Une enquête a été ouverte en décembre 2023 pour torture, peines et traitements inhumains, dégradants et détention arbitraire concernant deux jihadistes français détenus en Irak, a annoncé l’Agence France-Presse (AFP), dimanche 20 octobre.
Ces investigations inédites sont menées par un juge d’instruction de la section des crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris, a confirmé à l’AFP le Parquet national antiterroriste (PNAT).
« On ne peut pas permettre que des Français dépérissent en prison, quelle que soit la gravité des faits qui leur sont reprochés »a expliqué Richard Sédillot, avocat des deux plaignants, Brahim Nejara et Vianney Ouraghi. « Je ne demande pas leur exonération a priori, mais il est essentiel qu’ils puissent être jugés dans des conditions équitables, pas en cinq minutes, sans avocat. Il faut une enquête et un jugement en France”a-t-il insisté, sollicité par l’AFP.
La plainte, déposée avec constitution de partie civile en septembre 2020, a mis du temps à aboutir. La justice a dans un premier temps décidé de ne pas ouvrir d’enquête, mais l’avocat a fait appel et obtenu l’ouverture de l’enquête. Une décision qui donne de l’espoir à quatre autres jihadistes qui ont également porté plainte.
Déshydratation, humiliation, maladie
Quatre avocats se sont rendus à la prison d’Al-Rusafa à l’automne 2023 et en février 2024. Ils ont tiré de leurs échanges non confidentiels avec leurs clients deux notes alarmantes, transmises à la justice française et dont Le Monde puis l’AFP en a eu connaissance.
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Les prisonniers vivent « donjons » bondé de plus de cent vingt hommes, avec seulement une douche et deux toilettes, où « les corps se déshydratent très vite » dans un « Chaleur étouffante ». Ils n’ont que« une bouteille d’un litre et demi par jour pour boire, assurer leur hygiène et faire la vaisselle ».
« Le matin, si les occupants d’un des cachots ne se réveillent pas, tous les détenus sont punis. » Le chef de cellule peut « insulter, humilier, agresser ses codétenus en toute impunité ». Seule sortie autorisée : une promenade, deux fois par semaine, “dix minutes à trente minutes (…) dans une cour tellement exiguë qu’il est presque impossible de marcher”.
Les détenus, même ceux qui sont gravement malades, ne sont pas soignés. Leonard Lopez, dit « Abou Ibrahim Al-Andaloussi », souffre ainsi de « dystrophie importante ». Il ne peut plus « levez les bras et donc défendez-vous » violence de la part d’autres détenus ou gardiens. « J’ai peur que certains d’entre eux finissent par succomber, j’ai peur que mon client fasse un accident vasculaire cérébral »résume Marie Dosé, qui défend un jihadiste.
Collaboration de la justice irakienne
Après la chute de l’organisation État islamique (EI), onze jihadistes ont été condamnés à mort par pendaison en juin 2019 en Irak. Le 30 mai 2023, la justice irakienne a commué cette peine en réclusion à perpétuité. Ce changement est le fruit d’échanges entre magistrats des deux pays, a expliqué une Source judiciaire, les Irakiens étant « très désireux de collaborer » avec la justice française, qui enquête toujours sur ces hommes. Les onze sont en effet visés par des mandats d’arrêt pour association de malfaiteurs terroriste, selon le PNAT.
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« Tous occupaient des postes élevés au sein de l’EI, et certains étaient impliqués dans des attentats planifiés en France avant leur départ puis pendant leur séjour dans la zone irako-syrienne. »a précisé la Source judiciaire. Trois autres Français détenus en Irak, dont deux femmes, sont également visés par des enquêtes antiterroristes, selon le ministère de la Justice.
Pour poursuivre ces investigations, les juges ont cherché un moyen « entendre les suspects sans que leurs droits soient diminués » et “intercédé auprès des Irakiens pour qu’ils acceptent l’arrivée d’avocats”souligne la Source judiciaire.
Les juges ont proposé des interrogatoires sous le statut de témoin assisté – ce que plusieurs détenus ont vigoureusement refusé par l’intermédiaire de leurs avocats. « Aller les entendre en sachant très bien dans quelles conditions ils sont détenus, c’est cautionner leurs conditions de détention. Comment interroger un justiciable sachant qu’il a été exposé à des traitements inhumains et dégradants et revenir ensuite à Paris comme si de rien n’était ? »s’est indigné Mmoi Dosé, qui défend un djihadiste.
Interrogatoires en Irak
Certains suspects ont cependant accepté et un interrogatoire a déjà été mené, en décembre 2023. Fodil Tahar Aouidate, dit « Abou Mariam », Roubaisien parti en Syrie en 2014 comme vingt-deux autres membres de sa famille, a été interrogé pour deux jours, par un magistrat français, en présence d’un magistrat irakien et d’un enquêteur, ainsi que de son avocat. Ce dernier, Charles Sabbe, n’a pas fait de commentaire, invoquant le secret de l’instruction.
Matthieu Bagard, qui défend trois autres hommes, a dénoncé une « détournement de procédure » : la justice française procède à « des interrogatoires intenables pour les droits de la défense, qui fragilisent les procédures » au lieu d’attendre l’exécution du mandat d’arrêt et le transfert en France pour les interroger. “Le transfert est la règle et le problème est justement que les autorités françaises s’en écartent, sans justification”» a ajouté Chirine Heydari-Malayeri, qui défend l’un des hommes.
Deux représentants d’associations de victimes d’attentats, Georges Salines et Arthur Dénouveaux, ont également indiqué à l’AFP qu’ils souhaitaient le rapatriement de ces jihadistes, pour un « une plus grande transparence » enquêtes.
Interrogés à plusieurs reprises sur cette question du retour, ni le ministère des Affaires étrangères ni le ministère de la Justice n’ont répondu à l’AFP.
En Irak, un responsable du ministère de la Justice a déclaré à l’AFP que son pays “n’avait reçu aucune demande officielle des autorités françaises”. Un haut responsable de la sécurité a assuré que le gouvernement irakien avait l’intention de rapatrier “par les voies officielles” plus que « 500 femmes » reconnus coupables et détenus en Irak – il s’agit de ressortissants de plusieurs pays, notamment de Turquie, de Syrie et du Tadjikistan. “Le sort des hommes n’est pas encore décidé”» ajouta le gérant.
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