A quelques jours de l’investiture de Donald Trump, le propriétaire de X, Elon Musk, multiplie les provocations contre les dirigeants européens. A commencer par le gouvernement travailliste de Keir Starmer au Royaume-Uni, où le milliardaire américain a fait resurgir un vaste scandale de viols en série. En Allemagne, Elon Musk a affiché à plusieurs reprises son soutien au parti radical d’extrême droite, l’AfD. Décryptage.
L’époque où les dirigeants européens se battaient pour gagner les faveurs de l’homme le plus riche du monde semble désormais bien loin. Le début du mois de janvier 2025 a été marqué par la multiplication des diatribes toujours plus véhémentes contre Elon Musk, qui a lancé, ces dernières semaines, une véritable offensive en Europe. “Il y a dix ans, si on nous avait dit que le propriétaire de l’un des plus grands réseaux sociaux au monde soutiendrait une nouvelle internationale réactionnaire et interviendrait directement dans les élections […] Qui l’aurait imaginé ? »» a ainsi accusé Emmanuel Macron, ce lundi 6 janvier, lors d’un discours devant les ambassadeurs de France.
Pas besoin de le nommer directement. Ses interlocuteurs savaient parfaitement à qui faisait référence le chef de l’Etat. Car ses propos interviennent au lendemain d’une déclaration du chancelier allemand, Olaf Scholz, ayant condamné, le 4 janvier, le « déclarations erratiques » du propriétaire de Tesla. Pour comprendre ces attaques successives, revenons quelques jours en arrière. A quelques semaines des élections fédérales en Allemagne fin décembre, Elon Musk soutenait ouvertement l’AfD, le parti radical d’extrême droite.
Soutien affiché de l’AfD
« Seule l’AfD peut sauver l’Allemagne »» avait alors déclaré le propriétaire de X sur son réseau social, à quelques jours de Noël. Un beau cadeau pour le parti, déjà crédité de 20 % dans les sondages, soit dix points de retard sur l’opposition conservatrice. Parallèlement, dans un article publié dans le quotidien Die Welt, le milliardaire américain affirmait également que l’AfD constituait une « la lueur d’espoir pour ce pays »saluant, entre autres, son programme qui met en avant un « politique d’immigration maîtrisée ».
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Elon Musk s’en est alors directement pris au chancelier allemand, le traitant de « imbécile incompétent »après l’attentat du marché de Noël de Magdebourg qui a causé la mort de six personnes le 20 décembre. Et, cerise sur la bûche de Noël de l’AfD, il a ensuite organisé un débat, retransmis en direct sur X ce jeudi 9 janvier, avec le leader du parti parti d’extrême droite, Alice Weidel.
« Rien dans le DSA [le règlement européen sur les services numériques] n’interdit pas un tel événement en ligne »assure le porte-parole de la Commission européenne, Thomas Regnier, qui préfère faire profil bas. Rappelons que l’institution enquête sur le réseau X depuis décembre 2023, sur la base de soupçons d’amplification de la désinformation. Pour l’instant, l’enquête n’a abouti à aucune conclusion.
Le scandale des gangs de toilettage
Dans le même temps, Elon Musk a jeté son dévolu sur le Royaume-Uni. A noter que le Premier ministre, Keir Starmer, est dans sa ligne de mire depuis l’arrivée au pouvoir des travaillistes en juillet. Au sortir des violentes émeutes anti-immigration de l’été dernier, le propriétaire de Tesla a jugé qu’un “guerre civile [était] inévitable “. Dans la foulée, il s’en prend au gouvernement travailliste, qu’il accuse de réprimer trop durement les émeutiers et de diriger « un État policier tyrannique ».
Cette fois, Elon Musk a choisi de braquer les projecteurs sur une affaire de viols en série datant des années 2010 – appelée localement le scandale de « gangs de toilettage ». Depuis des décennies, des milliers de jeunes adolescentes ont été violées et exploitées sexuellement dans plusieurs villes du nord de l’Angleterre, notamment Rotheram, Oxford, Bradfort et Rochdale. La majorité des violeurs présumés, qui se comptent par centaines, étaient d’origine pakistanaise.
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Dans le détail, pour la ville de Rotherham, dans le seul Yorkshire, au moins 1 510 enfants et adolescents ont été victimes de viols ou de violences physiques commis par des Britanniques majoritairement d’origine pakistanaise entre 1997 et 2013, selon une étude datant de 2014 et demandée par le conseil d’arrondissement de la ville. Une autre enquête, menée par le Daily Mirror et publiée en mars 2018, faisait état d’un millier de jeunes filles victimes de ces gangs à Telford, au nord-est de Londres.
Si ces affaires remontent parfois aux années 1990, elles n’ont été médiatisées qu’au début des années 2010 avec l’ouverture du procès d’un réseau pédophile à Rochdale. Ainsi, le silence maintenu sur ces scandales a pesé lourdement sur les autorités britanniques, qui auraient failli à leur devoir, ignorant les multiples signalements et dépôts de plaintes des victimes. « Lorsque la police a appris que des gangs s’approchaient des enfants aux portes de l’école, elle a caché l’information aux parents au cas où cela entraînerait des « tensions communautaires » »détaille à ce sujet un article du Télégraphepublié ce 4 janvier.
X, « un organe de propagande »
C’est là qu’intervient le propriétaire de X et ses désormais célèbres tweets, qui se comptent par centaines en l’espace de quelques jours. « [Keir] Starmer doit faire face à des accusations pour sa complicité dans le pire crime de masse de l’histoire britannique », il a posté le 3 janvier.
Il accuse le Premier ministre de ne pas avoir géré ces affaires de scandales sexuels alors qu’il était, en même temps, procureur à la tête du Crown Prosecution Service (CPS). L’occasion pour Elon Musk de réaffirmer son plein soutien au parti d’extrême droite Reform UK, actuellement dirigé par Nigel Farage. Selon certains médias britanniques, le patron de Tesla pourrait même financer cette fête à hauteur de 100 millions de dollars.
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Dans le même temps, Elon Musk a réclamé l’emprisonnement de Jess Philips, députée travailliste et ministre de la Protection de l’enfance, qui a refusé fin décembre la mise en place d’une enquête publique sur les abus perpétrés contre des adolescents dans la ville d’Oldham, préférant laisser l’initiative aux autorités locales. « Les lâches qui ont permis le viol massif de petites filles en Grande-Bretagne sont toujours au pouvoir… pour l’instant »a lancé le milliardaire sur son réseau social.
Quelques jours plus tard, il se montrait encore plus provocateur en partageant un sondage pour le savoir. « si les Américains veulent libérer les Britanniques de leur gouvernement tyrannique ». Une question à laquelle 58% de sa communauté a répondu par l’affirmative, signe que pour Elon Musk, sa plateforme est un véritable outil de communication.
« X est un organe de propagande pour ses idées nationalistes et populistes »analyse la docteure en sciences politiques et spécialiste en géopolitique de la Tech, Asma Mhalla, dans l’émission « 28 minutes » diffusée sur Arte, ce lundi 6 janvier. Et le spécialiste pour compléter : Elon Musk “organisé X comme nouvel outil d’organisation communautaire”, lui permettant d’avoir le contrôle sur la manière dont « nous organisons l’histoire, nous façonnons l’opinion et nous modélisons l’agenda politique et médiatique ».
Orban et Meloni comme alliés
« Il a avec lui une communauté de abonnés qui deviennent des milices »poursuit Asma Mhalla. Avec l’Europe et ses dirigeants sociaux-démocrates comme principales cibles. “C’est une offensive qui vise à déstabiliser tous les régimes démocratiques européens”, estime Jean-Louis Bourlanges, ancien député MoDem et ex-président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, également invité de l’émission « 28 minutes ».
Ce dernier rapporte une approche “très juste” et « anti-réveil » du propriétaire de Tesla, consistant à soutenir « courants souverainistes de droite ». À l’image du Premier ministre hongrois, le très populiste Viktor Orbán, qu’Elon Musk a rencontré début décembre lors de sa visite à Donald Trump en Floride.
Mais aussi Giorgia Meloni, la présidente du Conseil européen, qui a déjà qualifié le propriétaire de Tesla de “génie”. Et qui n’a pas manqué de souligner avec ironie le récent revirement de ses homologues européens : « Cela me fait sourire de voir ceux qui hier parlaient de Musk comme d’un génie, et qui aujourd’hui le décrivent comme un monstre, uniquement parce qu’il a choisi le « mauvais » côté sur la barricade. »se moqua-t-elle. Une manière de se positionner comme l’allié de celui qui, dans quelques jours, prendra la tête du nouveau département américain de l’efficacité gouvernementale dans l’équipe de Donald Trump.