C’est une création décalée, primée au Festival de la Fiction de La Rochelle. Pour sa première série, Doria Tillier observe les travers de la société au prisme de l’anecdote et des discussions du quotidien. L’ancienne Miss Weather incarne une professeure qui bouscule les conventions sociales. Un professeur qui réfléchit à des détails auxquels personne ne pense et qui dit tout sans se soucier de savoir si cela sera fait ou non. Dans ce monde où l’on croise François Morel en peintre, Jeanne Balibar en éditrice, Pascale Arbillot en enseignante bavarde ou Denis Podalydès en patron d’une maison d’édition obsédée par les ventes, il y a surtout beaucoup de poésie, de tendresse et d’humour. . La réflexion est de qualité, les mots sont choisis avec soin. Cette fameuse Iris nous suit une fois la télévision éteinte. Une femme qui a un peu d’elle-même.
Paris Match. Vous dites que « Iris » est née d’une frustration que vous avez ressentie. Lequel ?
Doria Tillier. C’est le sentiment que la précision et la nuance existent rarement dans les échanges quotidiens. Nous utilisons beaucoup de mots de manière approximative, soit parce que nous ne creusons pas profondément, soit parce que nous ne voulons pas être précis. C’est fatiguant d’être précis ! Par exemple, quand on dit qu’un événement a été « génial », c’est très vague, et parfois on dit cela alors qu’il était juste un peu bien. Nous utilisons les mauvais mots. « C’est dégueulasse », « j’ai été choqué », « c’est l’enfer », les exemples sont nombreux. Je trouve que ce manque de nuance entraîne très souvent des incompréhensions entre les êtres humains.
En plus de trouver le terme exact, il y a aussi le fait d’oser dire ce qu’on pense…
C’est tellement rare de le faire, même quand ce qu’on pense n’est pas choquant. Lors d’un dîner par exemple, Iris admettra qu’elle n’aime pas vraiment le tableau de son hôte ou qu’elle ne trouve pas le plat si délicieux. On est souvent scandalisé par principe mais, en réalité, ce n’est ni choquant, ni grave, ni même méchant. La personne a le droit de ne pas aimer. Tout le monde vit ce mensonge social qui pour moi n’a aucun sens. On n’ose pas dire ce qu’on ressent même si c’est légitime.
Le reste après cette annonce
Quand, chaque jour, nous sommes obligés de mentir, même léger, ce n’est pas très sain.
Doria Tillier
Quel message vouliez-vous faire passer ?
S’il y en a un, ce serait simplement de dire ce que l’on pense. Je ne parle même pas d’opinions politiques ou autres. Juste les discussions quotidiennes, celles qui occupent 90% de nos vies. Quand, chaque jour, on est obligé de mentir, même léger, ce n’est pas très sain et je ne vois pas pourquoi on continuerait.
Ce personnage d’Iris a-t-il changé les choses pour vous ?
Iris est l’expression de mon fantasme. Cela révèle ce que j’aimerais pouvoir être, ce que je m’empêche parfois de faire parce que je ne veux pas qu’on me regarde de travers, même si ce que je pense n’est pas déplacé. J’ai appris d’elle et je lui ressemble un peu plus aujourd’hui. Je n’ai pas changé de personnalité, je suis plus susceptible de dire simplement ce que je pense. Je n’en ai pas honte. Je le fais et ça se passe bien. Bon, avec Iris ce n’est pas toujours le cas, mais c’est avant tout une comédie.
Qu’y a-t-il d’autre de toi dans sa maison ?
Un côté « gazeux ». Elle est un peu maladroite, faisant la mauvaise blague au mauvais moment ou une de trop. Quand je me sens mal à l’aise, je peux faire une blague excessive. Elle est aussi comme un gros gabarit qu’on a mis là et qui ne sait pas trop quoi faire de tout ça. J’aimais porter des choses visuellement amusantes et m’amuser avec mon grand corps. Dans une comédie plutôt cérébrale, j’aime quand il y a des gags visuels. J’aime me poser des questions et rire parce que quelqu’un tombe.
Dans l’entourage d’Iris se trouve également Daphné, sa cousine, une journaliste haut en couleur incarnée par Anaïde Rozam (actuellement dans la série « Culte »)…
En écrivant, j’avais en tête tous les acteurs correspondant aux personnages, sauf celui-ci. Cette riche cousine, avec un petit côté Kim Kardashian, est assez désagréable, mais je voulais quand même qu’elle plaise aux gens. Nous avons fait un casting. Anaïde a quelque chose de très enfantin, elle peut dire des choses horribles et on sourit toujours. C’est la seule qui a réussi à rendre le personnage attachant.
C’est une journaliste un peu spéciale…
Daphné ne se soucie pas de l’intérêt du sujet, elle ne pense qu’à sa pomme et veut juste se lancer. Elle dit même : « Nous ne nous soucions pas d’un sujet intéressant, ce que nous voulons, c’est un sujet que les gens ont envie de regarder. » S’ils veulent manger de la merde, elle se fera un plaisir de leur faire caca.
Vous aviez envie de mettre le doigt sur une tendance actuelle ?
Ce n’est pas du tout l’objet de la série, c’est un constat sur cet aspect-là. Je vois comment les mots peuvent être repris et décontextualisés. Même si cela ne semble pas grave, c’est très embarrassant et désagréable. Nous nous sentons mal à l’aise. Ce n’est pas le reflet de ce que nous avons dit, de ce que nous sommes et cela nous pousse à nous replier sur nous-mêmes. C’est aussi une des raisons pour lesquelles les gens disent de moins en moins de choses lors des entretiens.
Si l’on regarde mon passage à « Quotidien », je comprends qu’on ressent un certain malaise. Mais de là à faire des articles…
Doria Tillier
Récemment, votre passage au « Quotidien » a fait l’objet de plusieurs articles évoquant un malaise sur le plateau, où vous faisiez la promotion de la série « Les enfants sont rois ». Est-ce que ça vous est arrivé ?
Si on regarde l’émission, je peux comprendre qu’on ressent un certain malaise. Mais passer de là à faire plusieurs articles intitulés ainsi… Ce n’est absolument pas représentatif ! Je ne vais plus passer à la télé. Je devais revenir à « Quotidien » la semaine suivante, j’ai refusé. Ce n’était pas contre eux que je voulais crier, mais je voulais me protéger. Dans mon premier court métrage en tant que réalisateur et scénariste [“La diagonale des fous”, présenté à Cannes en 2021, NDLR]il y avait déjà un personnage nommé Daphné, qui était journaliste et une personne horrible. J’avais cette envie de me dire : « Ces journalistes sont des malades mentaux. Ils sont fous et c’est sérieux.
Vous avez créé, co-écrit et joué Iris. N’était-ce pas fastidieux de porter tous ces chapeaux ?
« La vie est super dure ! » C’est une phrase qui revient plusieurs fois dans la série et que je dis souvent. Je trouve ça super dur, peu importe ce qu’on fait ! Élever des enfants est difficile. Ne pas travailler est difficile et pas seulement par manque d’argent. Travailler est également difficile. Honnêtement, tout me semble difficile. Diriger et jouer l’est, mais j’aime penser à quelque chose dans son ensemble. Sur la météo de Canal+, j’ai écrit, j’ai joué, j’ai mis en scène et j’ai trouvé mes costumes.
Je pense à mes années en tant que Miss Weather avec beaucoup d’affection. J’étais très libre et très heureux.
Doria Tillier
On vous parle encore de vos années de Miss Météo sur Canal+ ?
Oui et j’y pense avec beaucoup d’affection. J’étais très libre et très heureux. C’était vraiment génial mais aussi super stressant. J’ai été malade pendant un an la première saison avant chaque émission. J’étais en direct à la télé tous les soirs pour faire rire les gens. Ce n’était qu’un sketch de deux minutes et demie, et pourtant j’y ai mis tout mon cœur. Le matin, vous êtes arrivé et vous êtes reparti de zéro. Il fallait avoir écrit la pastille avant 13 heures, puis apprendre le texte et trouver les accessoires… J’adorais cette adrénaline, mais la tension était permanente. Avec Bertrand Delaire, nous avons écrit ce que nous voulions. Avoir un éléphant sur le plateau était la seule demande qui m’a été refusée. Mais seulement parce que nous étions au sous-sol et que l’animal ne pouvait pas rentrer dans le monte-charge.
En tant qu’actrice, avez-vous eu des frustrations ?
Cela aurait pu m’arriver mais je suis heureux d’être dirigé par d’autres. Je l’aime! Je pourrais réaliser à nouveau – je l’espère – mais ce n’est pas un changement de direction. C’est agréable d’adopter la vision de quelqu’un. Et c’est plus relaxant.
On vous associe souvent à Nicolas Bedos, votre ancien compagnon, qui vous a lancé dans « Monsieur & madame Adelman ». Vous en avez marre ?
Non, cela m’arrive très rarement. A vrai dire, très peu de journalistes me posent la question.
Quels sont vos prochains projets ?
Je n’en ai pas. J’ai passé beaucoup de temps sur cette série que j’ai terminée il y a quelques jours seulement. Donc honnêtement, je n’ai aucun projet. Je verrai au jour le jour…
« Iris », du 25 novembre, sur Canal+.