DISPARITION – Fondateur de Radiall, patron du CNPF (ancêtre du Medef) sous la présidence de François Mitterrand, cet homme de terrain a consacré toute sa vie à la défense de l’entreprise.
Défendre une société entrepreneuriale. Yvon Gattaz, patron des patrons durant les premières années de la présidence de François Mitterrand (1981-1986), a travaillé toute sa vie pour les entreprises. Réputé pour son pragmatisme et sa vivacité, cette figure emblématique du patronat, doté d’une curiosité insatiable et d’un esprit malicieux, est décédé jeudi à l’âge de 99 ans. De quoi susciter de nombreux hommages de la part de chefs d’entreprise, à commencer par son fils, Pierre Gattaz, qui était le patron des patrons trois décennies plus tard (2013-2018). « Je ne l’ai jamais appelé “papa” mais “Yvon”, il se confie à Figaro. C’était un grand ami, un confident et un grand soutien lorsque j’étais au Medef. Nous étions engagés dans les mêmes combats pour l’entreprise. »
Interrogé par Le Figaro, Bernard Arnault, Président-directeur général du groupe LVMH, salue « la mémoire d’Yvon Gattaz, ingénieur de grand talent, fondateur visionnaire d’un groupe industriel et technologique d’envergure mondiale, promoteur infatigable des affaires, du développement économique et de l’emploi. Tout entrepreneur français peut lui être reconnaissant d’avoir porté, avec courage et enthousiasme, les valeurs d’innovation, de progrès et de prospérité partagée qui sont celles de l’entreprise privée.. »
L’hommage du PDG du leader mondial du luxe résume parfaitement l’état d’esprit de tous ceux qui l’ont côtoyé.« Yvon Gattaz est un grand Français qui disparaît. Tout au long de sa vie, il s’est engagé à servir notre pays et sa santé économique et sociale. Il l’a fait avec un immense brio et une combativité féroce. Et toujours avec humour ! Il explique ainsi le sigle CNPF : “Ce n’est pas facile” », se souvient l’ancienne présidente du Medef Laurence Parisot. Augustin de Romanet, PDG d’ADP, honore, pour sa part, la mémoire de celui qui « jusqu’au dernier souffle aura milité pour l’insertion des jeunes en entreprise et pour les entreprises humanistes ».
« Cumuler rapidité et excellence »
Ce patron était avant tout un entrepreneur, un pur produit de la méritocratie française. Né en 1925 dans l’Isère, loin du milieu des affaires parisien et plus encore des « 200 familles » censées diriger le capitalisme français, ce fils d’instituteurs n’avait pas vocation à devenir le porte-parole des patrons français. Pas plus que de créer en 1952 une entreprise, Radiall, fabricant de connecteurs électriques devenu leader mondial. Lorsqu’il est élu à la tête du Conseil national du patronat français (CNPF), ancêtre du Medef, en décembre 1981, Yvon Gattaz est bien conscient qu’il va devoir marquer son territoire. « Pour certains, ce fut un choc,il s’est souvenu dans Des patrons face à des criseslivre de François Roche. Confier cette auguste maison à un « petit patron », hors du rang, membre d’aucun grand corps, ne plaisait pas à tout le monde, et certains m’en voulaient. . »
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A cette époque, François Mitterrand vient d’être élu président de la République, marquant le retour au pouvoir de la gauche. La droite est effondrée. Le climat politique et économique est très hostile aux entreprises et à leurs dirigeants. Ces derniers sont exaspérés par la hausse des impôts, les nationalisations et les 39 heures. Sans oublier la mise en place de l’impôt sur les grandes fortunes (IGF), devenu l’impôt sur la fortune (ISF).« Yvon Gattaz s’est battu avec acharnement tout au long de son mandat pour donner la priorité à la rationalité économique dans le débat public, luttant notamment contre la surréglementation qui pèse sur les entreprises. », rappelle le Medef.
-Décrit comme colérique et rusé, le nouveau patron des patrons va réussir à faire bouger les lignes en établissant une relation avec François Mitterrand, qu’il rencontrera en face-à-face treize fois. Cet entrepreneur, ni héritier d’une grande famille ni symbole du grand capital, offre un profil « exemplaire » presque idéal, selon l’un de ses proches, pour séduire la gauche des années 1980. Son parcours le démarque des profils rencontrés à l’époque. au sein des employeurs. Sa devise, « Bien et bien », ornait les armoiries de son bureau. « Cette maxime résumait tout l’art de l’industrie : allier rapidité et excellence », décrypte un proche.
Les entreprises du patrimoine de taille moyenne, son autre grand combat
La rencontre entre le gouvernement socialiste et une délégation du CNPF conduite par Yvon Gattaz, en avril 1982, fut fondatrice. A l’issue de cette réunion, le Premier ministre Pierre Mauroy a annoncé une baisse des charges sociales, mais pas que. « Yvon Gattaz a surtout réussi à convaincre François Mitterrand d’exclure les entreprises du champ de l’ISF en une heure d’entretien »,se souvient Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal Ethic, fondé en 1976 par Yvon Gattaz. Il accomplit ainsi une mission chère à son cœur. Pour agir et faire évoluer les mentalités sur le rôle de l’entreprise dans la société chez les dirigeants politiques, le patron du CNPF s’en donne les moyens. Fin décembre 1982, les États généraux des entreprises, à Villepinte, rencontrent un succès sans précédent, réunissant 25 000 patrons.
À bien des égards, Yvon Gattaz a été un créateur de start-up avant l’heure. A la fin des années 40, à peine sorti de l’École centrale de Paris, il crée son entreprise, avec son frère, également ingénieur.
Ils réclament à l’unisson un moratoire sur les mesures anti-patronales défendues bec et ongles par les communistes du gouvernement Mauroy. Un pacte de non-agression est scellé : en échange, l’exécutif demande au patronat la neutralité politique. Cette concession coûte cher à la droite française, en la privant d’une partie de son financement. L’autre grand combat d’Yvon Gattaz, réputé pour ses « gattazismes », ces mots qu’il aimait inventer, ce sont les députés européens : les entreprises moyennes patrimoniales, celles qui font la force du Mittelstand, le tissu industriel allemand, et que les Le patron français rêve de grandir de ce côté-ci du Rhin. Après avoir quitté la présidence du CNPF, il garde son bâton de pèlerin, en fervent défenseur de la transmission d’entreprises, multipliant les discours pour expliquer la nécessité de préserver les filiations et d’éviter que les joyaux français ne passent sous pavillons étrangers.
Il est à l’origine des lois Dutreil, plus favorables à la transmission des entreprises familiales. À bien des égards, Yvon Gattaz a été un créateur de start-up avant l’heure. A la fin des années 40, à peine sorti de l’École centrale de Paris, il crée son entreprise, avec son frère, également ingénieur, dans un petit atelier de l’Est parisien, presque un garage. Radiall s’impose rapidement dans son secteur. Il confie les rênes à son fils, Pierre Gattaz, en 1993. Ce dernier deviendra plus tard patron des patrons, à la tête du Medef (nouveau nom du CNPF), sous un autre président socialiste, François Hollande. « A chacun François son Gattaz »,dit Yvon à son fils.