Avant de devenir Premier ministre, il a été ministre de l’Intérieur pendant toutes les années où la France a été confrontée à certains des attentats terroristes les plus meurtriers de son histoire. Bernard Cazeneuve revient pour nous sur la crise des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher qu’il a géré en première ligne place Beauveau en 2015.
Quel est votre état d’esprit à l’heure où nous commémorons les dix ans de l’attentat contre Charlie Hebdo ?
J’ai été ministre de l’Intérieur pendant toutes ces années où notre pays a été confronté à des attentats terroristes, parmi les plus meurtriers de son histoire.
Après les crimes de Toulouse et de Montauban, la France était confrontée à une véritable course contre la montre : alors que le niveau de la menace était sans précédent, il fallait, pour protéger la Nation, augmenter significativement et dans des délais très brefs les ressources de l’État. services de sécurité et de renseignement, considérablement réduits par la révision générale des politiques publiques, mise en œuvre entre 2007 et 2012.
Il fallait également moderniser la loi sur le renseignement qui datait de 1991, c’est-à-dire d’une époque où ni internet ni les téléphones portables n’existaient encore, et renforcer la coopération entre les services de renseignement de l’Union européenne. , afin de mieux contrôler les entrées aux frontières extérieures de l’espace Schengen.
Lors des attentats de janvier 2015, la France était plongée dans le deuil et éprouvait le sentiment qu’on voulait toucher à ses fondements – dans son amour de la liberté notamment – avec l’envie de la faire plier.
Mais notre pays trouvera en lui la force de rester debout en affirmant aux yeux du monde, le 11 janvier 2015, son unité autour des valeurs de la République.
Comment avez-vous géré cette crise en tant que ministre de l’Intérieur ?
Mon obsession était de sortir de la crise en neutralisant les terroristes au plus vite. Cela a nécessité une parfaite coordination des interventions des forces de sécurité intérieure, en liaison très étroite avec le procureur François Molins avec qui j’étais lié par une relation de grande confiance.
Entouré des grands patrons des forces de sécurité intérieure et des services de renseignement dans la salle dite du Fumoir, place Beauvau, je me suis concentré sur l’objectif tout en informant en permanence le Président de la République et le Premier Ministre de l’état d’avancement des opérations, ainsi que les Français à qui nous devons la vérité. Cette stratégie nous a permis de surmonter la crise avec une immense tristesse au cœur, qui ne me quitte plus depuis.
Quelle image en gardez-vous ?
Je n’oublierai jamais le regard des policiers de la BRI et du Raid, dont le visage était caché par leurs cagoules, après leur intervention pour libérer les otages de l’épicerie Hyper Cacher.
Tout témoignait alors de leur courage, de leur fierté d’avoir sauvé des vies, du sens du devoir accompli, mais aussi de leur grande humilité, malgré la bravoure dont ils avaient fait preuve collectivement quelques minutes auparavant.
J’ai ressenti une gratitude immense et définitive pour eux et pour tous ceux qui risquent leur vie pour sauver celle de nos compatriotes.
Lorsque, le 11 janvier, les Français ont applaudi depuis les fenêtres de Paris les policiers et gendarmes qui les avaient protégés et continueront de les protéger, j’ai été ému jusqu’aux larmes.
Samuel Paty et Dominique Bernard sont décédés depuis, a-t-on tiré suffisamment de leçons des attentats de Charlie ?
Les gouvernements successifs, après 2017, ont fait ce qu’il fallait pour maintenir un niveau de vigilance à la hauteur de la menace, même s’ils ont parfois donné le sentiment que tout commençait par eux.
Je pense que le réarmement intellectuel et moral de notre pays, face au totalitarisme islamiste, doit être amplifié et que la laïcité, qui fait de l’école un sanctuaire, doit être défendue sans compromis par l’État républicain.
Aucun enseignant ne devrait désormais se trouver en mesure de renoncer à son enseignement, pour le seul motif qu’il pourrait se trouver menacé s’il voulait accomplir consciencieusement sa mission. Si cet ordre ne peut être défendu et respecté, alors la Nation tout entière sera menacée dans son unité et son indivisibilité.
Le risque terroriste est-il plus important que jamais ?
Les développements survenus en Afghanistan, et plus récemment en Syrie, et les troubles qui perdurent au Sahel, pourraient être à l’origine de nouvelles menaces, sur lesquelles il faut porter un regard lucide.
Cependant, le travail accompli depuis dix ans pour accroître les moyens des forces de sécurité intérieure et de renseignement permet à la France d’être mieux armée qu’elle ne l’était face au défi terroriste.