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“M. Aznavour, le meilleur shooting de ma vie”

Dimanche 6 octobre. Tahar Rahim est à l’Olympia. Enfin dans la salle où Charles Aznavour chantait si souvent. On le retrouve deux jours plus tard au bord de la mer. Depuis plusieurs semaines, l’acteur tourne au Havre “Alpha”, la prochaine Julia Ducournau, lauréate de la Palme d’or en 2021 avec “Titane”. Pour les besoins du projet, Tahar a perdu 20 kilos, en adhérant à un régime ultra exigeant. D’où sa silhouette affamée ces derniers temps. Mais que le public se rassure : Tahar se porte bien, très bien même, ravi de défendre « Monsieur Aznavour », le film de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, retraçant la vie de Charles Aznavour.

Et si, sur le papier, on peut s’étonner du choix de l’acteur du « Prophète » pour incarner le chanteur, à l’écran le résultat est bluffant. Tahar signe également un retour en , lui qui développe une brillante carrière internationale. Emmitouflé dans son immense parka, l’acteur prend le temps de revenir sur cette brillante transformation, ce rôle qui – c’est évident – ​​lui collera à la peau, et aussi de se livrer sur sa vie de famille, ses parents, ses enfants et elle. des rêves toujours aussi forts.

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Tahar Rahim

Paris-Match
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© Dorian Le Fou

Paris Match. Qui était pour vous Charles Aznavour avant le film ?
Tahar Rahim. Une grande personnalité française, quelqu’un dont je me suis toujours senti proche car ses chansons étaient partout. Il s’était imposé dans la vie des gens, à la radio, à la télé, sur scène, il était très ancré dans la culture française. Pourtant, au fond, je ne le connaissais pas du tout.

On a écouté Aznavour chez vous ?
Bien sûr, ma mère, mes frères, mes sœurs, mais nous n’avons pas seulement écouté ça. C’est à mon arrivée à Paris, à l’âge de 23 ans, que je me suis plongé dans ses chansons. J’avais ses « 40 plus belles chansons » sur mon petit Discman qui sautait à chaque pas et je découvrais des trucs comme « Je m’voyais déjà » ou « Les comédiens » et ça me faisait du bien. Cela correspondait à ce que je vivais, à ce dont je rêvais. Il m’a soutenu dans mon objectif de devenir acteur.

Vingt ans plus tard, les liens entre son destin et le vôtre sont évidents : deux artistes, fils d’immigrés, qui portent la culture française à travers le monde.
A l’époque, je n’en avais pas conscience. Mais oui, il y a des similitudes. [Il sourit.] Quand Grand Corps Malade m’a proposé ce rôle, je ne pensais pas du tout que ce serait fait pour moi. Vraiment pas ! J’ai quand même demandé un peu de temps pour réfléchir et j’ai fait le travail d’un anthropologue en fouillant dans toutes les archives qui existaient sur Internet. Et puis je l’ai vu à un moment donné, toujours devant les autres, poussant son épaule pour sortir d’un avion, d’une voiture. Là, il me charme, je l’aime bien, je vois quelque chose d’animal en lui. Et Leila [Bekhti, son épouse, NDLR] m’a dit : “Non, mais tu le fais !”

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Et tu y es allé ?
Non ! J’ai demandé si nous pouvions attendre les essais de maquillage pour être sûr que je n’étais pas ridicule. En réalité j’étais déjà piqué ! [Il sourit.] Quand j’ai l’impression que je pourrais échouer dans tout, cela déclenche un instinct de survie qui me fait donner tout ce que j’ai. C’est ce qui me motive le plus lorsque je fais mon travail.

“Aznavour pouvait être adorable, mais au travail il ne riait pas”

Pourquoi pensez-vous qu’Aznavour a duré si longtemps ?
Parce qu’il était animé par la rage, fils d’immigrés. Il n’a pas eu une enfance innocente et insouciante comme la mienne. Il a dû travailler très jeune pour aider sa famille. Et en même temps, il avait beaucoup de respect pour le travail et le sacrifice de soi. Avec lui, l’un ne va pas sans l’autre, je me retrouve complètement là-dedans. Il pouvait être adorable, mais au travail, il ne riait pas. Parce qu’il voulait réussir, être le meilleur et sortir de sa condition. Je comprends ça aussi.

Toi, ta vocation était claire à 14 ans.
À ce moment-là, je me nourris d’une naïveté inhérente à ma personne. Pour moi, il est logique de devenir acteur. Mes fantasmes d’adolescent se sont transformés en passion, puis en objectifs et enfin en besoins. J’ai intégré l’école de sport de Strasbourg car ma sœur m’a dit qu’il me fallait absolument un diplôme. Comme je n’avais rien d’autre que le cinéma, j’ai fait une école de cinéma à Montpellier et j’ai commencé des cours de théâtre. Et puis j’ai vu que c’était un vrai travail… [Il sourit.]

N’était-ce pas ce que vous imaginiez ?
Oh non! [Il éclate de rire.] Je pensais que j’étais un bon acteur, parce que je venais d’une école de rue et que j’avais vu des millions de films. En fait, j’avais tout à apprendre : apprendre à parler, à bouger, apprendre mon texte, comprendre ce qu’est le positionnement de la caméra. C’était une grande leçon d’humilité.

J’avais tellement peur d’avoir une grosse tête que je savais la garder cool

Tahar Rahim

Quand Jacques Audiard vous lance le casting d’« Un Prophète », êtes-vous prêt ?
Vous n’êtes jamais prêt pour un rôle. Mais je suis prêt à saisir l’opportunité. Je ne crois pas à la chance. À un moment donné, quand l’opportunité passe, il faut la saisir. C’est un peu comme une comète, on ne sait jamais quand elle reviendra.

Un an plus tard, vous remportez deux César pour le même rôle. Comment faisiez-vous pour garder les pieds sur terre à l’époque ?
J’avais tellement peur de m’énerver que je savais comment garder mon sang-froid. J’ai vu ceux qui ont eu leur heure de gloire et qui appartiennent désormais au passé, dans le football, au cinéma ou ailleurs… Alors je me suis enfermé. Mes peurs se sont estompées avec le temps. Une fois sorti des eaux, il faut savoir naviguer, puis apprendre à naviguer. Il a fallu passer par là pour être durable.

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Tahar Rahim

Paris-Match
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© Dorian Le Fou

« Monsieur Aznavour » marque aussi votre retour en France. Depuis trois ans, on vous avait beaucoup vu dans des productions internationales.
Je ne vois pas les choses de cette façon. Après « Un Prophète », j’ai refusé tous les rôles de criminels arabes ou de terroristes qu’on me proposait en France. Je voulais des choses différentes, sans me sentir étriquées, étiquetées, même si cela prenait du temps. Et les offres sont venues de l’étranger, de Kevin MacDonald, qui m’a offert « L’Aigle de la Neuvième Légion ». À l’international, j’ai rapidement été perçu différemment. Alors qu’en France, les propositions sont longtemps restées les mêmes. Et comme j’aime le cinéma exigeant, je ne me suis pas précipité, je n’ai pas fait de mauvais choix pour de mauvaises raisons. Ben oui, une fois, mais il y a longtemps, et je ne vous dirai pas le nom du film… [Il sourit.]

L’année dernière, vous avez rejoint l’équipe Marvel en jouant dans « Madame Web ». Ce n’était pas du tout réussi.
C’était même une douche carrément froide… Je m’étais préparé, mais je ne le regretterai jamais car j’ai réalisé un rêve d’enfant. Une Marvel est une façon assez folle d’entrer dans les maisons des gens. Le problème pour moi c’est que ce que je lis n’est pas du tout ce que j’ai vu à l’écran. Le film est bien pire que la promesse initiale. Mais c’est la vie, parfois les choses ne marchent pas. Je me console en pensant à « Once Upon a Time in America… » qui a fait sensation dès sa sortie alors qu’il s’agit d’un des plus grands films de tous les temps.

Est-il difficile de filmer sur un fond vert ?
J’ai eu la chance de ne pas trop être confronté à ça. Le plus dur c’est d’arriver tous les matins à 7h et parfois de ne tourner qu’à 19h. Je suis très impatiente, cette attente me rendait folle. Et vous ne pouvez pas dire « hé ! les gars, vous savez quoi ? Je vais au café d’à côté pour me porter un toast et tu me bipes quand tu es prêt », comme si tout se faisait en studio. Je pensais devenir fou… Je suis resté quatre mois à Boston dans une solitude douloureuse, qui m’a rappelé mes années d’étudiant.

« Sans ma mère, je ne serais rien »

Pour vous, le tournage est une vie monastique et solitaire ?
Oui. Non pas que je l’aime, mais j’en comprends la nécessité. Alors je l’accepte.

Et n’est-ce pas dur pour Leïla et vos enfants ?
Parfois oui, mais comme Leïla est une personne unique, exceptionnelle, elle comprend tout. Elle me connaît. Et puis, quand je suis là, je suis vraiment là.

Sans elle, vous n’auriez pas pu réussir dans votre métier ?
J’ai de la chance de l’avoir à mes côtés. Elle me porte littéralement. Et ce n’est pas une relation de soumission, c’est très clair entre nous. Je le dis souvent, c’est aussi ma meilleure amie. Ainsi, elle trouve son équilibre dans notre fonctionnement. Elle est tellement altruiste, elle aime tellement les gens, elle donne tellement de tout, elle est tellement entière. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi généreux.

Est-ce que tu fais attention à elle ?
Bien sûr, elle est ma vie ! [Il sourit.]

Vous avez souvent dit combien votre mère était importante aussi dans votre carrière, elle vous a toujours soutenu.
Sans elle, je ne serais rien. Elle est la première à avoir cru en moi, paix à son âme. Elle y croyait encore plus fort que moi, quand j’ai eu mon premier casting, elle a pleuré de joie. A 14 ans, c’est elle qui m’a dit : “Tu vas le faire un jour, mon fils, tu deviendras un gentleman.” Tourner dans « Monsieur Aznavour » n’est donc pas une mince affaire.

Et ton père ?
Il a recommencé sa vie quand j’étais enfant. Je l’ai vu, il n’y avait pas de problèmes entre nous, il m’a dit « ça va s’arranger », mais on n’a pas parlé plus que ça. Ce qui lui importait, c’était que j’étais heureuse et que j’avais une situation. Il croyait en mon sérieux.

Seriez-vous heureux si vos enfants se tournaient vers le cinéma ?
Quand on vient d’où je viens, on développe une sorte de rage, comme celle d’Aznavour, qui permet de s’immuniser contre l’adversité et la dureté de ce métier. Si vous ne l’avez pas, c’est très difficile. Je serai exigeant avec mes enfants, je ne leur cacherai pas la réalité de ce métier, je ne voudrais pas que ce soit un hobby ou un fantasme basé sur de mauvaises raisons. Mais ils sont encore petits. Et s’ils sont heureux de cultiver des légumes à la campagne, je le serai aussi.

Avoir des parents acteurs peut parfois créer un tropisme…
Pour le moment, ils ne savent pas ce que nous faisons. Seuls les grands commencent à comprendre, mais ils ne viennent pas à nos tournages, on les protège au maximum de la notoriété et de ce monde-là.

S’il n’était pas devenu acteur…

Êtes-vous à l’aise avec la célébrité ?
Je sais que cela existe, mais je ne le vis pas beaucoup. En fait, j’y ai beaucoup réfléchi auparavant. J’ai compris qu’il y avait des pièges dans lesquels je ne voulais pas tomber. Clairement, si l’on veut de la notoriété, il faut trop en dévoiler sur soi. Mais un réalisateur aime révéler des choses en vous. S’il vous connaît trop, vous ne lui inspirez plus de désir. Ou de moins en moins…

Si vous n’aviez pas été acteur, auriez-vous été le plus malheureux des hommes ?
J’avais un plan B : parcourir le monde avec mon sac à dos à la recherche d’une vocation. Jusqu’à ce que je tombe dessus.

Cela se passait ailleurs, alors ?
Oui, mais j’ai grandi ailleurs. Ma France, c’était le monde entier. Dans ma tour, à Belfort, je n’avais pas besoin de prendre l’avion ni d’économiser de l’argent pour voyager. Il y avait des gens d’Asie, de France, d’Afrique subsaharienne, des voyageurs. Et j’ai goûté à toutes les cultures. C’est la France telle qu’elle est aujourd’hui, celle qu’on essaie de nous faire croire n’existe pas. Et justement, c’est cette France que j’ai retrouvée sur « Monsieur Aznavour », le meilleur tournage de ma vie. Avec Grand Corps Malade, Mehdi Idir, Jean-Rachid et David Bertrand, nous venons tous d’en bas. Et on a construit ce film avec un bonheur familial, on a tous laissé nos égos au placard. Cette histoire prouve que c’est possible. Et quand cela arrive, nous sommes plus forts que jamais.

 
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