Pour Maële*, tout a commencé par du harcèlement à l’école (elle a porté plainte l’année dernière contre un élève). Au même moment, Maële reçoit son premier téléphone, juste avant ses 14 ans. Une amie lui parle alors de TikTok, et c’est le début de la spirale.
Désormais sevrée de TikTok, l’adolescente témoigne de la « spirale infernale » qu’a été pour elle la plateforme.
franceinfo : Comment tout a commencé ?
Maële : Je n’allais pas très bien entre le moment où j’ai reçu mon téléphone et l’installation de TikTok. J’avais commencé à me blesser, à me cicatriser et j’aimais les contenus qui parlaient de chansons tristes. Après, il en résultait : des contenus incitant à l’automutilation, au suicide ou des choses comme ça. Par exemple, il y a des gens qui montrent leurs cicatrices, certaines encore fraîches, avec du sang. Ou des gens qui disent qu’ils vont aller acheter des lames et d’autres qui disent « Si tu ne finis pas aux urgences après une tentative de suicide, ça ne compte pas ». Ou encore, pour les troubles alimentaires, il faut avoir un poids insuffisant, avec une sonde dans le nez, pour être légitime.
Comment avez-vous réagi à ce contenu sur votre téléphone ?
Tout cela, malheureusement, est ancré dans le cerveau et cela ravive l’idée de vouloir se faire du mal ou de vouloir tenter de se suicider. TikTok m’a encouragé à mettre fin à mes jours, en me donnant des conseils sur où acheter des médicaments ou quoi utiliser pour me faire du mal, des choses comme ça.
« J’ai réalisé que je n’avais que des vidéos de gens tristes. Mais j’ai pris plaisir à ça, j’ai aimé parce que je me sentais écouté.
Mais quelques mois plus tard, mon frère, à la sortie de l’hospitalisation, m’a demandé de désinstaller TikTok. Je l’ai fait. J’ai tenu plusieurs mois je pense, et j’ai réinstallé TikTok quelques mois plus tard. Et il a encore tenté de se suicider par la suite.
Tu as l’impression que c’était une dépendance ?
J’allais sur TikTok pour m’occuper et chaque fois que j’avais du temps libre, j’y allais. Je pouvais y passer plus de quatre heures le week-end, moins quand j’étais au lycée, mais cela prenait beaucoup de temps dans ma journée.
Aujourd’hui, quelle est votre relation avec TikTok ?
J’ai un contrôle parental de 30 minutes. J’y vais beaucoup moins. Par exemple, j’ouvre mon téléphone : la première publication que j’ai est un clip, de quelqu’un fabriquant du hautbois à l’hélium ! Une vidéo TikTok classique, et de la bonne humeur.
Disons que je désensibilise TikTok, que je le fais petit à petit, que si j’arrêtais d’un coup, ce serait trop dur et que je risque de réinstaller. Et quand j’ai besoin de me vider la tête, je regarde des vidéos de gens fabriquant des hautbois à l’hélium !
Que diriez-vous aux autres adolescents ? ?
Je veux leur dire que tout ira bien. Après, je conseille de se faire aider, que ce soit auprès de professionnels de santé ou de proches. C’est une spirale descendante. Après, c’est très difficile de l’arrêter, mais c’est possible parce que je l’ai fait. Après, il y a encore des jours difficiles, mais TikTok n’a pas créé mon mal-être, mais il l’a accentué avec ce genre de vidéos sombres. Si vous n’êtes pas fragile, cela peut ne pas affecter la personne, mais s’il y a déjà une fragilité, vous pouvez vous réfugier dans votre téléphone. Mais l’abri est en feu et cela ne sert à rien et nous ne pouvons pas sortir.
Qu’aimeriez-vous voir TikTok changer ?
J’aimerais que TikTok revoie ses priorités de tri vidéo, car il y a des vidéos qui incitent au suicide ou à l’automutilation, ou d’autres choses comme ça, qui sont totalement banalisées et sont assez courantes sur la plateforme. En tout cas, sur TikTok, j’ai vraiment pris conscience de beaucoup de choses qui sont malsaines. Et là, je suis entouré de toute une équipe de professionnels, à l’image d’un athlète, pour m’aider du mieux possible.
*Le prénom a été modifié
Maële’s mother, Morganede son côté, souligne l’importance que l’action en justice lancée contre TikTok a à ses yeux.
“Quand j’ai découvert ce que ma fille avait vu sur TikTok, elle a dit, J’étais abasourdi, le ciel me tombait sur la tête. J’étais à des millions de kilomètres de l’imaginer. Et je pense que cette convocation de la plateforme en justice permet de sensibiliser le grand public, de dire ce qui se passe sur TikTok et d’être prudent. Que ce soit les parents, les enseignants, les professionnels de santé, personne n’a conscience des horreurs que peuvent voir nos adolescents. Cette mission permet donc cette prise de conscience, et puis aussi, nous l’espérons, une régulation des contenus.
« Cette action en justice est aussi une façon de dire à ma fille qu’on peut l’aider, qu’on peut changer les choses et améliorer les choses pour elle et pour les autres. »
Morgane, Maële’s mothersur franceinfo
Morgane a installé un contrôle parental, pour que sa fille ne passe pas plus d’une demi-heure de TikTok par jour. « Les retraits soudains, quels qu’ils soient, ne sont jamais bons. Il faut donc y aller petit à petit. Et je suis convaincu qu’il y a du bon aussi sur les réseaux sociaux, mais il faut savoir faire le tri.»
Maële et sa mère ont ouvert un compte Instagram, sur lequel l’adolescente raconte son expérience et comment sa pratique du crochet l’a aidée à se libérer de son addiction.
Contacté, TikTok n’a pas répondu aux sollicitations de franceinfo.
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