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Joaquin Phoenix, joker avec chœur

Quand on arrive mercredi à l’hôtel Corinthia, un palace londonien à deux pas de Trafalgar Square, les consignes imposées aux journalistes du monde entier pour s’en approcher sont inflexibles : quinze minutes montre en main ; pas de questions personnelles ni de détails sur sa transformation physique pour le film. Pas d’enregistrement avec smartphone. L’acteur s’étant montré capable, par le passé, de sortir des interviews pour une toute petite question qui ne lui plaisait pas, on tient bon, on joue le jeu.

Voilà pour nos questions sur Trump, le véganisme (auquel il s’est converti), la fin du monde et le réalisateur Todd Haynes dont il vient de crasher le prochain tournage sans aucune explication ! Tant mieux pour la consolidation de la légende et de l’énigme Phénix qui nous apparaît en pantalon de jogging, ses cheveux poivre et sel ébouriffés, affable mais aussi sur ses gardes. Encadré par une kyrielle de représentants de la Warner qui surveillent la réunion, il se concentre sur ses réponses, qu’il ponctue de tics ordinaires du discours américain (« juste », « comme ), les développer sans cesser de se frotter nerveusement les lèvres ou ses lunettes…

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Joaquin Phoenix début septembre lors de la Mostra de Venise. (Crédits : LTD/MARIA LAURA ANTONELLI/AVALON)

Qu’importe, c’est cet acteur aux traits saillants, magnétique avec son regard d’acier, sa cicatrice sur la lèvre et sa déformation de la clavicule gauche, que l’on retrouve. C’est lui qui porte le mieux cet héritage d’un cinéma habité, à la fois réaliste et capable de tous les excès. Son Joker accidenté, que l’on retrouve ici reclus dans une prison de haute sécurité assommé sous antidépresseurs, puis au tribunal éveillant sa puissance maléfique devant témoins, entraîne le spectateur dans des montagnes russes pour le moins sensationnelles, l’une après l’autre. d’autres muets, touchants, poignants, effrayants, mais aussi romantiques, chantants et claqués !

Sur tous les fronts, l’acteur, qui fêtera ses 50 ans le 28 octobre, livre une performance totalement captivante, sombre mais passionnante, aussi physique qu’introspective, digne d’un Hamlet au bord du gouffre, d’un méchant de Richard III. ou un De Niro au sommet de son art. Ça tombe bien : Robert De Niro, qu’il a tué dans le premier Joker, est une référence absolue pour Phoenix, qui parle souvent de Taxi Driver comme d’un choc fondateur. C’est ainsi qu’il l’a formulé en 2017 dans Le monde : « Nul doute que nous sommes touchés par ces œuvres fondatrices qui font aimer un art, un style. Nul doute que nous passons le reste de notre vie à courir après cette sensation originelle. Pour moi, c’était Chauffeur de taxi. Et plus tard Raging Bull, Le Parrain… »

Comme Catherine Deneuve qui, à ses débuts, perdit tragiquement sa sœur, Françoise Dorléac, alors promise à devenir une star, le frère cadet de l’étoile filante River Phoenix, – décédée sous ses yeux d’une overdose en 1993 – est marqué par le destin. A l’image du bon vieux farceur qui, aux cartes, défie et transgresse la logique du jeu, Joaquin Phoenix fait partie de ces caméléons que l’on redécouvre transformés de film en film et pas par n’importe quel réalisateur: Gus Van Sant, James Gray, M. Night Shyamalan, Jacques Audiard, Lynne Ramsay.

Certains pensent qu’il a empoché près de 20 millions de dollars pour le rôle et qu’il ne perdra pas 20 livres pour correspondre à nouveau à un personnage. Une chose est sûre, Joaquin Phoenix ne se retient pas, surtout lorsqu’il s’agit d’incarner ce fascinant Joker, personnage de super-vilain qui lui a valu l’Oscar du meilleur acteur en 2020.

LA TRIBUNE DIMANCHE – Folie à deux passe de la tragédie violente à la comédie musicale romantique. Aviez-vous des réserves sur ce mélange des genres ?

JOAQUIN PHÉNIX – Non, car ce choix m’a semblé offrir une suite logique et intéressante au premier Joker. Une grande partie de la transformation du personnage d’Arthur Fleck en Joker s’exprime à travers la danse et la musique. Dans le premier film, il y a la scène dans la salle de bain où apparaît le Joker et la scène finale à l’asile d’Arkham. Il commence à chanter C’est la viepar Frank Sinatra. Bien sûr, c’est très silencieux et c’est littéralement interne. Mais la musique est là, comme le prolongement naturel de ce moment. Et dans le deuxième film, le personnage reste largement silencieux pendant les dix premières minutes. Lorsqu’il parle vraiment pour la première fois, c’est après avoir croisé le regard de Lee. [jouée par Lady Gaga] et en chanson. J’ai trouvé cette idée fascinante.

Joaquin Phoenix dans “Joker, Folie à Deux”, de Todd Phillips. (Crédits : LTD/Warner Bros. – DC Entertainment/coll.ChristopheL)

Il a été question de faire monter le Joker sur scène à Broadway, un projet abandonné dans le contexte de la pandémie en 2020. Êtes-vous heureux qu’il soit devenu un film et non un spectacle ?

Ce sont deux choses complètement différentes. En 2020, avec Todd, nous avons juste eu des idées sur ce que nous pourrions faire avec ce personnage que nous avions. Nous avons alors imaginé des versions très différentes, et à quoi pourrait ressembler une version scénique dans une petite salle ou dans un très grand théâtre de Broadway en fait. Je pense que c’était amusant de jouer avec cette idée, mais finalement, le plus intelligent a été de suivre Todd Phillips et Scott Silver, son co-scénariste, là où ils nous ont emmenés.

Quelle est votre propre relation avec les chansons célèbres dans lesquelles vous chantez Folie à deux ?

Je n’en ai pas vraiment. Bien sûr, vous savez, ce sont des classiques et Bewitched est l’une des plus belles chansons jamais écrites, mais il y en a certaines que je ne connaissais même pas. Le plus important c’est qu’ils s’inscrivent dans la logique et la texture musicale du premier film avec Frank Sinatra, Sammy Davis Jr, des choses comme ça. Et la clé est qu’ils rattrapent et possèdent Arthur. Je les chante comme lui, comme quelqu’un qui a grandi en écoutant ces chansons à la radio, pas comme on pourrait s’y attendre dans une comédie musicale traditionnelle.

Le Joker (Joaquin Phoenix) et Harley Quinn (Lady Gaga) (Crédits : © LTD/Niko Tavernise/Warner Bros. Entertainment Inc.)

Comment s’est passée votre collaboration avec Lady Gaga ?

Je ne l’avais jamais rencontrée avant que Todd m’informe qu’il voulait l’embaucher. Nous sommes allés chez elle et elle avait de très bonnes idées, elle était chaleureuse et j’ai adoré sa façon de parler de musique. Elle connaît son sujet. Évidemment, j’ai apprécié, sachant que nous travaillerions en étroite collaboration. Mais je ne suis pas une chanteuse pour un sou, je ne chante même pas pour m’amuser et c’était inconfortable de devoir commencer devant elle ! Mais c’est ce genre d’épreuve qui rapproche les gens, n’est-ce pas ? Je pense qu’elle a vu à quel point j’étais nerveux à l’idée de chanter devant elle et cela a dû la toucher. Et puis… je ne sais pas, tu travailles, tu répètes la danse, le chant, c’est très intime et c’est beaucoup de temps ensemble tous les jours.

En pensant à tous les personnages que vous avez joués, il semble que vous ayez toujours envie de prendre des risques, que vous aimiez sauter dans le vide.

Et voyez où j’atterris, oui… Mais je ne sais pas. Je me dirige simplement vers ce qui me semble intéressant, excitant, inspirant, sachant que cela sera forcément exigeant en termes d’efforts et de temps. Un projet trop prédéterminé à l’avance, un scénario ou des idées de mise en scène trop conventionnelles, je trouve ça oppressant, précipité et sans vie, un peu comme certains films à la télé ou autre… Je me sens plus intéressé par les choses qui me mettent mal à l’aise. , pour une raison quelconque, et si je ne comprends pas tout au film, c’est parce qu’il y a là de l’espace à explorer, à découvrir.

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Chantez et dansez Joker Est-ce que cela vous a fait grandir en tant qu’acteur, cela vous a-t-il ouvert de nouvelles possibilités ?

Il est difficile de dire quel effet cela aura eu sur moi et si j’ai changé en tant qu’acteur mais bien sûr, chaque expérience nous change. C’est toujours bien de se confronter à des tâches ou des situations qui nous mettent mal à l’aise, c’est de mettre son cerveau au défi, surtout quand on a atteint l’âge où le cerveau ralentit… Par exemple, comme j’avais suivi des cours de claquettes quand j’étais enfant, j’imaginais que Je retrouverais le même niveau, mais non. Et ça n’a pas fait de mal de s’y remettre ! J’aime cette démarche, ainsi que le fait d’avoir travaillé les chansons sur l’émotion avant tout, et pas seulement sur la qualité de l’interprétation. Une scène de colère ne se mesure pas à la force ou à la qualité du cri. Pareil pour le chant, il ne s’agissait pas de trouver la bonne note mais de ressentir le moment où, pour le personnage, chanter est son seul moyen de s’exprimer. Ce travail m’a beaucoup touché et m’a sans doute aussi appris. Mais je ne pourrais pas vous dire comment plus précisément.

Avez-vous parfois l’impression de faire une erreur, de rater votre cible ?

Je ne sais pas, mais je n’ai jamais l’impression d’avoir complètement réussi et c’est probablement sain, ça me rend curieux.

Deux têtes folles (3⭐/4)

Exactement cinq ans après le fascinant Joker qui avait séduit les critiques et rapporté près d’un milliard de dollars, le réalisateur (Très mauvais voyage) prend les mêmes et recommence : un cinéma majeur (Warner), beaucoup d’argent (ce Joker 2 aurait coûté 200 millions, soit presque quatre fois plus que le premier !) et bien sûr Joaquin Phoenix. Son Jokerle double maléfique d’Arthur Fleck, comédien raté et maigre, est ici jugé pour les meurtres qu’il a commis dans le premier opus. Son avocat plaide la démence. La société de Gotham City, moins indulgente, moins réfléchie, ne voit que le Joker et se déchire. Est-il un dangereux psychopathe ou un justicier radical, un messie ? L’audace du film est de combiner cette fable délétère avec une romance musicale avec Lady Gaga dans le rôle de la chérie. La pop star fait de son mieux avec un personnage très présent mais insaisissable… En fait, on ne comprend pas toute la logique du scénario mais on se laisse prendre par la puissance de l’ensemble, un climat à la fois hallucinatoire et des décors réalistes, spectaculaires et bien sûr ces moments de comédie musicale qui vous font respirer surréaliste quand, tout à coup, Phoenix et Gaga chantent a cappella des standards envoûtants comme Soyez heureux ou Ne me quitte pas. Mais ne lâchent pas leurs inquiétants masques schizophréniques, comme pour achever le paradoxe de cette situation. Jokerqui mélange les genres : efficace et hollywoodien en fait, mais peut-être pas tant dans son âme, troublé et plus inquiétant qu’il n’y paraît.

Joker – Folie à deux, de Todd Phillips, avec Joaquin Phoenix, Lady Gaga. 02h19 Sortie mercredi

 
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