Louis Schittly est décédé mercredi 1er janvier à Mulhouse à l’âge de 86 ans. Fils de paysan, humaniste, médecin, globe-trotter, anarchiste, écrivain, grand défenseur de la langue alsacienne, Louis Schittly a eu une vie plus que bien remplie. Mille vies.
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Après avoir arpenté les terres, les avoir également cultivées dans son jardin luxuriant à Bernwiller (Haut-Rhin), Louis Schittly va pouvoir y retourner. Un repos bien mérité. LE co-fondateur de Médecins sans frontières, prix Nobel de la paix en 1999, écrivain, agriculteur, est décédé hier, mercredi 1er janvier. Il avait 86 ans.
Ce qui vit. Le pluriel n’est pas de trop pour ce fils de paysan qui a embrassé autant de métiers que de causes. Avec un seul objectif : changer le monde. Né en 1938 dans une famille paysanne à Bernwiller, marquée par les conséquences de la Première Guerre mondiale, le jeune homme souhaite devenir missionnaire. Une révélation (amoureuse) lors d’une retraite au Mont Sainte-Odile va le faire changer d’avis. Il a trouvé sa vocation : médecin. Médecin humanitaire.
Après des études à Strasbourg puis à Lille, immédiatement après avoir obtenu son diplôme, il entre à la Croix-Rouge en décembre 1968, suite à une petite annonce. Le destin dépend souvent de quelques choses, d’un insert. Il part pour le Biafra (Afrique de l’Ouest). Là, en plein conflit, il sera confronté aux horreurs de la guerre et aux privations des populations civiles, notamment des enfants. Il envisagera également de se spécialiser en pédiatrie.
A son retour en 1970, mouvementé, merci aux amitiés nouées à Biafra et ceux qu’il entretient à Paris, dont, Bernard Kouchner, il participe à la création de GIMCO (Groupe d’intervention médico-chirurgicale d’urgence). GIMCU deviendra plus tard MSF, Médecins sans frontières. Les deux hommes sont restés proches tout au long de leur vie.
Sa vie sera alors celle d’un « Médecin Français ». Il parcourt le monde, dans les zones de guerre, oublié, meurtri. Côte d’Ivoire (1970), Viet Nam (71-72), Afghanistan (80), Mali (87), Serbie (90), Soudan du Sud (96).
Vincent Froehly, a réalisé un documentaire sur Louis Schittly en 2023, « De la Terre et de la Guerre ». Un hommage, avant l’heure, à son mentor rencontré en 1983 et qui deviendra un deuxième père, « spirituel, spirituel, intellectuel et festif ».
C’est avant tout pour moi l’exemple de l’homme libre. Je ne pense pas connaître quelqu’un qui ait été aussi libre que lui.
Vincent Froehly, réalisateur, ami
« C’était le gars avec qui je me disputais, mais surtout pour moi, il était l’exemple d’un homme libre. Je ne pense pas connaître quelqu’un qui ait été aussi libre que lui. C’était quelqu’un qui a boosté votre vie. Qui l’a pris. On pensait que c’est la vie, c’est ça, pépère, et il a apporté du soulagement à tout ça. Ce que vous pensiez peut-être impossible à faire ou un peu compliqué, avec lui, c’est devenu possible. De plus, il avait un sens du spectacle, ce qui n’est pas mal pour un documentaire. Écoutez, il est décédé le 1er janvier 2025, c’est facile à retenir et je pense que cela nous aidera à nous souvenir de lui.
L’histoire se souviendra de lui, c’est sûr. En 1999, Louis Schittly a remporté le prix Nobel de la paix pour avoir cofondé MSF et sauvé des milliers de personnes.
-Louis Schittly aurait pu s’arrêter là. Je prends juste soin des plus vulnérables. Mais l’homme à la moustache touffue a plus d’un tour dans son sac.
Entre deux valises, Louis Schittly écrit quatre livres, témoignages de son expérience à MSF mais aussi des contes bilingues, et réalise en 1975 un documentaire, La Marraine (D’Goda). Il défend, dans sa langue alsacienne, un monde paysan tel qu’il l’a connu dans son enfance. C’est une ode à la petite paysannerie, au retour à la terre et à l’autosuffisance face à une mondialisation paralysante et meurtrière.
Partout dans le monde, c’est toujours les mêmes salauds qui décident des guerres et c’est toujours les mêmes qui prennent les bombes au visage, petits villageois, petits paysans
« La grande histoire de sa vie était celle de la petite paysannerie. Il venait d’un milieu de petits paysans et surtout, il avait une sorte de fascination pour la guerre et c’est sans doute ce qui l’a amené à être emmené sur les champs de guerre comme médecin. Elle s’est exprimée à travers son voyage au Biafra et au Vietnam. A son retour, il a regardé son monde paysan dit un peu différemment, mais c’est vrai, ceux-ci le sont. toujours les mêmes salauds qui décident des guerres et c’est toujours les mêmes qui se font bombarder au visage, des petits villageois, des petits paysans. Partout ce sont les mêmes victimes. D’où son film D’Goda pour tenter d’avertir les petits paysans de son propre village. Chez nous, il n’y a pas d’armes, pas de guerre, pas de bombardements de B-52, mais nous vous faisons toujours la guerre d’une autre manière et si nous ne réagissons pas, nous disparaîtrons. nous, petits agriculteurs.lui, le petit paysan, est l’homme libre, le seul. Celui qui sait se nourrir et qui n’a besoin de personne d’autre, et c’est aussi pour cela qu’il a toujours été menacé. explique Vincent Froehly.
A l’occasion de la restauration de ce documentaire, nous lui avons consacré un Rund Um.
A Bernwiller, Louis Schittly redevient médecin de terrain, “Médecin Lapin” dit-il. Médecin de campagne cultivant la terre. Observation des oiseaux de passage et de basse-cour. Un homme engagé, toujours, un peu colérique. Il se définit aussi volontiers comme anarchiste.
Le Docteur Schittly n’était pas différent en Alsace de ce qu’il était ailleurs, en mission humanitaire, c’était un médecin exigeant et faisant preuve d’une grande tolérance envers l’être humain.
Elisabeth Halna, médecin retraitée, amie
Elizabeth Halna a travaillé avec lui pendant 25 ans au cabinet médical de Sentheim (68). Elle se souvient d’une collègue, d’une amie, rigoureuse et à l’écoute. Souvent en déplacement, toujours là pour elle. « Je pense que le docteur Schittly n’était pas différent en Alsace de ce qu’il était ailleurs, en mission humanitaire, c’était un médecin exigeant qui faisait preuve d’une grande tolérance envers les êtres humains dont il s’occupait. Lorsque le VIH est arrivé, il s’est fait tester anonymement et gratuitement à l’hôpital et nous étions, à la maison de convalescence, l’un des premiers endroits où les patients infectés pouvaient bénéficier d’un suivi de qualité. faire attention à l’humain, c’est je pense aussi sa principale qualité en tant qu’ami. C’était un ami fidèle, qui n’était jamais dans le conventionnel. Fidèle dans la joie et la détresse et présent, très présent. .»
L’homme ne manque pas non plus de spiritualité. Apresque toute une vie catholique en pratiquant, il devient athée, puis il s’est converti à l’orthodoxie en 1981. Il devient Grégoire.
Il fit construire dans son verger de Bernwiller, une petite église byzantine dédiée à Saint Grégoire l’Athonite. Ses obsèques auront lieu samedi après-midi dans son village natal.
Sous le regard, sûrement un peu embrumé, de sa sainte patronne. Entouré de ses amis et fervents admirateurs. Dont François Dangel, qui citera peut-être les paroles de la poétesse alsacienne Sylvie Reiff qui avait si justement dressé le portrait de Louis Schittly. “A mes yeux, vous êtes le dernier Alsacien universel, paysan, libre et croyant, émancipé de tout encadrement, donc anarchiste.”