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« Le 7 octobre raconte toute l’histoire d’Israël »

Le JDD. Pourquoi êtes-vous allé à la rencontre des victimes du 7 octobre et de leurs proches ?

Sébastien Spitzer. J’y suis allé pour vivre la situation, la ressentir, la saisir, pour trouver les mots. Après le 11 septembre 2001, il y a eu le 7 octobre 2023. C’est une date colossale. Un véritable tournant dans notre histoire, et l’actualité nous le rappelle chaque jour. Pour aborder un tel événement, j’ai voulu me fondre dans l’histoire de ceux qui l’ont vécu, le plus fidèlement et le plus fidèlement possible. En fait, le 7 octobre raconte toute l’histoire d’Israël. Les espoirs des pacifistes. L’oppression des civils dans la bande de Gaza sous le joug du Hamas. Illusions et horreur. Je me suis rendu dans les kibboutzim dévastés, dans les hôtels au bord de la mer Morte où se sont réfugiés certains survivants. Je suis également allée en Cisjordanie, et notamment à Bethléem, pour prier la veille de Noël avec des femmes palestiniennes dans la Grotte de la Nativité. Avec ce livre, j’ai voulu montrer, ressentir et comprendre toutes les nuances du drame.

Comment, personnellement, avez-vous vécu le 7 octobre ?

Mon nom est d’origine juive, je suis catholique et je parle arabe. Le 7 octobre, ma conscience a été littéralement déchirée. J’ai étudié le Proche et Moyen-Orient à Sciences Po. J’ai vécu à Beyrouth, j’ai fait des reportages en Iran et en Afghanistan lorsque j’étais journaliste. J’ai même interviewé Hassan Nasrallah (le leader éliminé du Hezbollah) en tête-à-tête en 1996 ! J’avais donc une certaine idée du conflit. Mais le 7 octobre, toutes mes abstractions, toutes mes représentations du conflit israélo-palestinien ont volé en éclats. Le pire est arrivé ! Aucun esprit ne peut se préparer à vivre cela. Tous les événements sont désormais vécus pour moi à la lumière de ce moment.

Une rencontre vous a particulièrement bouleversé ?

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La première rencontre : Jonathan Silver. Ce jeune homme est le fils de Viviane Silver. Ce dernier, aujourd’hui âgé de 70 ans, a milité pendant des décennies pour la paix. Pendant trente ans, elle a fait des allers-retours entre la bande de Gaza et les hôpitaux israéliens pour emmener des Palestiniens se faire soigner. Pendant trente ans, elle a organisé des marches avec des femmes palestiniennes et israéliennes, ensemble, main dans la main, dans les pas de l’autre, avec leurs foulards turquoise pour plaider pour la paix. Viviane Silver a été assassinée le 7 octobre dernier, aux petites heures de la journée. Elle fut l’une des toutes premières victimes. Ce jour-là, juste avant de mourir, elle était au téléphone avec son fils. Dans son dernier message, elle lui écrit : « Mon fils, je sens ta présence. »

Le premier réflexe de Jonathan, son fils, fut de dire : « J’ai été lâche d’avoir abandonné le combat de ma mère pour la paix. » Elle savait ce qui l’attendait. Elle luttait contre la guerre et elle se retrouvait face à ces terroristes. Son fils a décidé de reprendre son combat, celui de sa mère pour la paix. La première fois que je l’ai rencontré, il n’y avait aucune haine dans ses paroles. Il n’y avait aucun désir de vengeance. Il prononça cette phrase étonnante et déchirante : « On ne venge pas les bébés en tuant des bébés. La vengeance n’a jamais été une stratégie militaire. »

On comprend, en vous lisant, que les proches des victimes s’opposent à la politique menée par Netanyahou… Cela signifie-t-il qu’il faut abandonner les otages ?

La plupart des victimes étaient opposées à Netanyahu avant le 7 octobre. C’étaient des pacifistes. Ils étaient les pacifistesdes colombes ! Avec le 7 octobre, ils ont ressenti une double douleur, non seulement parce qu’ils avaient vécu cette tragédie, mais aussi parce qu’elle durerait aussi longtemps que leurs proches seraient retenus là-bas, à Gaza pour la plupart, dans les tunnels. , au risque de périr aux mains de leurs bourreaux ou sous les bombes de leur propre armée. Quel terrible piège tendu aux otages, aux familles des otages et même aux civils palestiniens. Les terroristes islamistes du Hamas les utilisent comme bouclier humain. Nous avons tous vu les images de ces tunnels creusés sous la chambre d’un enfant palestinien, aux murs recouverts de dessins de Mickey !

Quel regard portez-vous sur l’importance du conflit en France ?

Je suis romancier, j’ai été journaliste et aujourd’hui j’anime des ateliers d’écriture à Sciences Po. À mon retour d’Israël en décembre dernier, j’ai repris mes cours dans un contexte tendu, avec la mobilisation de quelques petits groupes étudiants pro-palestiniens. Et puis, le leader de LFI, Jean-Luc Mélenchon, est venu donner une conférence, ou plus précisément tenir une réunion. Je me suis glissé dans la salle de conférence pour le voir de mes propres yeux, pour le ressentir. L’amphi Boutmy était rempli d’étudiants engagés dans sa cause. Mélenchon a littéralement enflammé les esprits. Quelques jours plus tard, la candidate LFI aux élections européennes Rima Hassan appelait à “soulèvement”un terme à forte connotation, que l’on peut traduire par « intifada » en arabe. L’extrême gauche a soufflé sur les braises pour semer le chaos à Sciences Po.

Est-ce que cela a eu un impact sur vos élèves ?

Au début, dès février, j’ai partagé mon expérience avec eux. C’est le but de cet atelier : comment écrire l’histoire ? Comment décrire un événement ? Après le décès de Mélenchon, j’ai senti la fracture. La tension. Blocages à répétition. Absences… Lors du dernier atelier d’écriture, pour faire le point, je leur ai demandé comment ils avaient vécu cette année. Les deux tiers de la classe ont répondu qu’ils avaient eu peur, peur d’exprimer une opinion, peur de débattre ! Nous sommes tous responsables de cette situation. Nous les enseignants, mais aussi les gens de lettres, les parents, les citoyens, les politiques. La démocratie est basée sur le débat. Si on ne peut plus débattre, si on ne peut plus évoquer une idée en nuance, c’est la fin de la démocratie et le début de la tyrannie. Il faut beaucoup de volonté pour sortir de ce piège, une vraie volonté politique !

“Si on ne peut plus débattre, c’est la fin de la démocratie”

Après l’intervention terrestre de Tsahal au Liban, craignez-vous une escalade du conflit ?

L’Iran a perdu ses avant-postes autour d’Israël. Le Hamas est en mauvaise posture. Le Hezbollah n’a plus de chef. Les missiles tirés par l’Iran ont rebondi sur le Dôme de Fer, le système de défense antimissile qui protège l’Etat hébreu. Mais la menace demeure. Israël est engagé dans une longue guerre existentielle. Cela dure depuis des années. Pendant un temps, dans les années 1980, ils se disaient marxistes. Aujourd’hui, ils se prétendent islamistes et s’appuient sur l’Iran. C’est un ennemi puissant, coriace et déterminé. L’issue de ce conflit pourrait bien dépendre des prochaines élections américaines.

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Et nous danserons encore, Sébastien Spitzer, Albin Michel, 256 pages. 19,90 euros.

© Albin Michel

 
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