Paris, rapport
L’émotion éclabousse, l’espace d’un bref instant, le sol poli des têtes et des costumes gris. La gorge nouée, un maire prend le micro pour lui dire « sentiment d’impuissance ». Il s’agit de Gwenola Le Troadec, conseillère municipale de Penmarc’h, dans le Finistère. En quatre ans, sa commune a perdu par endroits près de 10 mètres de littoral. Grignoté par la montée des eaux. « On travaille beaucoup, on cherche du budget pour planter des oyats [herbe utilisée pour fixer le sol] mais ce n’est pas suffisant »murmure l’élu.
Comme eux, de nombreux maires de communes de toutes tailles éprouvent un mélange de colère et d’épuisement. Lors du congrès annuel de l’Association des Maires de France (AMF), qui s’est tenue cette semaine à Paris, ils ont même – fait rarissime – manifesté, portant pendant quelques minutes un foulard noir à la place de leur ruban tricolore pour une photo.
Chacun à leur manière, ils s’indignent contre les coupes budgétaires sans précédent annoncées pour 2025, dans le cadre de la loi de finances dont l’examen doit débuter au Sénat le 25 novembre.
Le gouvernement prévoit de prélever 10 milliards d’euros sur les collectivités territoriales en 2025, en utilisant plusieurs leviers. Le Sénat pourrait ajuster le montant à la baisse, mais l’effort devrait en tout cas rester important, avec des conséquences importantes sur la transition écologique. Car les maires sont en première ligne dans la transition vers la neutralité carbone et dans la préparation des villes et villages aux épisodes climatiques extrêmes.
Une purge sans précédent
« Le défi est d’une urgence et d’une intensité comme nous n’en avons jamais connu »prévient le maire socialiste de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, lors d’un atelier organisé le 20 novembre par leAMF sur le climat.
Pour la ville de Strasbourg, qui s’est déclarée en 2020 en « état d’urgence climatique »Il manquerait 15 millions d’euros au budget 2025. « C’est plus que ce que nous dépensons chaque année pour la petite enfance ou les repas scolaires, indique Syamak Agha Babaei, premier adjoint aux finances, à Reporterre. C’est une réduction qui mettra en danger les services publics et qui nous est imposée sans aucune discussion. »
Ces réductions se combinent à de nombreuses réductions qui affecteront directement la capacité des municipalités à agir sur le front climatique.
- Le plan vélo, qui consacrait 304 millions d’euros à l’accompagnement des collectivités pour des projets de pistes cyclables, est annulé ;
- l’enveloppe dédiée aux tiers-lieux est réduite de 80 % ;
- les agences de l’eau perdent 130 millions d’euros ;
- l’agence de financement des infrastructures de transport voit son budget réduit de 700 millions d’euros ;
- l’établissement public pour la transition écologique (Ademe) doit en perdre 35 % de ses crédits.
L’austérité conduit également, depuis plusieurs années, à des réductions d’effectifs dans les établissements publics qui apportent aux communes l’expertise nécessaire pour développer leur politique de transition écologique.
Et pourtant ! L’effort des collectivités a été spectaculaire ces dernières années, selon l’institut I4ce. Leurs investissements climatiques ont augmenté de 44 % depuis 2017. De nombreuses mesures écologiques décidées au niveau national reposent sur leurs épaules, comme la mise en place de « zones à faibles émissions » ou le principe de « zéro artificialisation nette »entre autres [1].
Déni collectif
Cet effort est encore loin d’être suffisant. I4ce estime les besoins totaux d’investissement des seules collectivités locales à 19 milliards d’euros par an d’ici 2030. C’est plus du double de ce qu’elles dépensent actuellement.
Il faut agir vite et fort, crient notamment les maires des communes côtières, qui constatent désormais quotidiennement les conséquences de la montée du niveau de la mer. Si rien n’est fait, selon les services de l’Etat, 5 200 logements seront détruits d’ici 2050 en France. Les maires ont donc besoin d’argent pour acquérir de nouveaux terrains et reloger ces futures victimes. Mais c’est aussi là que les terrains sont les plus chers.
Exemple au Pouliguen, en Loire-Atlantique : selon les calculs du maire, Norbert Samama, les logements menacés par la montée des eaux représentent 55 millions d’euros. « Comment y faire face, sachant que l’investissement annuel de ma commune n’est que de 2,7 millions ? »dit-il.
« Si nous ne faisons pas cet effort aujourd’hui, ce sera extrêmement douloureux. Mais nous sommes dans un déni collectif qui me choque et m’inquiète. Nous sommes seuls. ça va être un drame »alerter Stéphanie Doyen, maire de Saint-Pierre-Quiberon (Morbihan), lors d’une tribune consacrée à la suppression du littoral, mercredi 20 novembre au congrès de laAMF.
Débloquer les dépenses d’exploitation et la dette
Pour se donner de l’air, villes et intercommunalités ont besoin de mesures comptables, en apparence techniques mais fondamentales : depuis plusieurs années, les gouvernements successifs sont obsédés par les dépenses de fonctionnement des collectivités. Car ils sont colossaux et augmentent mécaniquement en raison notamment de l’évolution des salaires liée à l’ancienneté des fonctionnaires. Les communes sont donc invitées à les réduire, au profit des dépenses d’investissement, qui restent limitées dans le temps.
Cette rigueur à court terme pénalise les investissements climatiques. Car le développement des transports en commun, première priorité sur le front climatique, entraîne une augmentation du budget des intercommunalités, c’est-à-dire des dépenses de fonctionnement.
Les maires sont confrontés partout en France au même dilemme : doivent-ils couper dans les services publics ou laisser couler la dette ? ?
La deuxième option est envisagée par un nombre croissant d’entre eux. Certains demandent que les investissements pour la transition se limitent à la dette « verte » et remboursé moins vite.
Besoin de visibilité
Mais pour oser laisser courir la dette, il faut être sûr de pouvoir rembourser. « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une visibilité sur plusieurs annéesrésume Marie Ducami, maire socialiste de Saint-Jacques-de-la-Lande. Cependant, le gouvernement manque de cohérence dans son engagement. Le fonds vert a par exemple été lancé en 2020, doublé en 2023 et encore réduit de moitié pour 2025.
A Strasbourg, « agir n’est pas une option. Nous le ferons, avec ou sans l’État. Je préfère avoir une dette financière plutôt qu’une dette morale envers nos enfants à qui on laisserait un territoire inhabitableassure le premier adjoint Syamak Agha Babaei. Il suffit que l’État cesse de gêner notre action avec sa vision comptable, hors sol et très éloignée de la réalité des territoires. »
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