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« Pourquoi tous ces morts ? »

Les feux de l’enfer. C’est ce que vit Beyrouth depuis deux jours. Le calvaire a commencé à 18h30 ce vendredi. Des explosions secouent alors la capitale libanaise. La puissance des frappes était telle que l’onde de choc a été ressentie jusqu’à 30 kilomètres de la ville. En quelques secondes, au moins six bâtiments ont été rayés de la carte. D’immenses panaches de fumée envahissent le ciel. L’attaque a été rapidement revendiquée par Israël, qui a affirmé avoir lancé une frappe aérienne sur le siège du Hezbollah, dans la banlieue sud de la capitale considérée comme un fief du mouvement chiite.

Quelques minutes plus tard, l’étonnement et la panique s’emparaient de Beyrouth. Les habitants s’enfuient, les secours sont dépêchés sur place, leurs sirènes hurlent. Le spectacle est effrayant : les bombardements n’ont laissé, à la place des bâtiments, qu’un immense cratère de plusieurs mètres de profondeur, des tonnes de gravats et de poussière grise. Combien de personnes sont mortes dans cette grève ? Aucun bilan officiel n’était disponible hier mais le journal israélien Haaretz évaluait vendredi soir le chiffre de 300 morts. ” Mon fils a crié, je l’ai entraîné dans notre couloir pour le mettre en sécurité, témoigne Hanna, une habitante du quartier. Je pensais que les bombes tombaient sur nos têtes. Nous étions terrifiés, les fenêtres tremblaient. »

« Le sang du Liban »

Un flot de bombes

Immédiatement, la population s’est repliée, les magasins ont fermé, les gens ont pu partir vers la montagne, une zone considérée comme plus sûre, ou pour rendre visite à des proches. Les Libanais s’interrogent sur le sort de Hassan Nasrallah. Est-il vivant ? Est-il mort ? Des sources du parti chiite affirment d’abord qu’il « c’est bien ».

Effrayés et choqués, les Beyrouthins ignorent encore qu’ils ne sont qu’au début de leur nuit cauchemardesque. Peu avant minuit, Israël prévient : il va frapper trois nouveaux immeubles dans la banlieue sud, dont les sous-sols serviraient de « dépôts d’armes » au Hezbollah. L’armée israélienne a ordonné à deux reprises aux habitants de certains quartiers de quitter leur domicile. Terrifiés, ils quittent leur domicile au plus vite. Et ils s’enfuient. En voiture quand ils le peuvent, à pied, dans l’obscurité de la nuit. Les visages sont vaincus, désorientés. La plupart ne savent pas où se réfugier. Des centaines de personnes s’échouent sur la plage publique de Ramlet el-Baïda, d’autres grimpent sur la corniche. Certains préfèrent se rendre place des Martyrs, au centre-ville de la capitale. Les plus chanceux ont eu le temps d’emporter avec eux un paquet simple confectionné à la hâte.

Moins d’une heure après l’ordre d’évacuation, une vague de bombes s’abat sur la banlieue sud de Beyrouth. En continu. Au total, des dizaines de bâtiments seront concernés. Certains n’ont pas résisté et se sont effondrés. ” C’était terrifiant, on entendait le sifflement des missiles qui passaient au-dessus », raconte Tony, un architecte vivant à Hazmieh, à 6 kilomètres de la capitale. Les explosions se sont poursuivies sans relâche jusqu’à 5h30 du matin, laissant à peine une trentaine de minutes de répit. ” On n’a pas dormi de la nuit, c’est pire qu’en 2006 », poursuit Tony. Durant cette guerre de trente-quatre jours entre les deux ennemis de longue date, Israël et le Hezbollah, les banlieues sud ont été presque entièrement rasées.

A Furn el-Chebbak, Rosie, une mère de famille, est au bord de la dépression nerveuse. “ Je n’en peux plus, je n’en peux plus, ces horreurs, je n’en peux plus », sanglote-t-elle au téléphone. Elle s’emporte : « Pourquoi tout cela, pourquoi tous ces morts, pourquoi est-ce au Liban de payer à chaque fois la note des autres ? » Loubna, traductrice d’une quarantaine d’années, est dévastée. ” N’importe quel chef militaire penserait à son peuple et arrêterait ce carnage, nous en avons marre de tout ça ! s’exclame celui qui était jusqu’alors favorable à la « résistance », nom donné au Hezbollah par ses sympathisants. Surtout après cette horrible nuit. » Depuis l’enfance, elle a vécu toutes les guerres, tous les drames, et l’occupation du Sud aussi. Mais cette fois, c’est trop. ” Devons-nous vraiment, Libanais, mourir pour les autres ? Pourquoi mon fils de 10 ans doit-il endurer ce que j’ai vécu toute ma vie ? » dit-elle, hantée par les cris de son enfant, terrifié par les explosions.

Des rues vides Hier à midi, Joseph, directeur général d’un grand groupe encore sous le choc, déambulait dans les rues du centre de la capitale. ” C’était videdit-il alors que les grèves reprennent. Les quelques passants craignaient des représailles et cherchaient avant tout à fuir. Je n’avais jamais vécu une nuit de bombardement aussi intense, pas même en 2006.. » Jusqu’au communiqué hier du Hezbollah confirmant la mort de Hassan Nasrallah, Mohammad, un habitant de Bourj el-Brajné, ne voulait pas croire que le dit teint – nom donné aux hauts dignitaires musulmans – a été éliminé lors de la grève de vendredi. ” S’il est mort, c’est en martyr, mais nous serons quand même victorieux », a-t-il finalement lâché. Egalement contraint d’évacuer, il s’est enfui avec sa femme et ses enfants, armés uniquement de leurs papiers d’identité.

Professeur de français, Carole a décidé de fuir Beyrouth à tout prix. Direction le nord pour se mettre à l’abri, en attendant de trouver un billet d’avion pour l’étranger. Cependant, la plupart des compagnies aériennes ont interrompu pendant plusieurs jours leurs vols à destination et en provenance de la capitale libanaise. Hier, l’Agence de la sécurité aérienne de l’Union européenne a également recommandé d’éviter les espaces aériens du Liban et d’Israël. “ Nous sommes face à l’inconnu, nous ne savons pas ce qui se passera si les Israéliens continuent de nous bombarder ; et s’ils le font, où frapperont-ils ? » demande-t-elle alors qu’un drone israélien survole la ville. Et de s’exclamer : « Pourquoi personne ne condamne-t-il, pourquoi les Américains ne font-ils rien ? Nous sommes fatigués de mourir pour les autres. » Pour autant, la peur ne semble pas vouloir quitter Beyrouth de si tôt. Hier après-midi, des bombardements ont encore secoué la banlieue sud, touchant notamment deux immeubles.

 
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