Au cours de sa longue carrière, Jean-Marie Le Pen, décédé le 7 janvier 2025 à l’âge de 96 ans, a multiplié les débats avec ses adversaires. Des face-à-face souvent explosifs, dont certains restent particulièrement mémorables. Notamment celle avec Bernard Tapie (décédé en 2021), le 8 décembre 1989 sur TF1.
A l’époque, le fondateur du Front National siégeait au Parlement européen. Son adversaire, ex-patron de l’Olympique de Marseille, est quant à lui un député lié à la majorité présidentielle socialiste. Tous deux sont invités aux côtés de représentants de la société civile dans le cadre d’une émission spéciale dédiée à une thématique de plus en plus importante dans le pays : la pression migratoire.
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« S’il est un sujet sur lequel tous nos invités ici présents seront d’accord […], est-ce qu’aujourd’hui, le débat le plus brûlant, le sujet le plus brûlant de l’actualité […]c’est le débat sur l’immigration et l’intégration”présente ainsi Patrick Poivre d’Arvor, animateur de l’émission – immortalisée dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel (Ina). “Ils n’ont qu’à rentrer dans leur pays”, “ils sont trop nombreux” ou, à l’inverse, “c’est une richesse pour la France”, de leur côté, ont laissé échapper les citoyens lors d’une émission au micro de trottoir avant le débat.
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Beaucoup de punchlines
Alors que PPDA rappelle les difficultés rencontrées par la première chaîne de France à organiser un tel échange – en raison du refus de nombreux élus de confronter Jean-Marie Le Pen – Bernard Tapie commence par expliquer pourquoi il a donné son accord. « Faut-il faire connaître le FN ? Personne n’a décidé […] Je crois que, fondamentalement, nous devons accepter de débattre et de rencontrer tous ceux qui ont des idées contraires aux nôtres »justifie l’ancien homme d’affaires, dénonçant toutefois la forme « très discutable » et sans “retenue” du discours du leader nationaliste, qui a un « un talent incroyable pour confondre des vessies avec des lanternes ».
Un premier tacle loin de tomber dans l’oreille d’un sourd. “M. Tapie est bien plus connu comme commentateur sportif que comme député à l’Assemblée nationale”, rétorque l’intéressé, soulignant les absences de l’ancien patron d’Adidas dans l’hémicycle et à la commission des Finances de l’Assemblée. “Dieu merci, il est bien vu depuis l’Élysée”, ajoute-t-il, faisant allusion aux bonnes relations entretenues entre le président François Mitterrand et son futur ministre de la Ville (1992-1993).
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Intégration et chômage
La suite du débat n’est pas moins agitée. Fortement interrogé sur la question de l’intégration par Salem Kacet, cardiologue originaire d’Algérie, membre de la commission du code de la nationalité et adjoint au maire de Roubaix, Jean-Marie Le Pen assure qu’il a été le premier élu tricolore. « proposer la candidature d’un Français musulman d’Algérie aux élections législatives » dans 1957. Relancé par le présentateur de TF1 (« Vous n’aimez pas beaucoup les musulmans ? »), celui qui dirige le FN – depuis sa création en 1972 – fulmine : ” Comment ça ? Mais j’en ai plein autour de moi ! »
“Ne me menace pas physiquement, il va te tuer !” »
Dans la foulée, Bernard Tapie exhume un texte de son critique du soir qui, lorsqu’il était député (de 1956 à 1952 puis de 1986 à 1988), affirmait que les Algériens et les musulmans “ne sont pas un fardeau” pour la France. “C’est vrai qu’il était pour l’intégration, donc il n’a plus aucune raison d’échauffer ses meetings en nourrissant de musulmans les fanatiques du Front national”, commente le député PS concerné. De quoi, encore une fois, faire bondir Jean-Marie Le Pen : « Vous êtes un clown, monsieur. Ne dis pas de bêtises. Et ne me menace pas physiquement, tu vas te mettre en colère ! »
Viennent ensuite sur la table des sujets connexes, non moins électriques, comme le chômage ou l’immigration clandestine – qui continue d’exploser près de trois décennies plus tard. Après un reportage sur les difficultés des autorités à endiguer le phénomène, puis le témoignage d’un pépiniériste (présenté comme électeur FN) ne cachant pas son “en avoir marre”Bernard Tapie défend son point de vue. « S’il y a du chômage, c’est à cause des immigrés. S’il y a de l’insécurité, c’est à cause des immigrés. » caricature-t-il.
Un peu plus tôt, le même disait à son adversaire frontiste : « Continuer à alimenter la haine des gens qui sont déjà touchés par le fait qu’ils ne travaillent pas […] Continuez à les nourrir des immigrés en les désignant comme responsables. C’est criminel, parce que c’est faux ! » De son côté, Jean-Marie Le Pen expose sa doctrine, qui ne variera pas tout au long de sa carrière.
“Nous sommes menacés par une vague, une submersion”
« En Europe et en France, il y a une natalité insuffisante. Et dans le Tiers Monde, une explosion démographique. […] Nous sommes menacés par une vague, une submersion. » précise-t-il, jugeant que les immigrés viennent en France non pas pour travailler, mais pour profiter de la « avantages sociaux » offerte par le pays en matière de santé ou encore de logement – le fameux “pompes aspirantes” encore dénoncée aujourd’hui à droite de l’échiquier politique.
Record d’audience
Entre leurs fameuses petites phrases et leurs visions diamétralement opposées (qui illustrent bien les divisions françaises persistantes autour de la question migratoire), Jean-Marie Le Pen et Bernard Tapie ont marqué l’histoire de la télévision avec ce débat ayant enregistré un record d’audience. Forte de ce succès, France 2 décide même, le 1er juin 1994, d’organiser un « second tour » entre ces deux bêtes médiatiques lors des élections européennes. Un nouveau choc, pour lequel le présentateur de la chaîne du service public les a accueillis avec des gants de boxe.
A l’issue de ces joutes verbales, la presse avait surtout donné le vainqueur à l’élu de gauche. Une analyse que… Laurent Tapie ne partage pas. « Sur la forme, mon père a dominé le débat. Mais avec le recul, l’une des choses dont je suis le moins fier est que les événements ont montré que, sur le fond de la discussion, ce n’est pas [lui] qui avait raison », n’a pas hésité à reconnaître le fils de l’ex-homme d’affaires au micro de l’émission “Les Incorrectibles” en octobre 2023.