Il y a trois ans, assise devant quelques journalistes, Anne Hidalgo faisait l’éloge de son premier adjoint, qui a veillé sur la mairie de Paris pendant qu’elle menait sa campagne présidentielle. Emmanuel Grégoire, a-t-elle assuré, « a les compétences pour devenir maire ». Un Parisien, “la droite est dans une impasse, tant mieux pour lui”, la candidate socialiste s’est encore félicitée. En 2020, elle avait d’ailleurs demandé à ce lieutenant d’abandonner la mairie du 12e arrondissement pour mieux préparer sa succession. C’était il y a toujours. Dans une interview avec Monde Publié ce mardi 26 novembre dans lequel elle confirme qu’elle ne sera pas candidate à un troisième mandat, Anne Hidalgo annonce qu’elle soutiendra finalement le sénateur socialiste Rémi Feraud. “Je me prépare” avait déjà avancé le discret président du groupe de Paris en commun au Conseil de Paris, jugé par beaucoup trop discret pour constituer une hypothèse crédible.
« Elle a fait monter Grégoire pour finir par le laisser partir et mettre Rémi en poste trop tard, personne ne le connaît, regrette un important élu socialiste d’une autre région, qui ne fait pourtant pas partie de ses détracteurs. Elle divise son camp et s’affaiblit. Car les militants de la fédération parisienne, qui veulent gagner, pourraient le désavouer en choisissant Grégoire. Elle peut aussi payer pour avoir été trop injuste envers lui. Elle rate sa sortie, c’est triste pour elle.
Un affrontement interne se profile donc au sein de la fédération PS de la capitale. Car Emmanuel Grégoire n’est pas décidé à baisser les bras. Candidat déclaré aux prochaines élections municipales, celui devenu député de Paris arpente les cafés à la rencontre des Parisiens. Conscient de ne plus pouvoir compter sur le soutien d’Anne Hidalgo, il a avancé seul, et sollicite désormais un rendez-vous interne au plus vite. “Je ne veux pas être prisonnier d’un agenda que je ne contrôle pas, il a expliqué récemment. Nous ne pouvons pas passer les neuf prochains mois à discuter de notre nombril. Nous devons faire campagne et arrêter de nous parler. Je ne veux pas seulement gagner le vote de la fédération parisienne, je veux gagner Paris.» La fédération parisienne, dirigée par Lamia El Aaraje, proche d’Hidalgo et autrefois citée comme héritière potentielle, devra donc départager les deux socialistes, qui travaillent côte à côte depuis vingt ans.
« Jadot ? Grégory ? Rien ne m’inquiète”
Tout en bâtissant sa candidature indépendante, le député parisien s’interroge encore sur cette guerre dont il n’a pas voulu. Avec Anne Hidalgo, « nous avons eu une relation interpersonnelle très intense, toujours en harmonie, même si elle aurait pu être rude », dit-il en privé. Ensemble, rappelle-t-il, ils ont affronté la crise des gilets jaunes et le Covid. Sa fidélité en ces temps difficiles “m’absout du procès pour trahison”, il croit.
Tout s’est dégradé après l’élection présidentielle de 2022. Marqué par une campagne difficile et un résultat désastreux, Hidalgo revient à la mairie de Paris. Elle y trouve une assistante qui, juge-t-elle, ne comprend pas l’adversité à laquelle elle a dû faire face. “Cela a créé une distance émotionnelle” analyse un proche de Grégoire. La socialiste n’a pas pardonné à Olivier Faure ce qu’elle considère comme un manque de soutien. Elle ne peut plus soutenir ce premier secrétaire du PS qu’elle juge trop faible face aux rebelles, déloyal envers son propre peuple.
Au congrès socialiste de Marseille, en décembre 2023, elle engage donc la bataille pour le faire perdre et entraîne dans son sillage ses lieutenants parisiens. Mais Grégoire, juge-t-elle, ne respecte pas la discipline nécessaire. Tout en soutenant le même mouvement que le maire, il évite d’entrer trop frontalement dans l’affrontement. Lors de « Tahiti gate », polémique autour d’un déplacement du maire dans le Pacifique à l’automne 2023, elle estime encore qu’il ne la défend pas assez face aux enquêtes de la presse et aux attaques de l’opposition.
“C’est la reine, ils sont tous terrifiés”
Alors que les liens se relâchaient, la maire de Paris ne supportait pas de voir son adjoint avancer dans la succession sans son accord. « Jadot ? Grégory ? Rien ne m’inquiète. Je n’ai pas décidé pour 2026. Je suis le maître des horloges. a-t-elle prévenu en janvier. “Je pense juste qu’elle en a eu marre de moi” échappe à Grégoire en privé. Anne Hidalgo est ainsi : on est avec elle et derrière elle, ou contre elle. Au fil du temps, la liste de ses ennemis s’allonge. “Anne est motivée par la vengeance et personne ne lui tient tête, analyse un ancien ami proche. Il existe autour d’elle un culte, entretenu par son entourage de courtisans. C’est la reine. Ils sont tous terrifiés.
Certains pensent que cette dureté a commencé à se développer alors qu’elle était elle-même adjointe de Bertrand Delanoë et candidate à sa succession. Discréditée, réduite au rang de « dauphine », éternelle seconde dans l’ombre du maire, elle en voulait au socialiste de ne pas l’avoir laissé s’affirmer plus tôt. “La douce Anne Hidalgo”, qui reste là sans faire de bruit, ont alors raillé les dirigeants du PS. « Treize années d’apprentissage, dont une partie douloureuse, l’ont façonnée. » a affirmé son ami Jean-Louis Missika. En 2014, Delanoë finira cependant par lui céder sa place. « Bertrand est un silencieux qui a fini par le faire chevalier, résume un proche de Grégoire. Avec Emmanuel, Anne a fait le contraire.