La présidente géorgienne Salomé Zourabichvili – dont les fonctions sont essentiellement honorifiques et favorable à un rapprochement avec l’Union européenne (UE) – est engagée dans un bras de fer avec le Parlement issu des élections législatives du 26 octobre.
Dans un discours prononcé samedi 30 novembre, elle a déclaré que le Parlement n’avait aucune légitimité pour désigner son successeur et qu’elle resterait donc en fonction à la fin de son mandat qui s’achève cette année. Elle juge que les élections législatives remportées avec près de 54 % des voix par Georgian Dream, le parti dirigé par l’homme d’affaires Bidzina Ivanishvili, ont été entachées de fraudes.
Après le vote, un groupe d’observateurs électoraux en Géorgie a déclaré avoir eu des preuves d’un stratagème complexe de fraude électorale à grande échelle. L’UE a demandé une enquête sur ce qu’elle appelle « tombes » irrégularités.
« Tant qu’il n’y aura pas de nouvelles élections et un Parlement qui élit un nouveau président selon de nouvelles règles, mon mandat continuera »a déclaré Salomé Zourabichvili, dans un entretien exclusif à l’Agence France-Presse (AFP). « Personne en dehors de la Géorgie, parmi nos partenaires démocratiques, n’a reconnu les élections »souligne la présidente qui se présente comme la “la seule institution légitime du pays”.
Un « conseil national » pour assurer « la stabilité » du pays
Le Parlement nouvellement élu a annoncé qu’il élirait le prochain président le 14 décembre et que son investiture pour un mandat de cinq ans aurait lieu le 29 décembre.
La semaine dernière, Georgian Dream a désigné Mikheil Kavelachvili, un ancien footballeur entré en politique à l’extrême droite, comme candidat à ce poste. En vertu des changements constitutionnels imposés par ce parti en 2017, le président sera pour la première fois choisi par un collège électoral plutôt que par un vote populaire. Le Rêve Géorgien contrôlant ce collège électoral, l’élection de M. Kavelashvili est considérée comme acquise.
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Ancienne diplomate française née à Paris, Salomé Zourabichvili annonce avoir mis en place, samedi, un « conseil national » composé de partis d’opposition et de représentants de la société civile, qui veillera à « stabilité dans ce pays ». « Je serai le représentant de cette transition légitime et stable »a-t-elle déclaré, envoyant ce message à la communauté internationale : « Pas de relations avec des représentants illégitimes de ce pays. Faites affaire avec nous, nous représentons le peuple géorgien ». «Je suis très optimisteelle a continué, parce qu’il se passe ici quelque chose que nous n’avons pas vu dans l’espace post-soviétique, c’est-à-dire une société qui prend son avenir en main ».
Manifestations dans de nombreuses villes
Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue depuis un mois pour protester contre les fraudes électorales présumées et soutenir les efforts du président Zurabishvili pour organiser de nouvelles élections. Des manifestants se rassemblent également pour protester contre la décision du gouvernement de reporter les négociations sur l’adhésion du pays à l’UE.
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Samedi soir, pour la troisième journée consécutive de protestation, des heurts ont éclaté à Tbilissi devant le Parlement entre la police et des manifestants pro-européens. Des policiers masqués et en tenue anti-émeute ont tiré des balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes et utilisé des canons à eau pour disperser ceux qui lançaient des feux d’artifice, selon un journaliste de l’AFP. Des barricades ont été érigées sur l’avenue principale de la capitale. Des manifestations ont également lieu dans de nombreuses villes de Géorgie.
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Le ministère de l’Intérieur a déclaré que “Certains individus présents à la manifestation sont devenus très vite violents”. « La police réagira de manière appropriée et conformément à la loi à chaque infraction »il a ajouté.
Les deux manifestations précédentes, jeudi et vendredi, avaient déjà été dispersées à l’aide de canons à eau et de gaz lacrymogènes, la police ayant arrêté plus d’une centaine de personnes pour “désobéissance” et « vandalisme », tandis qu’au moins quarante-deux policiers ont été blessés. Salomé Zourabichvili, qui a participé au rassemblement de jeudi, a estimé que « le mouvement de résistance a commencé ».
Un gouvernement accusé de dérive autoritaire pro-russe
Le gouvernement géorgien, accusé de dérive autoritaire pro-russe, a annoncé jeudi le report des négociations d’adhésion à l’UE à 2028, un objectif de longue date approuvé par 80% de la population. En réponse, le Département d’État américain a annoncé la suspension de son partenariat stratégique avec la Géorgie.
Dans le pays, le mouvement a commencé à s’étendre au-delà des rues. Plusieurs centaines de fonctionnaires, notamment des ministères des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Éducation, ainsi que des juges ont publié des déclarations communes en signe de protestation. Cent soixante diplomates ont également critiqué la décision du gouvernement de reporter le processus d’intégration européenne, qu’ils jugent contraire à la Constitution. Une centaine d’écoles et d’universités ont suspendu leurs activités.
Le Premier ministre, Irakli Kobakhidze, a présenté cette décision comme une mesure de représailles à l’adoption d’une résolution non contraignante du Parlement européen, dans laquelle ce dernier rejette les résultats des élections législatives du 26 octobre, jugées « ni libre ni équitable ». Malgré sa décision, le gouvernement géorgien affirme vouloir poursuivre les réformes et avoir toujours l’intention d’adhérer à l’UE en 2030. Le Premier ministre a dénoncé une ” chantage “ de Bruxelles, tandis que le Parlement européen a appelé à de nouvelles élections législatives.
La France a appelé vendredi à « respect du droit de manifester pacifiquement » et souligné « soutenir les aspirations européennes » de Géorgie, “qui ne doit pas être trahi”. Le Conseil de l’Europe a condamné « répression brutale des manifestations »exprimant son inquiétude face à la décision du gouvernement géorgien de suspendre ses négociations avec l’UE. Amnesty International a dénoncé une volonté de « Supprimer toute dissidence ».
L’Ukraine, qui a également connu une révolution pro-européenne en 2014 après que les autorités de l’époque ont tenté de suspendre le rapprochement avec l’UE, a de son côté dénoncé une « recours à la force » et un « limiter les processus démocratiques » exploité «pour plaire à Moscou».