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« Les recettes fiscales attendues pour réduire la dette ne seront pas au rendez-vous… »

Économiste et ancien député européen, Liêm Hoang-Ngoc est co-auteur du rapport d’enquête sur le rôle et les activités de la troïka dans les pays de la zone euro et vient de publier « L’Europe, ennemie de la République ? » (PUF). Dans une chronique, il déplore le retour de l’austérité dans le projet de loi de finances 2025 dont l’examen commence à l’Assemblée et rappelle ses effets délétères sur la croissance.

L’examen du projet de loi de finances 2025, qui débute à l’Assemblée nationale, est marqué par le retour de l’austérité, qui a fait rage dans toute la zone euro durant la décennie 2010. ici, après avoir sauvé les banques du désastre dont elles s’étaient rendues coupables lors de la crise des subprimes, les États de l’Union européenne (UE) ont fait payer la note aux peuples par des cures d’austérité administrées à dose de cheval.

Les économistes de la Commission européenne justifiaient alors la « consolidation budgétaire » par la théorie de l’équivalence ricardienne (liée à David Ricardo, penseur libéral des XVIIIe et XIXe siècles). Développé par l’économiste américain Robert Barro en 1974, ce modèle prédit que lorsque l’État augmente ses dépenses publiques, les agents économiques réduisent leurs dépenses en conséquence pour épargner pour les générations futures dont ils se montrent solidaires. Et ce, en prévision des impôts qu’ils paieront lorsque l’État les prélèvera pour honorer les charges de la dette publique.

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Le modèle considère ainsi que le multiplicateur budgétaire, coefficient mesurant l’impact des dépenses publiques sur le PIB, est nul, voire négatif, si les agents incluent dans leur revenu permanent le manque à gagner représenté par les sommes investies en prévision des impôts futurs à payer. Dans ce cas, l’austérité est présentée comme bénéfique, car elle est à la fois Source de réduction de la dette publique et de croissance – grâce à l’augmentation des revenus permanents.

Au service des détenteurs de capitaux

Malheureusement, comme l’ont montré les travaux de l’équipe de l’ancien économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI) Olivier Blanchard en 2013, les multiplicateurs des pays de la zone euro sont positifs.

La « consolidation budgétaire » a donc non seulement tué la croissance, mais aussi augmenté la dette publique, puisque la croissance attendue (générant des recettes fiscales permettant de résorber l’encours de la dette) n’a pas été au rendez-vous.

C’est cette leçon que le Premier ministre Michel Barnier gagnerait à méditer. A cette époque, il était membre d’une Commission européenne dont le commissaire chargé des affaires économiques et financières, Olli Rehn, avait admis, lors de son audition au Parlement européen sur les activités de la troïka, que ses services avaient probablement sous-estimé la valeur des multiplicateurs. des économies de la zone euro, lorsqu’elles font des recommandations à chaque pays…

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Depuis, l’Europe semble avoir tiré les leçons de cette décennie d’austérité. Le Pacte de stabilité a été rendu plus « flexible », puis la clause dérogatoire a été activée pendant la crise du Covid-19 pour permettre aux États de faire face avec succès à la crise sanitaire. La BCE a déployé des programmes de rachat de dette pour permettre aux États et aux entreprises d’emprunter à des taux bas.

Certes, les taux d’endettement ont explosé en 2020, mais ont été réduits assez rapidement grâce à l’effet multiplicateur des mesures prises. En , le « quoi qu’il en coûte » a généré des recettes fiscales induites, réduisant le taux d’endettement de 117 % du PIB en janvier 2021 à 110 % en 2023, avant que ne soit prise la décision de suspendre prématurément les mesures de relance, notamment parce que l’Allemagne commençait à torpiller la réforme du Pacte de stabilité que la Commission était chargée d’élaborer pour permettre aux États d’investir dans la transition écologique.

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Au lieu d’être assoupli, le texte a été durci par le frein budgétaire imposé dans l’un des règlements du ministre allemand des Finances. Désormais, les Etats en procédure de déficit excessif devront réduire leur déficit public de 0,5 point de PIB chaque année pour atteindre au plus vite l’objectif d’un déficit de 3% du PIB.

C’est cette trajectoire que la France ne parvient pas à atteindre, s’étant à nouveau mise au service des détenteurs de capitaux, principaux bénéficiaires des baisses d’impôts accordées depuis 2017. Mais cette politique ne parvient pas à atteindre ses objectifs. de croissance. La croissance prévue pour 2024 était de 1,4 %. Ce sera probablement autour de 1%. Les recettes fiscales induites, initialement attendues, font donc défaut et le déficit public atteindra cette année 6,1% du PIB au lieu des 5,1 attendus…

Une politique peu crédible

Le manque à gagner annuel des finances publiques, résultant du cumul des baisses d’impôts opérées, correspond exactement aux 60 milliards d’euros que le Premier ministre cherche à économiser pour se conformer au nouveau COPS (Pacte de stabilité et de croissance). Le projet de budget 2025 prévoit, En faitfaire payer à la communauté le rétablissement des privilèges fiscaux des riches (impôt forfaitaire sur les revenus du capital, suppression de l’ISF, suppression de l’impôt sur les dividendes, baisse de l’impôt sur les sociétés, baisse des impôts de production, pérennisation du CICE, etc.), dont l’efficacité est mise en doute par les rapports de France Stratégie.

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Certes, pour calmer la révolte citoyenne qui couve, un prélèvement exceptionnel et temporaire de 20 milliards sera effectué pendant deux ans sur les grandes entreprises et les hauts revenus, avec l’accord du Medef, mais le bilan reste globalement positif pour les « premiers de cordée ». Dans leurs amendements, les députés macronistes d’un plus fort fort pour plaider en faveur d’une « stabilité fiscale » afin d’éviter de revenir sur l’essentiel des cadeaux fiscaux accordés, conformément aux vœux de l’Association française des entreprises privées (AFEP).

Par ailleurs, pour garantir cet objectif budgétaire, les dépenses en faveur de l’emploi, des services publics et de la protection sociale seront drastiquement réduites de 40 milliards d’euros afin d’éviter, à l’avenir, de devoir recourir à d’éventuelles augmentations d’impôts.

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Pour l’économiste, la politique budgétaire menée depuis 2017 s’apparente au schéma de l’équivalence ricardienne inversée. Alors que dans le modèle de Barro, l’austérité conditionne la baisse des impôts, censée se répercuter sur la croissance, la politique macronienne repose sur un nouveau théorème : la baisse des impôts d’hier entraînerait la réduction des dépenses d’aujourd’hui. aujourd’hui et la croissance de demain.

Hélas pour les Mozart

Malheureusement pour le « Mozart de la finance », les baisses d’impôts d’hier ont réduit les recettes fiscales d’aujourd’hui et le théorème s’avère notoirement faux lorsque le multiplicateur budgétaire est positif.

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Comme il est probable qu’il sera supérieur à l’unité, une contraction des dépenses publiques et fiscales de 60 milliards générera un effet récessif au moins équivalent, compromettant les hypothèses de croissance sur lesquelles repose la nouvelle trajectoire négociée avec Bruxelles pour réduire le déficit. publique à 3% du PIB en 2029… Les recettes fiscales censées réduire la dette ne seront pas plus là demain qu’aujourd’hui. La politique menée n’est donc pas crédible et devra tôt ou tard être censurée.

 
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