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La chronique « philosophie » de Roger-Pol Droit

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Le philosophe et écrivain français Marcel Gauchet pose lors d’une séance photo le 23 septembre 2021 à Paris. (Photo de Bruno Coutier / Bruno Coutier / Bruno Coutier via AFP) BRUNO COUTIER VIA AFP

« Le nœud démocratique. Aux origines de la crise néolibérale », par Marcel Gauchet, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 252 p., 20 €.

Ce n’est pas une petite crise. Ce que vivent actuellement les démocraties du monde entier est un profond bouleversement. Ce que nous voyons en surface, ce sont les tensions des dernières décennies entre néolibéralisme et populisme. D’un côté, la mondialisation, les entreprises plus puissantes que les États-nations, le capitalisme sans limites, les élites sans frontières. De l’autre, des nationaux qui vivent quelque part et se retrouvent appauvris, dépossédés des décisions, persuadés de ne plus être entendus, écoutés. Tout concourt à donner à cette fracture multiforme une explication économique qui paraît évidente, efficace et suffisante.

L’historien et philosophe Marcel Gauchet n’est pas d’accord avec cette vision désormais répandue. Il ne nie évidemment pas l’impact des processus économiques, mais affirme qu’ils sont en réalité des conséquences et non des causes. Le capitalisme serait l’enfant de l’histoire, pas son père. Quelle histoire ? Celle du socle de représentations fondatrices dont dépend, souterrainement, la structuration des sociétés. Sous l’économie, il conviendrait donc de chercher une autre infrastructure, où s’opèrent les métamorphoses de la politique, du droit et de l’histoire. Et même la place accordée à l’économie. Comme nous pouvons le constater, ce n’est pas un mince changement de perspective.

Comment expliquer, dans cette perspective, la crise actuelle ? Pour Marcel Gauchet, il s’agit d’une crise « de la » démocratie plutôt que « de la » démocratie. Il y a en effet des exacerbations de principes : d’un côté, les droits des individus et leurs libertés personnelles, de l’autre, la souveraineté populaire et le pouvoir des citoyens en tant que corps. Reste à comprendre pourquoi et comment cette tension ancienne entre l’individuel et le collectif, longtemps surmontée, s’est métamorphosée en conflit aigu depuis la dernière partie du XXe siècle.e siècle.

Dernière étape pour quitter la religion

C’est là que le texte se révèle extraordinaire. Le penseur réussit en effet une synthèse et un approfondissement de l’ensemble de son œuvre, un achèvement de maîtrise et d’intelligence. Il analyse la rupture néolibérale comme l’étape ultime, tardive mais décisive, de la sortie de la religion impulsée depuis plusieurs siècles par l’invention de la démocratie moderne. Avec Le désenchantement du monde (Gallimard, 1985) et L’avènement de la démocratie (Gallimard, quatre volumes, 2007, 2010 et 2017), Marcel Gauchet a scruté avec attention la transition des sociétés anciennes aux démocraties modernes. Les premiers sont soumis à une loi qu’ils n’ont pas décrétée, celle d’un Autre invisible, extérieur, supérieur et antérieur, et œuvrent à renouveler indéfiniment le passé. Ces derniers se génèrent eux-mêmes, se donnant souverainement leurs propres règles, tournés vers l’avenir, toujours à construire, d’une histoire ouverte.

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