant les violeurs sous leur responsabilité individuelle. “Ces hommes refusent de voir que le problème est systémique, c’est la structure de nos sociétés qui est en cause, cette structure c’est la domination masculine”, rétorque Christelle Taraud.
“Pas tous les hommes, mais seulement des hommes”, ajoute Johanna Dagorn. « Et de tous horizons », précise Noémie Renard, féministe et auteure du livre « Ending Rape Culture ». « Aucun milieu n’est plus à l’abri des scandales », constate Christelle Taraud. “Cercles sportifs, politiques, artistiques… Toutes les couches sont concernées, toutes les catégories socioprofessionnelles, toutes les confessions religieuses, toutes les tranches d’âge”, appuie l’historienne du féminisme.
Quitter la culture du viol
« Une société peut décider que certaines choses sont inacceptables et qu’il faut tout faire pour qu’elles ne soient plus acceptées »
Comment sortir de cette culture du viol ? « En refusant l’acclimatation permanente », répond Christelle Taraud. Ce n’est pas parce qu’elle a existé qu’elle existera toujours, comme la peine de mort. Une société peut décider que certaines choses sont inacceptables et qu’il faut tout faire pour qu’elles ne soient plus acceptées. »
«Le chemin prendra plusieurs formes», explique Noémie Renard. Il s’agira notamment de déconstruire les stéréotypes de genre. Mais aussi de revisiter des pans entiers de la culture concernée : la littérature, le cinéma, les contes populaires, les chansons, ou encore la langue française et ses expressions. « Pour construire une société d’égalité, il faudra non pas censurer le passé mais l’expliquer, le replacer dans son contexte », conclut Christelle Taraud.
Quitte à changer la loi sur le viol, il est tellement difficile de « démontrer la violence, la menace, la contrainte ou la surprise, qui caractérisent juridiquement le viol, sachant que la victime peut être assommée », poursuit Noémie Renard. Ou inscrire le consentement dans la loi.
Toutes ces questions se posent entre les lignes du procès Pélicot. À la manière du procès pour viols collectifs jugé à Aix en 1978. A l’époque, Gisèle Halimi, avocate des parties civiles, concluait ainsi : « Par leur courage et leur refus d’accepter l’inacceptable, Anne et Araceli [les deux victimes, NDLR] nous amène au seuil d’un changement qui éliminera ce crime : celui des mentalités. » Tout comme Gisèle Pélicot.
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