Par Dimitri Krier
Publié le 6 novembre 2024 à 3h03mis à jour sur 6 novembre 2024 à 7h42
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Reportage Plus de 1 000 citoyens américains ont participé au « vote de paille » organisé par cet établissement parisien depuis cent ans lors de chaque élection présidentielle aux Etats-Unis. Certains d’entre eux se sont retrouvés mardi soir pour la « Nuit américaine ».
L’urne est descellée. Les derniers bulletins de vote sont étalés sur le comptoir. Une centaine de personnes au Harry’s Bar, des dizaines dans la rue, trépignent d’impatience. « Avez-vous voté correctement ? » demande une femme à son amie. ” Oui. À nous tous, cela fait quatre voix de plus pour Kamala Harris. » L’effervescence est à son comble ce mardi 5 novembre. Harry’s Bar s’apprête à dévoiler les résultats de son « vote de paille » (un « vote de paille »), organisé à chaque élection présidentielle aux États-Unis depuis cent ans et où seuls les citoyens américains sont autorisés à voter. L’establishment ne s’est trompé que trois fois dans ses prédictions (1976, 2004 et 2016). Un taux de réussite qui rendrait jaloux plus d’un institut de sondage.
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Le patron s’approche du miroir du comptoir et note les résultats au feutre blanc : 534 pour Kamala Harris, 568 pour Donald Trump. Le candidat républicain, président des Etats-Unis de 2017 à 2021, l’emporte. Les huées sont massives. Quelques applaudissements se font entendre, sans que l’on sache d’où ils viennent.
Les démocrates sous le choc
Pour les Américains expatriés à Paris présents ce mardi soir, ce fut un choc. “Raconter!” » » proclame Kevin. Ce citoyen américain qui vit à Paris depuis quarante ans ne cache pas son étonnement : «Le passage des Trumpistes au Harry’s Bar de Paris est un signe clair que l’Amérique est sens dessus dessous. » « Voir Trump gagner à Paris, c’est vraiment bizarre. poursuit Sean, originaire de Miami. J’espère que cela ne reflète pas le vrai résultat. » « L’électorat américain n’est pas bien représenté ici… »s’exclame Jean-Claude, dont l’épouse est citoyenne américaine. « Si je pouvais sauter par la fenêtre, je le ferais. Jusqu’à présent, nous passions un bon moment… »» dit Jake, un ingénieur vivant à Paris.
La soirée avait bien commencé. Dans ce bar situé dans le quartier de l’Opéra, véritable institution pour les Américains de la capitale, l’entrée s’est faite en grande pompe. Tapis rouge, bracelets noués au poignet, cocktails offerts. Les invités ? Tous triés sur le volet. Une centaine d’Américains, journalistes, ingénieurs, guides touristiques, chefs d’entreprise. La grande majorité (sinon la totalité) des invités à qui nous avons pu parler ont manifesté leur soutien au candidat démocrate.
Peu de doutes… Ce sont les touristes américains, nombreux à fréquenter le bar, qui ont fait pencher la balance en faveur de son rival républicain. « Entre Américains de passage à Paris et expatriés, c’est plutôt représentatif. Les touristes riches votent pour le camp républicain et les expatriés plus progressistes votent pour le camp démocrate. C’est 50/50, comme aux États-Unis. analyse Franz-Arthur MacElhone, gérant du bar, qui vante la parfaite neutralité de son établissement.
Conscients que leur pays est plus divisé que jamais, Lane et Kaitlin, deux Américains installés à Paris depuis dix ans, considèrent que l’élection de ce mardi soir est « le plus important de l’histoire des États-Unis ». “Et j’ai bien peur que nous ne connaissions les résultats qu’en février !” Ils raconteront et raconteront… »ironise Kaitlin, qui craint que Donald Trump ne tente de reprendre le pouvoir par un coup d’État. «Si Trump est élu une deuxième fois, cela confirmerait que les Américains veulent qu’il soit au pouvoir. Ce serait un désastre. » ajoute Lane. « Il faut reconnaître qu’il était bon dans ses rencontres et à la télévision. La personnalité de Kamala Harris divise beaucoup les Américains… Mais bon, celle de Trump aussi. continue-t-elle.
Pour les deux jeunes femmes, journalistes « lifestyle », il faudra attendre encore un peu. Les résultats, attendus dans la nuit et dans la journée de mercredi, pourraient mettre plusieurs jours à être connus, comme en 2020. « Nous devons juste prier ! » » Lane conclut.
Où se cachent les partisans de Donald Trump ?
Dans le sous-sol du Harry’s Bar, Rachel et Hanya, originaires de Pennsylvanie et de New York, croisent également les doigts pour que Kamala Harris gagne. Quand on leur demande ce qu’ils aiment chez le vice-président sortant, ils répondent. «Euh… elle est charismatique. Et puis nous sommes démocrates, nous sommes modérés ! » s’exclament-ils.
Les deux jeunes femmes, expatriées à Paris depuis six ans, souhaitent avant tout faire barrage à Donald Trump. « C’est un bébé capricieux. Nous ne voulons pas d’un fou à la Maison Blanche.»» raconte Rachel, journaliste au magazine « Vogue ». Hanya, guide touristique des Américains, espère ne pas croiser ce soir un seul partisan du candidat républicain. « Nous sommes tellement différents que parfois je me demande si nous ne devrions pas être deux pays différents. C’est un fantasme, mais pourquoi pas ? » rit la jeune femme.
Hanya ne rencontrera aucun républicain ce soir. Pour trouver des partisans déclarés de Donald Trump, il faut quitter le Harry’s Bar et traverser la rue. Dans la foule venue célébrer « American Night », une casquette « Trump 2024 » se détache. Vincent et Jean-Baptiste, deux Français, autrefois proches du parti de la Reconquête ! d’Eric Zemmour, venus soutenir Donald Trump, leur modèle. “S’il est élu, il luttera contre le “wokisme” et ses dérives dans le monde”, dit Vincent. Quand on évoque la possibilité que l’ancien président perde ce soir, ils s’empressent de remettre en question l’élection… « Il peut toujours y avoir des fraudes, comme partout… »ordonne Jean-Baptiste.
Des mots que Jake n’entendra pas. L’ingénieur, né à New York et basé à Paris depuis dix ans, ne comprend toujours pas comment Harry’s Bar a pu mettre le candidat républicain en tête :
«Tous mes amis sont progressistes. Je sais qu’ils existent, ces gens [qui votent Trump, NDLR]mais comment imaginer qu’ils soient plus nombreux que nous ? J’ai dû avoir du mal à l’imaginer. »
Il faut croire qu’ici, personne, y compris les journalistes français – aveuglés sans doute par les tenues de soirée mondaines, les shakers et les mini-burgers – n’a vraiment compris pourquoi le vote du Harry’s Bar s’était déplacé en faveur de Donald Trump. Où se cachaient les partisans républicains ce soir ? Qui, entre deux amuse-gueules, a finalement glissé dans l’urne un bulletin en faveur du candidat républicain ? A la barre, les contre-débats entre démocrates éclatent. ” Kamala Harris connaît tous les tenants et aboutissants de la politique, c’est une rappel d’Hillary Clinton. Elle sera très bien »dit un homme. « Ce qui a poussé les États-Unis à se replier sur eux-mêmes, c’est la montée en puissance de la Chine. » commente un autre. Deux Amériques, si perceptibles. Si invisibles les uns aux autres.