« Oh, le Canada » (4 ⭐/ 5)
Nous sommes dans une sorte de rêve fiévreux d’un homme dont la croyance en un monde solide et réel s’est dissoute. Nous sommes donc plongés dans des souvenirs qui ne sont peut-être même pas vrais. J’ai vu cela chez mon père lorsqu’il était mourant : il avait des souvenirs complètement faux, mais il était absolument certain que les événements s’étaient produits. » Pour entendre Richard Gere nous parler de son rôle dans Oh, le Canadaon comprend immédiatement à quel point les paroles du cinéaste Paul Schrader ont résonné en lui et dans sa propre vie intime.
Tout comme il ne cache rien de ses cheveux désormais blancs, il incarne intensément le personnage de Leonard Fife, un documentariste qui, au crépuscule de sa vie, se confesse devant la caméra d’un de ses étudiants en cinéma. Le « vrai mensonge » cher à Louis Aragon prend ici toute son ampleur : dans les récits de Léonard, vérités et mensonges se mélangent, sans que personne, pas même lui, ne puisse véritablement s’y reconnaître.
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En épouse dévouée et première spectatrice de ce testament filmé : Emma, interprétée par Uma Thurman. L’actrice raconte à quel point elle a elle-même été impressionnée par la rencontre de ces deux-là. « maestros », comme elle les appelle, et de les qualifier ce faisant d’hommes « gentil et excellent ». Ne faisant qu’un avec son personnage, elle admirait clairement son partenaire sur le plateau de tournage : « Richard avait un rôle très exigeant dans lequel il se transformait en se maquillant abondamment avant de faire de longs plans avec beaucoup de texte. C’était vraiment une performance musclée et stimulante. Et c’était donc merveilleux à regarder. »
Le film et la réalité ne cessent de se croiser.
L’épouse Emma contemple ainsi Leonard avec les mêmes yeux que ceux de l’actrice Uma pour son partenaire dans un effet miroir saisissant. C’est évidemment la caractéristique des films qui se déroulent dans l’environnement du cinéma et reproduisent les conditions d’un tournage. Mais Paul Schrader n’épargne en rien son personnage principal, dont il critique sans concession la mesquinerie. Richard Gere incarne avec brio le rôle de cet homme aux portes de la mort. Quarante-quatre ans plus tôt, Paul Schrader avait filmé Gere en Gigolo américain.
Ces retrouvailles sonnent comme un requiem dans lequel se mêlent la star, son personnage et les stigmates du - qui passe. Avec en prime cette confession de Richard Gere : « Je vais vous dire une chose importante à propos des stars de cinéma, surtout aujourd’hui : on ne peut rien cacher. Rien ! Donc je suis innocent comme un bébé. Je n’ai plus de secrets ! »
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Et Uma Thurman, comme dans le film, approuve sans réserve cette déclaration ironique prononcée avec le sourire. C’est ainsi que le film et la réalité ne cessent de se croiser : ce que les acteurs disent du film, leurs personnages auraient pu le dire dans ce même film. Un effet miroir aussi inquiétant que saisissant et qui faitOh, le Canada à la fois un film crépusculaire et un magnifique portrait de la star Richard Gere, défauts et qualités compris.
Oh, le Canada, de Paul Schrader, avec Richard Gere, Uma Thurman, Jacob Elordi, Zach Shaffer. 1h35 Sortie mercredi. (Crédits : LTD/ARP/Jeong Park)
Divine Sandrine (3 ⭐/4)
On peut légitimement s’étonner que le personnage hors du commun de l’actrice Sarah Bernhardt n’ait jusqu’à présent jamais fait l’objet d’un film. Comme nous sommes reconnaissants au cinéaste Guillaume Nicloux de nous avoir épargné, au contraire, un bon gros biopic sans âme. Et pourtant, l’histoire fragmentée qu’il a choisi de raconter Sarah Bernhardt, la divine ne parvient pas vraiment à convaincre. Comme si la multiplication des notes sentimentales finissait par étouffer le sujet général du film et la portée d’une carrière exceptionnelle. Comme si la volonté de prouver la modernité du personnage finissait par tomber du côté d’un discours artificiel.
Mais il est vrai aussi que la prestation de l’actrice nous semblerait aujourd’hui insupportablement grandiloquente et qu’il faut donc chercher ailleurs les raisons de sa renommée intacte. Reste qu’au centre du film brille constamment une autre actrice : Sandrine Kiberlain, qui incarne la tragédienne. Elle est à tous les niveaux et elle rayonne littéralement. Grâce à elle, Sarah Bernhardt n’a plus de secret pour nous : on sait ce qu’est une grande actrice.
Sarah Bernhardt, la divine, de Guillaume Nicloux, avec Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte, Amira Casar, Pauline Étienne. 01h38 Sortie mercredi. (Crédits : LTD/Sarah Bernhardt, la divine)