Formule 1 | On a vu : ‘Prost, itinéraire d’une légende’

Formule 1 | On a vu : ‘Prost, itinéraire d’une légende’
Formule 1 | On a vu : ‘Prost, itinéraire d’une légende’

Après la projection du documentaire “Prost, itinéraire d’une légende”, le grand Alain, quadruple champion du monde, monte sur scène devant l’équipe du film : il confie avoir un regret au cours de sa carrière. Celui de ne pas avoir assez montré l’aspect humain du sport, et surtout de son parcours.

Son regret est aujourd’hui devenu une fierté avec ce brillant documentaire de Canal+ qui, loin des clichés attendus, montre Alain plus que Prost.

Comment raconter la carrière d’Alain Prost, quadruple champion du monde de (et cinq fois si Renault avait effectivement porté plainte contre Brabham pour carburant illégal en 1983, ce que notre Professeur regrette volontiers au passage…) et l’un des le plus grand sportif français de tous les - ?

Les réalisateurs, Audrey Estrougo et Stéphane Colineau, auraient facilement pu perdre les dents, par exemple en se perdant dans un documentaire trop narratif, trop sportif, relatant chronologiquement les victoires et les titres glanés ou presque glanés du Professeur.

Ce documentaire, fruit de trois années de travail, ne s’y trompe pas et réussit à éviter aussi bien les clichés que la tentation du résumé saison par saison. Vous avez aimé Les Yeux dans les Bleus, vous aimerez Les Yeux dans le Prost. Si on aime la F1, c’est aussi parce qu’il y a de l’humain, de la chair derrière la combinaison, et c’est justement ce que nous montrent ces trois premiers épisodes (sur six) que l’on a pu voir.

Certes, ceux qui adorent Prost avant tout pour sa maîtrise de la course, son « racecraft », mot que le professeur incarnait, seront ravis. Le premier épisode des six s’ouvre sur le coup de génie de Prost en 1990 au Mexique. Il décide de régler sa Ferrari pour la course, pas pour les qualifications. Il espère partir 5ème ou 6ème. Mauvaise surprise, il part 13ème. Aïe, c’est moyen quand on vise un titre. Et pourtant il prend un pari devant son équipe : je finirai 1er. Il signe un papier. Bravade ou confiance du champion ? On ne le sait pas, en tout cas l’histoire plaidera en faveur de la deuxième option : Prost gagne, après un ultime dépassement sur la McLaren F1 de Senna.

Voilà pour le pilote. Mais en réalité, dans ce documentaire de six épisodes, on découvre surtout l’homme. Son enfance, sa famille, ses doutes, ses déboires. C’est le plus important, le plus frappant.

Et même les aficionados de F1 risquent d’être surpris : car Alain n’en avait sûrement jamais autant dit à Prost.

Daniel Prost : parce que c’était lui, parce que c’était moi

«On ne trouve pas toujours notre vocation» : c’est sur ces mots de Prost que s’ouvre le documentaire. Aphorisme qui résonne tant. Parce que cette phrase n’est pas pour Alain. C’est pour Daniel. Son grand frère d’un an et demi. C’était Daniel, et non Alain, qui était passionné de sport automobile. Alain, quant à lui, collectionnait les cartes de football Panini à Saint-Chamond, dans la menuiserie de ses parents.

Mais c’est Daniel qui emmena un jour Alain sur la piste de karting d’Antibes la Siesta. Alain avait 13 ans, il avait aussi un bras cassé, il l’a caché aux organisateurs. Heureusement, sinon il n’aurait pas remporté la petite course amateur et quatre titres de champion du monde de F1. Qu’est-ce qu’une vocation ? Peut-être sur l’insistance de la mère d’Alain, une mère courageuse, toujours dans la menuiserie familiale, qui a tellement insisté pour que son frère Daniel ne soit pas seul ce jour-là à Antibes.

Daniel n’était jamais seul, car il avait tellement besoin d’être accompagné. “Je n’ai jamais été jaloux, je considérais que mon frère passait en premier, et que je devais être le suivant” confie Alain. En 1980, quand Alain fait ses débuts en F1, c’est Daniel qui aurait dû être en F1. C’est Daniel le fan de F1. “Il n’était ni jaloux, ni rancunier, mais il y avait de l’envie oui” confie Alain, ému, les larmes aux yeux. Oui, mais Daniel a une tumeur au cerveau. On dit de lui qu’il fut le premier trépan à succès.

C’est à Daniel qu’Alain pensait aussi ce jour du Grand Prix d’Adélaïde 1986, ce Grand Prix mythique, où Prost n’était pas favori mais fut auréolé d’un deuxième titre mondial, devant Mansell et Piquet, au terme d’une course incroyable. Et avant ce Grand Prix, il y avait aussi Estoril. Daniel meurt. Encore une maladie, encore une maladie, le cancer après la tumeur… Et Alain est dans la voiture. Il pense à Daniel. Il pense à lui-même, mais n’est jamais perdu de vue, explique-t-il. C’est important. Aussi important qu’un deuxième titre mondial.

Quant à sa mère Marie-Rose, elle se demande comment elle a pu, quelques jours après le décès de son fils aîné, se précipiter au Portugal pour applaudir la 2e place décisive de son fils. « Peut-être que nous sommes forts dans quelque chose ? » confie-t-elle. Quelque chose ? Nous ne savons pas.

Peut-être la résilience de cette famille Prost, dont la branche karatchienne est une survivante du génocide arménien. C’est probablement ce qui explique pourquoi la grand-mère de Prost, celle qui comptait le plus pour lui, a toujours le sourire, « prends toujours une banane le matin » confie Alain. Après tout, un génocide enseigne les vertus de la relativisation.

C’est tout l’intérêt, toute la valeur ajoutée du documentaire de Canal+ : nous montrer l’humain derrière le pilote. Et son histoire vaut plus de quatre titres. Quoi de mieux, demande Prost dans le documentaire : remporter 7, 8, 9 titres mondiaux ? ou rester dans l’histoire pour un certain duel contre un certain Brésilien ? La postérité des mentions de Prost répond à cette question.

“Renault, ils m’ont toujours trahi”

Quand on pense à Prost, on pense à Senna. D’ailleurs, Alain s’énerve. Heureusement, ce documentaire permet d’aller plus loin : après l’avoir vu, quand on pense à Prost, on pense à Daniel, son frère, on pense à Lauda, ​​Marie-Rose, Alesi, Stewart…

Et on pense aussi à Renault. C’est l’un des moments très forts du documentaire. “Renault, ils m’ont toujours trahi” dit Prost. Trahi tout récemment, lorsque Laurent Rossi, déjà oublié, a montré la porte à Alain. Trahi également en 1982 au Paul Ricard. Renault a promis à Prost, mieux placé au championnat, qu’Arnoux, qui bénéficiait de réglages moteur plus avantageux, le laisserait passer. Non, Prost termine 2ème, derrière Arnoux trop désireux d’offrir à Renault sa première victoire en F1. Le méchant ? Ce n’est pas Arnoux, c’est Prost qui râle devant la télé. Rapidement, on le surnomme le lutin grincheux, le petit Suisse…

C’est la qui brûle ses idoles, les vénère, les brûle encore. La France préfère Poulidor à Anquetil. Elle préféra alors Arnoux à Prost. On est ainsi frappé par la violence et le harcèlement téléphonique (Twitter n’a rien inventé) que doit subir Prost. Après l’épisode du Castelet, il s’est arrêté dans une station service. L’employé de la gare le prend pour Arnoux : “Heureusement que tu n’as pas cédé à ce connard, ce salaud de Prost” lui dit-il. Prost ne sort pas sa carte Elfe à son nom ; par embarras, il paie cash. « Le char le plus cher de ma vie, du moins symboliquement ».

On dit qu’il a quitté la France pour la Suisse à cause des impôts ? Lui qui a dû se démener et enchaîner les petits boulots pour s’offrir son premier kart à 700 F ? Lui qui, quand ses amis débarquaient au bistro et au cinéma, restait à la porte car voyons, 3 F dans une bière c’est 3 F de moins dans un kart ?

La France n’aime pas assez ses champions, mais après son premier titre, Prost devient enfin un prophète dans son pays et passe à la « prostérité » pour récupérer le titre de L’Équipe.

Oui, cette chronologie semble déstructurée mais c’est aussi la particularité et la force de ce documentaire de nous montrer un Prost tel qu’il est aujourd’hui dans ses souvenirs, où tout se mélange et se (re)construit.

En réalité, vous connaissiez Prost, mais vous ne connaissiez pas Alain. Son frère, sa mère, sa cousine, sa relation étroite avec Niki, sa rédemption, sa vengeance, sa perte d’amour puis son amour avec la France : ce documentaire nous montre tout cela. Il rendra même Ron Dennis sympathique et humain. C’est à quel point il est spécial.

“Prost, itinéraire d’une légende”, documentaire en six épisodes”, dès le 8 décembre sur Canal+.

 
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