L’arrivée du patron du Modem à Matignon couronne un parcours politique entamé dans les années 1970 sur les bancs de la droite. Un - dans la roue des ténors LR, François Bayrou a fini par devenir indépendant avant de soutenir Emmanuel Macron en 2017.
Un homme du « vieux monde » nommé Matignon. Nommé Premier ministre ce vendredi 13 décembre, le centriste François Bayrou a navigué pendant des années à droite avant de jouer la carte de l’autonomie dans les années 2000. Se considérant comme l’un des artisans de la victoire d’Emmanuel Macron en 2017, le patron du Modem a su dialoguer avec les LR comme avec les socialistes tout au long de sa carrière.
S’il a débuté sa carrière comme professeur de lettres classiques dans un lycée de Pau, son fief des Pyrénées-Atlantiques, il rejoint à seulement 29 ans le cabinet de Pierre Méhaignerie, alors ministre de l’Agriculture sous Raymond Barre.
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Parallèlement, l’homme qui commence à devenir père d’une famille nombreuse devient la plume de Jean Lecanuet, ex-candidat à la présidentielle, l’un des fondateurs du mouvement centriste UDF (Union pour la démocratie française).
De quoi le lancer, lui permettant de devenir député des Pyrénées-Atlantiques en 1986. A l’époque, il battait largement Michèle Alliot-Mariepourtant fille du maire de Biarritz.
Sa victoire puis sa réélection deux ans plus tard lui permettent de faire partie du petit club des ambitieux de centre droit qui se présentent comme « les rénovateurs » de la droite. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment Michel Barnierà qui il succède, mais aussi François Fillon ou encore feu Philippe Séguin.
François Bayrou appointed Prime Minister
Un passage au ministère de l’Éducation nationale
Mais la concurrence entre eux est rude et pousse François Bayrou à soutenir une liste dissidente de celle de l’UDF et du RPR, l’ancêtre de LR, aux élections européennes de 1989. Focus sur la candidature de Simone Veil, largement soutenue par Valéry Giscard d’Estaing, qui se verrait redevenir président de la République en 1995.
Il entre au gouvernement en 1993 pour devenir ministre de l’Éducation nationale d’Édouard Balladur. Son passage rue de Grenelle a été marqué par des manifestations pour défendre l’école publique tandis qu’il défendait un projet d’augmentation des finances de l’enseignement privé.
En position de faiblesse politique, l’élu a hésité un - à rejoindre Jacques Delors, alors pressenti comme candidat socialiste à la présidentielle. Mais François Bayrou a finalement fait campagne pour Édouard Balladur.
La droite est peut-être sortie fracturée de l’élection présidentielle de 1995 après la victoire de Jacques Chirac, mais le centriste a réussi à se maintenir au ministère de l’Éducation nationale. Il lance de nouvelles filières (S, L, ES) pour le baccalauréat. Après la dissolution de 1997, il revient à l’Assemblée nationale et prend la tête du groupe UDF, lui donnant ainsi des forces pour l’élection présidentielle de 2002.
“Vous ne me faites pas les poches”
Coincé entre Jacques Chirac et Alain Madelin, sa campagne a eu du mal à décoller jusqu’à ce qu’il gifle un jeune qui lui « faisait les poches » lors d’un déplacement à Strasbourg. Tout un symbole à l’heure où l’insécurité fait fureur à droite et où Lionel Jospin ne parvient pas à répondre aux inquiétudes des Français dans ce domaine.
François Bayrou arrive en 4ème position du scrutin, derrière Lionel Jospin qui ne parvient pas à se qualifier pour le second tour. Dans la foulée, le Palois s’éloigne de plus en plus de la droite. Il s’est même offert le luxe de voter contre le budget de Dominique de Villepin, alors Premier ministre, puis la motion de censure déposée par les socialistes contre lui. Ces gestes sont lus comme une exclusion de facto de la majorité présidentielle de l’époque.
En 2007, de nouveau candidat à la présidentielle, le représentant de l’UDF est vivement critiqué par plusieurs partisans, de Simone Veil à Valéry Giscard d’Estaing, qui ne lui pardonnent pas de ne pas se rallier à Nicolas Sarkozy.
Le poste potentiel de Premier ministre de Royal
Plusieurs sondages le mettent au coude à coude avec Ségolène Royal, lui laissant espérer pour quelques semaines un bras de fer avec la candidate de droite. Il n’a finalement pas réussi à se qualifier pour le second tour. Mais la socialiste qui cherche à élargir sa base électorale lui propose de devenir son Premier ministre.
-Hélas : François Bayrou ne vient pas au rendez-vous proposé par le candidat de gauche pour finaliser cet accord. Dans un livre, Ségolène Royal le comparait quelques mois plus tard à « un amoureux qui craint la rupture ».
Quatre jours après la victoire de Nicolas Sarkozy, pour lequel il n’a pas voté au second tour, comme il l’a expliqué trois ans plus tard, l’ancien ministre de l’Éducation nationale a lancé le Modem, clairement présenté comme un parti d’opposition au nouveau président. C’en est trop pour nombre de ses followers qui claquent la porte.
Une traversée du désert
Défaite aux élections municipales de Pau en 2008, accusation de gérer « son parti comme une secte », campagne européenne catastrophique de 2009 qui enregistre le score le plus élevé de toute l’histoire du centre… La traversée du désert s’installe dans la durée jusqu’au Élection présidentielle de 2012 où il ne termine qu’en cinquième position, avec un score deux fois inférieur à celui de 2007.
En 2014, le patron du Modem avait réussi à devenir maire de Pau grâce à un coup de pouce de la droite qui n’avait pas présenté de candidat. Un - partisan d’Alain Juppé pour la présidentielle de 2017, François Bayrou change de ton lorsque l’ancien Premier ministre est largement battu à la primaire de la droite par François Fillon.
La probable candidature d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, a d’abord suscité des critiques au vitriol.
« Derrière Emmanuel Macron, il y a des intérêts financiers majeurs incompatibles avec l’impartialité qu’exige la fonction politique », crie l’édile palois sur BFMTV en 2016.
Soutien à Macron
François Bayrou met enfin en scène son ralliement au candidat d’En marche et met sur la table plusieurs revendications pour son ralliement, de l’instauration de la proportionnelle aux élections législatives jusqu’à une meilleure rémunération des Français.
Malgré les bisbilles entre le camp macroniste et le Modem pour les législatives, le patron du Modem est devenu ministre de la Justice avec d’autres proches entrés également au gouvernement comme la fidèle Marielle de Sarnez. Le bail est de très courte durée : il reste à peine 35 jours de travail.
En cause : les soupçons de la justice à son encontre dans le cadre d’une affaire d’emploi fictif d’assistants au Parlement européen. Mis en examen en 2019, François Bayrou, qui a fait de la moralisation de la vie politique un de ses piliers politiques, refuse de quitter sa mairie de Pau, en désaccord avec les propos qu’il avait lui-même tenus.
Plutôt discret politiquement à cette époque, Emmanuel Macron lui propose le Haut-Commissariat au Plan, un organisme créé sur mesure pour lui.
Une censure qui lui ouvre une nouvelle fois les portes de Matignon
Si la fonction a peu d’impact, elle lui permet de continuer à graviter dans la galaxie présidentielle. En 2022, François Bayrou décide d’accorder son parrainage de maire à Marine Le Pen pour, dit-il, « sauver la démocratie ».
Les relations se sont refroidies avec la Macronie dans les mois qui ont suivi. Le chef de l’Etat n’apprécie pas que le centriste s’exprime haut et fort dans les médias sur sa possible candidature en 2027. François Bayrou, de son côté, refuse d’entrer dans le gouvernement de Gabriel Attal, nommé Premier ministre en janvier 2024, « faute de profond accord sur la politique à suivre.
En février dernier, l’horizon juridique s’est précisé. Le leader du Modem a été acquitté par la justice dans le cadre de son procès dans l’affaire des assistants parlementaires au Parlement européen, malgré les exigences sévères du parquet qui a immédiatement fait appel.
La dissolution puis la censure de Michel Barnier l’ont replacé en pole position pour entrer à Matignon. Après un échange tendu ce vendredi matin à l’Élysée avec Emmanuel Macron, c’est désormais chose faite. A lui désormais de trouver un budget pour 2025 et de parvenir à tenir Matignon sur le long terme face à la menace d’une motion de censure. Si le calendrier constitue un défi dans une Assemblée nationale très divisée, son statut de chef du gouvernement pourrait lui redonner de l’espoir pour 2027.