FIGAROVOX/HUMEUR – Réjouissons-nous que cette émission qui rend visible la France rurale et périphérique se tienne encore dans cette époque aseptisée, exhorte l’écrivain Thomas Morales à la veille du concours Miss France, prévu ce samedi 14 décembre.
Thomas Morales est écrivain et chroniqueur à Causeur. Dernier ouvrage publié : L’appel d’offres est la province (Équateur, 2024).
Bien sûr, on peut ricaner. Pendant longtemps, l’élection a assuré le succès de chanteurs et d’imitateurs sans inspiration qui se moquaient de la naïveté des candidats et de leur maladresse devant le micro. Depuis, ils ont prouvé qu’ils avaient de la résilience et que, contrairement au chant d’Aznavour, leur cœur ne s’est pas aigri. Beaucoup d’entre eux ont fait carrière. Ce folklore de décembre est attendu comme un remède salvateur par les citoyens fatigués des chaises musicales parlementaires.
Le principe même de cette élection – des jeunes femmes participant à un concours de beauté pour représenter la France – pourrait avoir quelque chose de dépassé, de machiste, de réactionnaire, de phallocratique et de provincial au regard des valeurs progressistes imposées par les pouvoirs puritains de l’époque. Dernier spasme du monde d’avant, celui des reines des émissions agricoles et de camping, cette compétition résiste aux contrefaçons vertueuses et rassemble encore plusieurs millions de téléspectateurs, un samedi soir avant la période de Noël. La chaîne et le comité d’organisation ont tenté de peaufiner les aspérités, de s’adapter aux grandes tendances, de peur de se faire prendre par la patrouille des réseaux sociaux, en imposant par exemple un jury exclusivement féminin pour cette édition 2025. Le bikini a, peu à peu, disparu au profit du maillot de bain une pièce et les candidates trentenaires ont aujourd’hui toutes les chances de l’emporter – ce qui correspond à l’âge moyen au mariage dans notre pays, 37,5 ans. Je dois admettre qu’une Miss de 40 ans, voire de 50 ans, aurait fière allure. Je ne crois pas au privilège des jeunes. Si, à la marge, les règles strictes de Geneviève de Fontenay ont évolué pour s’adapter à notre époque, cette émission télévisée n’a pas beaucoup varié de son objectif initial : trouver une fille agréable qui s’exprime bien et portera fièrement notre drapeau, d’expositions aux défilés de mode, des salons préfectoraux aux studios de radio. Est-ce si honteux ou décadent ? Le pardon serait-il un crime ? Le charme, une idée contre-révolutionnaire ?
Bien entendu, nous n’échapperons pas aux discours conventionnels sur la maltraitance animale, les ravages du cancer du sein, le harcèlement scolaire et les maladies mentales invisibles. Des causes nobles que personne ne contesterait à l’antenne. Et enfin, ce flot de bons sentiments nous épargnera pour une fois les folies de notre classe politique dont le déclassement ces derniers jours signe la fin d’un régime. Au fond, cette élection n’a pas changé l’esprit. Il s’appuie sur la plasticité et l’éloquence des Françaises de notre « territoires »qui ont la fibre départementale et le goût des traditions.
« Toute cette population qui n’a pas de voix dans les médias existera à travers les Miss. Rien que pour ça, on leur dit : merci ! »
Thomas Morales
Les mouvements féministes n’auront pas eu la peau de cette compétition. Ils savaient d’avance que le combat était perdu. Car collectivement, nous aimons nos Miss par instinct naturel et nous tremblerons encore pour elles lorsqu’un Jean-Pierre Foucault bon enfant et parfois taquin leur posera une question devant la France entière. Il faut du courage et du mépris pour “que diront-ils” oser affronter la foule, oser se présenter à cet examen national avec la foi d’un converti. Parce que ces filles ne crachent pas sur notre drapeau, qu’elles portent ou non un patronyme d’origine française, peu importe : elles parlent d’une seule voix. Ils incarnent pour un instant l’harmonie nationale. Il n’est pas si fréquent qu’aux heures de grande écoute, notre patrie soit vantée, avec le sourire et la joie d’appartenir à une si belle nation. Ce n’est pas le visage d’une France rance et revancharde que l’on verra samedi 14 décembre au Futuroscope sous la présidence de Sylvie Vartan. Nous assisterons avec plaisir à cette réunion de famille élargie.
Toute l’année, on attend cette parenthèse comme le passage d’une étape du Tour de France dans un village du Berry. Peu d’événements rassemblent toutes les générations devant leur écran, et aussi toutes les classes sociales. Entre cousins ou amis, on se risquera à faire des pronostics et on vantera les mérites de notre candidat d’un soir. Ils constituent le puzzle composite d’un pays dont on ne parle généralement jamais. Ils sont polis et courtois, ils sont prévenants envers nos aînés et les enfants les adorent. Elles sont étudiantes, gendarmes, technico-commerciales, pharmaciennes, toutes filles de Français moyens, agriculteurs, enseignants, ouvriers ou cadres. Toute cette population qui n’a pas de voix dans les médias, qu’elle vienne du Lamentin ou de Morlaix, existera à travers eux. Rien que pour ça, on leur dit : merci !