Aux mains du chef de l’Etat, l’article 16 de la Constitution lui confère les pleins pouvoirs. Il peut être utilisé en cas de « menace grave et immédiate contre les institutions de la République et si le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu ». Mais d’où vient cet article et est-il applicable aujourd’hui ? Réponses avec Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.
Emmanuel Macron est au pied du mur. Après avoir perdu la majorité à l’Assemblée nationale, le gouvernement risque d’être censuré. Michel Barnier a déclenché, ce lundi 2 décembre 2024, l’article 49.3 de la Constitution pour faire voter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Dans la foulée, des députés de gauche et du Rassemblement national ont déposé des motions de censure. Le RN a assuré qu’en plus de soumettre le sien, il voterait pour celui de gauche. Mécaniquement, cela devrait suffire à faire tomber le gouvernement Barnier.
Dans cette situation, Emmanuel Macron peut-il intervenir pour faire adopter le budget et éviter le fermeren d’autres termes, la cessation des activités gouvernementales ? Parmi les prérogatives du chef de l’État, il y a l’article 16 de la Constitution, qui permet au président de la République d’assumer des pouvoirs exceptionnels en cas de crise. Mais cet article pourrait-il vraiment être utilisé ? Que dit-il réellement ? Pour y répondre, l’édition du soir s’interroge Benjamin Morel, politologue et maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.
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La mémoire de la « terrible crise » à partir de 1940
« L’article 16 de la Constitution peut être déclenché en cas de menace grave et immédiate contre les institutions de la République et si le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu »décrit le site gouvernemental vie-publique. Il permet au Président de la République d’exercer à la fois les pouvoirs législatif et exécutif.
La présence d’un tel article dans la Constitution s’explique par le souvenir du « terrible crise » de 1940, lorsque la France, en pleine Seconde Guerre mondiale, « Je n’avais plus aucun moyen d’obtenir […] fonctionnement régulier des pouvoirs de la République »a souligné le premier président du Ve République Charles De Gaulle. Ce dernier est d’ailleurs le seul président à avoir utilisé cet article, du 23 avril au 29 septembre 1961, à la suite du putsch des généraux en Algérie.
Conditions de base qui « pourraient être remplies »
Pour utiliser l’article 16, il y a des conditions de fond et des conditions de forme. “En gros, si on n’a vraiment pas de budget, on pourrait estimer que potentiellement les conditions pourraient être remplies”analyse le politologue Benjamin Morel.
En fait, les deux conditions cumulatives de base sont « l’existence d’une menace grave et immédiate pesant sur les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire ou l’exécution des engagements internationaux de la France » et « l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels ».
Dans le cas où aucun budget n’est adopté, les institutions étatiques pourraient se retrouver en difficulté dans leur fonctionnement et l’exécution des engagements internationaux de la France pourrait être remise en cause, «notamment au niveau de la Commission européenne»dit Benjamin Morel.
“Rien ne l’empêche” de prendre les pleins pouvoirs
Pour les conditions de formulaire maintenant, “seul Emmanuel Macron les contrôle”lance le politologue. C’est le chef de l’État qui évalue, après consultation des présidents des chambres (Assemblée nationale et Sénat) et du Premier ministre, si les conditions de base sont réunies pour prendre les pleins pouvoirs. “S’il estime qu’ils le sont, il envoie un message à la Nation et nous appliquons l’article 16. Rien ne l’empêche de le faire”explique Benjamin Morel.
Au bout de 30 jours, un avis du Conseil constitutionnel peut être demandé par 60 députés et 60 sénateurs. Après 60 jours, il y a ” de toute façon “ un avis du Conseil constitutionnel. « Mais une opinion reste une opinion. Cela n’oblige pas le président à changer de position. »souligne le professeur de droit public.
Le fait qu’il n’y ait aucune restriction à l’application de cet article pose selon lui une vraie question. Dans tous les pays européens, il existe ce type de mécanisme qui permet à un chef d’Etat de prendre les pleins pouvoirs. « Mais c’est toujours un autre corps qui proclame celui qui a les pleins pouvoirs. En France, nous sommes le seul pays où c’est celui qui a les pleins pouvoirs qui se les arroge. »souligne Benjamin Morel.
Autres possibilités pour l’adoption du budget
Avant l’article 16 de la Constitution, il existe d’autres moyens de trouver des solutions pour le budget. C’est le cas de l’article 45 de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui permet à l’exécutif de demander en urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et d’ouvrir des crédits par décret. relatifs aux services votés.
Dans la situation actuelle, le recours à l’article 16 de la Constitution pourrait être considéré comme « relativement disproportionné »selon Benjamin Morel. Avant d’ajouter : « À moins que le Parlement ne rejette toutes les lois spéciales autorisant le gouvernement à percevoir des impôts, alors cela pourra être discuté. Mais dans l’état actuel des choses, cela me semble un café un peu fort. »