LLes données ne sont guère encourageantes quand on parle de carburants d’aviation durables (SAF). En question, le peu de projets des acteurs de l’aviation s’ajoutant au manque de volonté des grands groupes pétroliers, pour selon la première édition de l’observatoire lancé par l’ONG Transport & Environnement (T&E) sur la question.
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La moitié des entreprises n’ont pas de projet
Cet observatoire manque actuellement de profondeur, étant dans sa première année de comptabilité, basé sur des données établies entre 2023 et octobre 2024, et n’offrant pas de visibilité sur l’évolution des usages pour l’instant (il sera mis à jour régulièrement par la suite). Néanmoins, le constat de T&E est clair : sur 77 entreprises répertoriées, 67 n’obtiennent pas un seul point (sur 100) dans une échelle basée sur la réduction des émissions attendue grâce à l’utilisation des SAF, la part des biocarburants avancés ( dont la production ne concurrence pas l’alimentation et ne contribue pas à la déforestation) et la part des carburants de synthèse (les électrocarburants, appelés e-SAF, obtenus à partir du carbone et de l’hydrogène issus de l’électrolyse de l’eau avec de l’électricité renouvelable ou bas carbone). Des points de bonus ou de pénalité complètent ensuite la notation.
Parmi ces mauvais élèves, 37 n’ont même aucun engagement en matière de SAF, comme l’explique Camille Mutrelle, chef de projet aviation au sein de T&E. UN « top 10 » émerge néanmoins, composée uniquement d’entreprises européennes et nord-américaines, dont le groupe IAG (British Airways, Iberia, etc.), la compagnie low-cost Wizz Air, le transporteur DHL et les géants américains United Airlines et Delta Air Lines. Ils obtiennent une note de C, correspondant à un résultat compris entre 25 et 50 points, à l’exception d’Air France-KLM qui obtient 61 points (grade B).
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Air France-KLM, le bon élève
Ce classement confirme ainsi les ambitions – et déclarations – du groupe français qui revendique être le principal consommateur de SAF dans le monde, tant en valeur absolue (87 000 tonnes en 2023) qu’en pourcentage d’incorporation (1,1% de son carburant total). . Contacté par La TribuneVincent Etchebehere, directeur du développement durable chez Air France-KLM, n’a pas commenté directement ce résultat, mais a néanmoins apporté quelques éléments complémentaires. Il précise que son groupe représente 16% de la consommation mondiale de SAF pour seulement 3% de l’activité aéronautique.
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Vincent Etchebehere a indiqué qu’Air France-KLM ne communiquerait que début 2025 sur sa consommation de SAF en 2024. Il a néanmoins assuré que le groupe poursuit la stratégie de montée en puissance adoptée depuis 2022 et a assuré avoir « un très haut degré de confiance » pour atteindre le minimum d’incorporation de 2% fixé par l’Union européenne. Camille Mutrelle indique de son côté que le groupe s’approvisionne principalement en carburant à base d’huiles usagées. Elle précise ainsi que la traçabilité reste un enjeu pour certifier le caractère « usagé » de ces huiles, avec un risque élevé de fraude en amont de la chaîne située notamment en Chine.
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T&E constate qu’Air France-KLM est, là aussi, la mieux placée pour respecter le mandat européen qui doit passer à 6% en 2030 (dont 1% d’e-SAF). Selon son observatoire, le groupe a obtenu près de 5% d’incorporation avec les achats déjà réalisés et les protocoles d’accord signés avec quatre porteurs de projets e-SAF, à savoir Elyse Energy, EDF, Engie et le consortium SAF+. Vincent Etchebehere confirme de son côté avoir fait entre un tiers et la moitié du chemin pour atteindre la barre des 10% d’incorporation en 2030, au-delà de la barre fixée par Bruxelles (ce qui lui a valu des points bonus au classement).
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Quantité ou qualité
Derrière, les différences sont significatives. Selon T&E, Wizz Air a obtenu un peu plus de 3% d’incorporation pour 2030, Virgin Atlantic, Finnair et IAG sont entre 2 et 2,5%, tandis que Lufthansa n’est qu’à 0,25%. L’ONG estime que « À l’heure actuelle, les compagnies aériennes ont acheté suffisamment de SAF pour remplacer 1,3 % de leur consommation totale de carburant prévue en 2030 ». C’est deux fois moins que les entreprises nord-américaines, même si Camille Mutrelle précise que les critères de durabilité outre-Atlantique sont souvent restrictifs avec une part importante de biocarburants issus de cultures vivrières ou fourragères et très peu d’e-SAF. Ces derniers ne devraient réduire leurs émissions que de 1,2% grâce aux carburants durables d’ici 2030, contre 2,2% pour leurs homologues européens.
Si T&E critique les faibles volumes d’achat des compagnies, ou le peu d’engagements pour l’e-SAF, l’ONG ne rejette pas la responsabilité de la situation uniquement sur le secteur aérien. Elle pointe ainsi le manque de critères de durabilité dans les réglementations, comme aux Etats-Unis par exemple, même si le niveau des subventions peut varier en fonction du bénéfice durable. Camille Mutrelle salue ainsi la réglementation européenne, contraignante avec mandats de constitution et critères stricts, comme la plus efficace à ce jour.
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Les pétroliers dans le viseur
Le T&E dénonce surtout le manque d’implication des grands groupes pétroliers, avec un problème d’approvisionnement. “C’est assez significatif sur les projections de production des compagnies pétrolières”souligne Camille Mutrelle, qui souligne le très faible pourcentage de SAF dans les volumes de carburant aviation, ainsi que l’absence de ces majors dans les projets e-SAF qui ne sont pour l’instant portés que par des start-up.
Vincent Etchebehere se veut plus modéré. Il estime par exemple qu’atteindre la barre des 10 % de SAF en 2030 est « un énorme défi »car il faut les volumes nécessaires et des prix compétitifs. Il ajoute toutefois que les estimations font état d’une production mondiale de 15 millions de tonnes en 2030, alors que la demande devrait atteindre 20 millions de tonnes. Ce qui devrait certainement compliquer les choses. Mais il dit qu’il passe beaucoup de - «à discuter avec toutes les entreprises énergétiques»y compris les grands groupes, sur la nécessité de développer ces filières SAF et e-SAF qui nécessitent « efforts collectifs » et sans lequel le transport aérien n’a pas d’alternative pour se décarboner. « Il est désormais - d’aller de l’avant et la carte mondiale des SAF prend forme »conclut-il.