Au Tigré, province éthiopienne en lutte contre le pouvoir central, les femmes violées pendant la guerre (2020-2022) subissent une double peine. Après s’être fait voler leur dignité, ils sont mis au ban d’une société traditionaliste régie par les mœurs de l’Église orthodoxe, au sein de laquelle leur calvaire et leurs souffrances sont tabous. C’est sur le sort de ces femmes que se concentre le documentaire Tigré : le viol, l’arme silencieusede Marianne Getti et Agnès Nabat, diffusé samedi 23 novembre à 18h35 sur Arte et dès vendredi sur le site de la chaîne.
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Entre 2020 et 2022, dans l’opacité de la guerre, loin des caméras de télévision, une tragédie s’est déroulée à huis clos : un conflit fratricide (au moins 600 000 morts, selon l’Union africaine) et la torture de centaines de milliers de femmes par l’occupant. , les troupes éthiopiennes et l’ennemi historique de l’Érythrée voisine. Deux ans plus tard, le voile est difficile à lever sur les crimes subis par ces victimes invisibles. Au moins 120 000 femmes ont été violées pendant la guerre, estiment les autorités régionales du Tigré.
Comment reconstruire ces destins brisés, ces vies et ces corps en lambeaux, deux, trois, quatre ans plus tard ? Comment réinsérer ces femmes honteuses et exclues de la société ? Les réalisateurs nous emmènent sur le chemin de deux êtres hors du commun : Meseret Hadush, ancienne pianiste et star de télé-réalité locale, et Mulu Mesfin, infirmière à l’hôpital public.
Chemin de Croix
Tous deux s’inscrivent dans la lignée du docteur Denis Mukwege, « l’homme qui répare les femmes » dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), prix Nobel de la paix en 2018. Leur mission commune : empêcher l’ennemi de remporter une victoire qui, en plus d’avoir martyrisé leurs corps, détruit la place de ces femmes dans la société .
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« Nous baignons dans la honte, nos maris nous détestent, les politiques nous rejettent ! »crie une victime. “Nous nous sentions trop sales pour embrasser la croix”confie une autre qui, se considérant impure, n’ose plus s’aventurer dans une église, socle de la civilisation orthodoxe éthiopienne. Sans parler des enfants illégitimes, produits de viols, rejetés par la communauté. Une mère qui n’a pas pu avorter regarde son fils jouer dans un camp de personnes déplacées : « Maintenant, c’est mon fils, que puis-je faire ? » Je me demande quel avenir il aura. Le mien ne compte plus pour moi… »
Pour ces femmes, le chemin de croix continue. Jusqu’à quand ? Seuls, exclus de chez eux, cachés par une société qui refuse d’admettre leur calvaire, abandonnés par des autorités locales prêtes à sacrifier ce passé douloureux sur l’autel de la transition politique. Ils sont enfin confrontés au déni de leur nation, l’Ethiopie, et de son leader, l’ancien prix Nobel de la paix Abiy Ahmed, dont le long travail de déshumanisation des Tigréens (6 % de la population) a servi de terreau fertile à ces mouvements de masse. des viols.