L’envie de faire « Spectateurs ! » est-elle née de l’envie de faire un projet à la Jean-Luc Godard… mais en plus accessible ?
Au moment où nous écrivions, Godard a choisi de mourir… Évidemment, j’ai senti, comme dans Don Juan, la main du commandant m’écraser l’épaule. J’ai vu plusieurs fois “Histoire(s) du cinéma” et ma façon de m’en sortir est d’avoir caché plusieurs citations de Godard dans le film tout en me disant que, finalement, il avait voulu faire un portrait des réalisateurs. . Mon projet est plus humble : c’est nous, les spectateurs, qui sommes dans la salle. Les gens du cinéma, dont je fais partie, même si j’ai réalisé un certain nombre de films.
Votre cinéma a souvent été influencé par François Truffaut, dont la présence plane aussi sur « Spectateurs ! ». Était-ce la volonté de rapprocher ces deux figures de la Nouvelle Vague, généralement opposées ?
Ces chiffres étaient également unis. C’étaient deux frères. Je me souviens du très beau texte écrit par Godard à la mort de Truffaut, où il parlait de son cancer de la tête… Ils écrivaient aussi ensemble à leurs débuts. Il y a eu beaucoup d’échanges entre eux, beaucoup d’amitié aussi. Puis leurs chemins se sont séparés. Il m’est facile de revenir sur cette histoire, étant donné que mon père était un « godardien » inconditionnel. Au début, je n’aimais pas Truffaut, son cinéma ne me paraissait pas intéressant. Ce n’est que plus tard, comme je le raconte dans la scène avec Salif Cissé, qu’à la manière de Claudel qui va à Notre-Dame et voit arriver la lumière divine, j’ai compris qu’il était très fort et que je ne le connaissais pas. assez bien. Par conséquent, j’ai une rage convertie…
Comment avez-vous choisi les extraits, qui mélangent beaucoup de films différents ? En avez-vous revu beaucoup ?
Pas tellement… J’ai utilisé ma mémoire flottante, la mémoire du spectateur. Ce qui est curieux, c’est que ces choix ne reflètent pas exactement ma cinéphile. Par exemple, j’ai choisi beaucoup de films chinois, très peu de films japonais… même si mon cinéphile est bien plus japonais que chinois. Ce n’est pas mes goûts qui comptent, mais ceux de tout le monde. J’aime le fait qu’au cinéma il n’y a pas de différence entre ce qui est noble ou ce qui est beaucoup plus clair, c’est-à-dire aucune différence entre l’art classique et l’art moderne. Ils forment un seul bloc. J’ai donc voulu mélanger un flux de films, comme un gamin qui voit des bribes d’images venant de partout à la télé. Parmi le lot, il y en a que j’adore, comme « Minority Report » et d’autres que je n’aime pas beaucoup, comme « King Kong » de John Guillermin… que j’ai pourtant apprécié en son temps. Le défi est de dire qu’une fois qu’on est dans la salle, on n’a plus d’échelle de valeur. C’est aussi la raison pour laquelle je me permets de comparer « New York-Miami », un classique de Frank Capra datant des années 1930 où une couverture sépare l’homme et la femme, au « Coup de foudre à Notting Hill ». ‘ qui vient de l’ère moderne, avec une feuille qui sépare Julia Roberts de Hugh Grant. Cela nous permet de dire que les formes jouent un rôle important. J’aime penser que le cinéma est une démocratie, où tous les films sont libres et égaux en droits.
Une bonne partie du film est consacrée au choc que vous avez eu en découvrant “Shoah” de Claude Lanzmann. Pouvez-vous revenir sur cette expérience ?
Ce qui s’est passé dans mon cas avec Shoah peut arriver à de nombreux films. Pour le critique Serge Daney, c’était « Rio Bravo ». En sortant du film de Claude Lanzmann, j’ai dit que je venais de voir quelque chose d’exceptionnel. Les gens ne me croyaient pas. C’est-à-dire que j’ai été placé dans la même situation que les personnages du film. Du coup, vous devez démontrer votre pouvoir en tant que spectateur. Autour de moi, les gens me disent qu’on ne va pas voir “Shoah” parce qu’on sait qu’il y a le film “Nuit et brouillard” d’Alain Resnais et qu’on a tout appris à l’école… Pour ma part, je je n’ai pas trouvé les mots pour expliquer pourquoi ce film est un chef-d’œuvre… Il m’a fallu des années pour y parvenir et c’est pourquoi je fais ce voyage vers Shoshana Felman [la critique littéraire/philosophe
/professeure réputée pour ses ouvrages sur l’holocauste, ndlr]ce qui m’a aidé à comprendre ce que j’avais vu… Depuis, j’ai beaucoup montré ce film en salles et, à chaque fois, j’arrive à convaincre. Quand je filme cet échange, je filme la gratitude. Celui d’un spectateur de 12 ans, désormais âgé et qui dit à une dame : merci, vous m’avez donné la clé.
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Histoire
Qu’est-ce qui va au cinéma ? Pourquoi y allons-nous depuis plus de 100 ans ? « Je voulais célébrer les cinémas, leur magie. Aussi, j’ai suivi le parcours du jeune Paul Dédalus, tel un roman d’initiation pour spectateur. Nous avons mêlé souvenirs, fictions, enquêtes… Un torrent d’images qui nous emporte… »
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Entre montages d’extraits de films, documentaires et fictions, où apparaît son double Paul Dédalus (plusieurs comédiens l’incarnent cette fois), Arnaud Desplechin témoigne de l’expérience d’être « Spectateurs ! « . Une formidable déclaration d’amour, sincère et puissante, au cinéma qui ne cesse de chercher l’origine du pouvoir des images et comment certaines d’entre elles nous bouleversent.
Une approche proche de « Histoire(s) du cinéma » de Jean-Luc Godard, qui reste cependant plus accessible, moins élitiste. Les références sont clairement citées et le réalisateur de « Rois et Reines » n’hésite pas à faire des parallèles entre œuvres pointues et œuvres populaires, sans tomber dans le piège de donner des leçons. Les passages fictionnels raviront les amateurs de son cinéma par leur mélancolie.
Voir Arnaud Desplechin filmer d’autres souvenirs de sa jeunesse, comme sa première fois dans une chambre noire, ses organisations de ciné-club, flirter après une séance, expliquer la force de la mise en scène de François Truffaut dans l’introduction de « 400 plans » ou assister à un cours pendant dont un professeur, interprété par Micha Lescot, définit la différence de perception entre le théâtre et le 7ème art comme des petits moments exquis. De manière inattendue, l’auteur brise également le quatrième mur en apparaissant à l’écran lors d’une séquence riche de sens, qui montre tout l’impact que l’expérience cinématographique peut avoir sur une vie.
> Par Arnaud Desplechin (France). Documentaire. 01h28