l’essentiel
Le président François Hollande revient La dépêche les journées des 7 et 8 janvier 2015. Il propose également l’instauration de nouveaux rites républicains.
Comment avez-vous appris qu’un attentat avait eu lieu contre Charlie Hebdo ?
Je l’ai appris par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, qui avait eu connaissance d’une attaque sur le site Charlie sans qu’on puisse encore mesurer l’ampleur du drame. Quelques minutes plus tard, j’ai eu un témoignage de l’intérieur de Patrick Pelloux qui était sur place. Il m’a décrit, avec des torrents de larmes, ce qu’il a vu.
Aujourd’hui, quelle image ou quel sentiment gardez-vous ?
Malheureusement, j’ai subi de nombreuses attaques au cours de mon mandat. Ce n’était pas le premier mais c’était le premier qui touchait des gens que je connaissais et un journal emblématique d’une longue période. Hara-Kiri, Charlie Hebdo… La période des années 70-80 a joué un rôle important pour ma génération. Cette attaque est singulière car elle touche un journal, décime des caricaturistes connus de tous, des personnalités avec qui j’entretenais des relations amicales ou cordiales. Quant à Hypercacher, c’est un acte antisémite qui m’a rappelé les attentats que j’ai vécus lors de la campagne de 2012 et notamment celle de Toulouse…
Quel souvenir gardez-vous de la marche du 11 janvier 2015 ? Pourquoi était-ce important ?
Je considère cette marche comme historique. Ce fut la plus importante (plus de 4 millions de participants) depuis la Libération. Elle a mobilisé toutes les communes de France. Il a accueilli des chefs d’État et de gouvernement du monde entier. Cela a donné lieu à un élan de fraternité. Les policiers ont été salués comme jamais auparavant. L’unité nationale était à son apogée. En tant que président, j’étais fier de représenter un pays capable d’un tel consensus autour des valeurs de la République. C’est cette question qu’il nous faut redécouvrir aujourd’hui.
Suite à l’attentat, vous avez souhaité instaurer une journée de la laïcité dans les écoles le 9 décembre. Pensez-vous que la laïcité est aujourd’hui menacée en France ?
Le terrorisme est à la fois un acte qui nous stupéfie sur le moment et un venin qui se propage dans toute la société. Ce poison est celui de la peur, du doute, de la suspicion et de la perte des règles communes. La laïcité n’a jamais été aussi nécessaire que lorsqu’une société se fragmente et la liberté d’expression aussi essentielle lorsque des menaces apparaissent avec les nouvelles technologies comme les réseaux sociaux. La laïcité, ce sont des règles qui nous protègent. Aujourd’hui, la laïcité est contestée par ceux qui la présentent comme une atteinte à la liberté religieuse alors qu’elle garantit l’existence des religions.
Par qui la laïcité est-elle menacée aujourd’hui ?
Par tous ceux qui pensent que cette laïcité est trop rigoureuse. N’est-ce pas le Pape lui-même qui demande une laïcité plus flexible ? Or la laïcité est certes un ensemble de principes, qui s’adaptent aux circonstances et aux évolutions de la société, au fait qu’il existe un pluralisme religieux, mais ces règles ne sont pas négociables. La laïcité n’est pas simplement la liberté de conscience, c’est aussi affirmer que dans un certain nombre de lieux la religion n’a pas de place et qu’il n’y a rien de supérieur à la loi de la République. Aucune philosophie, aucune religion, aucune opinion, aucune conviction ne peut être placée au-dessus !
Le 12 juin, lors de la conférence de presse qui a lancé la campagne des législatives, Emmanuel Macron a assuré que certains partis politiques, d’extrême droite comme d’extrême gauche, constituaient une menace pour la laïcité. Qu’en penses-tu?
La laïcité est menacée par tous les mouvements qui exploitent la religion. Elle est remise en question par les salafistes qui souhaitent que l’islam soit inattaquable et qu’il puisse même s’imposer dans l’espace public. Mais sans aller aussi loin, elle est malmenée lorsque des voix s’élèvent pour s’insurger contre le fait qu’on puisse, par exemple, interdire à quelqu’un de jeûner ou de s’habiller comme il l’entend. Mais la laïcité, c’est imposer des règles communes sur un certain nombre de temps, le temps scolaire par exemple, et dans un certain nombre d’espaces.
Ce jour-là, Emmanuel Macron a proposé l’instauration de nouveaux rites républicains, est-ce une bonne idée ?
Les rites républicains, c’est apprendre la Marseillaise, respecter les symboles patriotiques comme le 14 juillet, connaître nos institutions… Peut-on en avoir d’autres ? Par exemple, une cérémonie de remise des cartes électorales serait une bonne idée. Il peut s’agir aussi de la mise en place de journées citoyennes au cours desquelles chacun devrait apprendre la constitution et les principes du vivre ensemble…
Charlie Hebdo, l’Hypercacher, comme les attentats de Mohammed Merah à Toulouse et Montauban, sont des actes antisémites… Depuis le 7 octobre, la situation a-t-elle empiré ?
C’était déjà grave au moment des attentats contre Charlie Hebdo et contre l’Hypercacher. Les actes et propos antisémites m’ont amené à protéger les synagogues et à renforcer la lutte. Depuis le 7 octobre, il y a une résurgence et la responsabilité incombe à ceux qui confondent relation avec Israël et relation avec les Juifs. Chacun peut critiquer le gouvernement israélien comme bon lui semble, et il y a de bonnes raisons de le faire, mais il n’est pas acceptable d’attaquer les Juifs parce qu’ils sont Juifs. C’est intolérable. Derrière l’antisionisme, l’antisémitisme n’est jamais bien loin. Il faut rappeler que dans l’histoire récente, ce sont toujours les Juifs qui sont les premières victimes des attentats islamistes.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les dangers de l’antisémitisme sont expliqués dans les écoles, pourtant ce sentiment revient avec force chez les jeunes…
Parce que l’antisémitisme est profondément ancré dans nos sociétés depuis des siècles. À cela s’ajoute une forme d’antisémitisme liée à la situation au Moyen-Orient qui construit un récit où les Juifs sont complices d’une répression aveugle et de crimes de guerre. Les juifs sont toujours attaqués parce qu’ils sont juifs. Pourquoi des enfants juifs ont-ils été tués à Toulouse et des clients de l’Hypercacher en novembre 2015 ? Il ne faut rien laisser passer. Nos compatriotes ont raison de considérer que notre société ne réagit pas de manière adéquate à la menace qui pèse sur eux.
Le 7 janvier, un journal a également été attaqué. Quel bilan faites-vous de la liberté de la presse aujourd’hui ?
Il y a un sujet de pluralisme de la presse, chacun connaît ses difficultés ; les réseaux sociaux qui véhiculent des « informations » non vérifiées amplifient la vulnérabilité des médias traditionnels. Il y a enfin l’autocensure, la peur de provoquer ou de susciter des réactions violentes.
Les Insoumis dénoncent une protection insuffisante de la liberté d’expression et réclament la suppression du délit d’apologie du terrorisme du Code pénal. Qu’en penses-tu?
Une loi a été votée durant mon mandat pour poursuivre la glorification du terrorisme. L’application de cette loi a parfois suscité des critiques parce qu’elle est trop étendue, mais nous ne pouvons accepter aucune tolérance à l’égard des tentations terroristes. Je ne pense donc pas qu’il soit utile aujourd’hui de corriger cette loi. Dans l’époque que nous vivons, nos concitoyens s’inquiètent légitimement de la gravité de la menace.
Pour ces 10 ans d’attentat contre Charlie Hebdo, souhaiteriez-vous, Monsieur le Président, organiser une cérémonie particulière ?
Des cérémonies sont nécessaires. 10 ans plus tard, il fallait revenir sur ce qui s’est passé à cette époque mais ce qui serait utile, c’est d’ouvrir un grand débat sur la liberté d’expression à travers des assemblées générales qui réuniraient des élus, des journalistes, des patrons de médias mais aussi des universitaires et des autorités spirituelles.