L’écrivain Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt pour son roman “Houris”, au restaurant Drouant à Paris, le 4 novembre 2024 (AFP / JULIEN DE ROSA)
L’écrivain Kamel Daoud a remporté lundi le Goncourt, le plus prestigieux prix littéraire français, pour “Houris”, une fiction sur les massacres de la “décennie noire” en Algérie, entre 1992 et 2002, interdite dans le pays.
« C’est un livre qui peut aussi donner un sens à ce que nous vivons dans ce pays. Mais il est né parce que je suis venu en France. Parce que c’est un pays qui me donne la liberté d’écrire», a salué le Franco-Algérien de 54 ans, au restaurant Drouant à Paris, où est présenté le Goncourt.
La France “est un pays qui protège les écrivains”, a salué celui dont la liberté de ton a fini par le contraindre à quitter sa ville d’Oran pour Paris et à prendre la nationalité française.
« Houris » ne peut pas être publié en Algérie, où il tombe sous le coup de la loi qui interdit toute œuvre évoquant la guerre civile de 1992-2002.
Après le roman « Veiller sur elle » de Jean-Baptiste Andrea, primé l’année dernière, l’Académie Goncourt a choisi une fiction plus politique et « couronne un livre où le lyrisme rivalise avec la tragédie ».
« Houris » (Gallimard) « donne la parole aux souffrances liées à une période sombre en Algérie, celle des femmes en particulier. Ce roman montre comment la littérature, dans sa grande liberté d’auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace, à côté de l’histoire historique d’un peuple, un autre chemin de la mémoire”, a salué Philippe Claudel, président du jury Goncourt.
– « Fort de signalisation » –
“Houris”, qui dans la foi musulmane désigne les jeunes filles promises au paradis, est un roman sombre sur le sort de l’Aube, une jeune femme muette depuis qu’un islamiste lui a tranché la gorge le 31 décembre 1999.
Choisissant une femme comme narrateur, Kamel Daoud situe l’intrigue d’abord à Oran, la ville où il fut journaliste pendant la « décennie noire », puis dans le désert algérien, d’où l’Aube part pour retourner dans son village.
L’écrivain Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt pour son roman “Houris”, au restaurant Drouant à Paris, le 4 novembre 2024 (AFP / JULIEN DE ROSA)
Dans un contexte diplomatique déjà tendu entre la France et l’Algérie, Gallimard a été prié de ne pas se rendre au Salon international du livre d’Alger, du 6 au 16 novembre, une décision qui a fait grand bruit.
“Actuellement, avec ce qui se passe partout dans le monde, mettre en valeur un écrivain, un écrit, sur la guerre, avec de tels enjeux, est quelque chose d’admirable”, a relevé Kamel Daoud, remerciant le Goncourt qui l’a choisi au premier tour, par six. votes.
“Savoir ce que vivent les écrivains de l’autre côté du mur de nos démocraties, c’est un signal fort pour tous ceux qui se laissent tenter par cette aventure, celle de l’écriture et de l’édition, et de la lecture aussi”, a-t-il encore souligné.
Son éditeur Antoine Gallimard a quant à lui salué « le rôle politique et civique » assumé par l’auteur. “Je suis émerveillé par cette force qu’il a, ce calme et les mots qu’il choisit”, a-t-il assuré à l’AFP.
– 30 ans plus tard –
Kamel Daoud était en lice face à Gaël Faye, finalement lauréat du Renaudot pour son deuxième roman « Jacaranda », un best-seller, et deux auteurs moins connus : Sandrine Collette et Hélène Gaudy.
Présent également dans Drouant, l’écrivain et chanteur franco-rwandais a évoqué des résonances entre son roman et le Goncourt : « +Houris+ et +Jacaranda+, ce sont des livres qui parlent des années 90, ce sont aussi des conflits (.. .) Les années 30 aussi années qui nous séparent de l’événement un temps nécessaire pour pouvoir, en tant qu’écrivains, (…) mettre des mots sur cette violence survenue ?
Au-delà de la fierté d’inscrire son nom sur la liste, le prix Goncourt est un enjeu économique. Il est récompensé par un chèque de dix euros, que les gagnants choisissent traditionnellement d’encadrer. Mais surtout, il permet de vendre des centaines de milliers d’exemplaires d’un livre que de nombreux lecteurs seront curieux de découvrir ou de proposer, et il ouvre la voie à de nombreuses traductions à travers le monde.
Pour « Houris », une quinzaine étaient déjà « envisagées », a indiqué Antoine Gallimard. Or, ce chiffre « va sûrement doubler ».
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