A 47 ans, le Finistérien est l’un des marins les plus expérimentés de cette 10ème édition. A bord de son IMOCA dernière génération, il espère gagner. Mais le natif de Landivisiau n’oublie pas qu’en 2020, alors qu’il était déjà prétendant à la victoire, une collision avec un objet flottant non identifié (Ofni) avait détruit tous ses espoirs. Jérémie Beyou termine treizième. Son meilleur résultat reste une troisième place lors de l’édition 2016-2017. A la fois détendu et impatient de repartir, « Jérém’ », comme l’appellent ses proches, a reçu le JDD à bord pour évoquer ses ambitions, la violence des océans et la séparation d’avec sa famille.
Le JDD. Etes-vous stressé ou calme ?
Jérémie Beyou. Il y a évidemment un peu de stress car c’est un gros événement. Mais par rapport aux éditions précédentes, je suis plutôt détendu. Ceci étant dit, il y a de l’impatience d’y aller. Nous nous préparons depuis le précédent Vendée Globe. Les gens ne l’imaginent peut-être pas, mais c’est comme aux Jeux Olympiques, la préparation dure quatre ans.
«Dès que la ligne de départ est franchie, tout le monde a sa chance»
Comment gérez-vous le fait d’être classé dans la catégorie des favoris ?
Ce statut salue avant tout le travail que nous avons réalisé avec toute l’équipe. Je préfère que les gens se disent : « Beyou est capable de gagner le Vendée Globe »plutôt qu’eux qui pensent que je n’ai aucune chance. Avoir le statut de favori ne garantit ni la victoire, ni le podium, ni même la finition. C’est juste une étiquette dont il faut se débarrasser rapidement. Dès que la ligne de départ est franchie, tout le monde a sa chance.
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Vous en avez assez de vous rappeler régulièrement vos déboires d’il y a quatre ans ? D’ailleurs, avez-vous fini par savoir ce qu’était cet OFNI ?
Nous apprenons que quelques jours plus tôt, un catamaran s’était renversé dans cette zone. C’est probablement un vestige de l’épave que j’ai dû taper. Est-ce que ça m’énerve qu’on m’en parle encore ? Non, cela fait partie de la course précédente et je me souviens que j’ai bouclé la dernière Vendée malgré tout. Cela m’a apporté beaucoup d’expérience que je vais utiliser pour celui-ci.
Entre votre premier et votre cinquième Vendée Globe, qu’est-ce qui a le plus changé ? Les foils, ces ailerons latéraux ?
En 2008, nous essayions de donner de la puissance et de l’inertie aux bateaux pour qu’ils puissent traverser les vagues. Aujourd’hui, avec les foils, on passe au dessus des vagues. C’est une révolution. En 2016, nous avons transformé mon bateau de l’époque. Nous avons remplacé les palmes par des foils, ce qui m’a permis de prendre la troisième place d’un Vendée remporté par Armel Le Cléac’h [premier skippeur à gagner la course avec des foils, NDLR]. Depuis, les foils n’ont fait qu’augmenter en taille et toute l’architecture des bateaux s’est adaptée à l’utilisation de ces appendices.
Avec les vitesses atteintes grâce à ces foils, les chocs sont encore plus forts. Pratiquez-vous un sport brutal ?
Oui, c’est un peu un sport de brute, c’est vraiment très violent. Les bateaux vont très vite en passant au dessus des vagues, jusqu’à ce qu’une vague soit plus grosse qu’une autre, et il peut y avoir une décélération importante avec des chocs. Il faut faire attention aux charges que l’on met dans le gréement et au choix des voiles. Il existe certaines configurations que le bateau n’accepte pas. Si on les utilise, on risque de tout faire exploser. En fait, cela demande beaucoup d’attention aux détails dans un environnement très violent. Quand on regarde la Formule 1, c’est un peu pareil. On a l’impression que ça va très vite et que c’est très brutal. Une voiture de F1 est vraiment contrôlée par l’habileté avec des réglages très précis. Ce sont des exercices d’experts.
Vous êtes papa d’une petite fille de trois mois. Quand vous la reverrez, elle aura changé…
Peut-être qu’elle se mettra à quatre pattes et dira « maman ». J’espère aussi qu’elle dira « papa » ! C’est quelque chose auquel je suis habitué. Lors de mon premier Vendée, mon aîné avait cinq ans et mon deuxième un an. Mon aîné, Achille, est né alors que j’étais en mer sur la Transat Jacques-Vabre, et je ne suis jamais là pour ses anniversaires car je suis soit sur la Transat, soit autour du monde. Ce n’est pas facile de laisser derrière soi ceux qu’on aime et c’est encore plus dur pour eux. Mais c’est une vie de passion. Ils savent très bien qu’à un moment donné, ils devront me laisser partir. Pendant la course, nous échangeons régulièrement. Les séparations sont compliquées mais les retrouvailles sont si formidables que je ne changerais cette vie pour rien au monde.
Qu’emportez-vous comme souvenir pour vous accompagner lors de ce tour du monde ?
J’ai des photos de la famille. C’est simple et c’est important pour moi. Sur mon téléphone, j’ai aussi des petites vidéos du bateau qui va vite vu de l’extérieur pour me rappeler qu’il peut effectivement être rapide et qu’il ne faut pas hésiter à « tirer » dessus, dans la limite de ce qui est évidemment acceptable.