Beaucoup l’ont peut-être oublié, mais l’essor des documentaires télévisés a commencé sur Canal+. Pour les 40 ans de la chaîne, l’ancien directeur du service le rappelle avec fierté. Entretien.
Par François Ekchajzer
Publié le 4 novembre 2024 à 16h00
CCatherine Lamour, qui a réalisé des documentaires chez Canal+ pendant près de vingt ans, revient sur ce que l’essor du genre à la télévision doit à la chaîne cryptée, qui fête ses 40 ans ce 4 novembre. aux yeux des abonnés actuels, qui n’ont pas forcément connu la Canal “historique”.
Quand on parle de documentaires à la télévision, on cite toujours les chaînes publiques, Arte et France Télévisions…
Et pourtant, les documentaires ont été les premiers sur Canal+. En 1984, il n’y avait que trois chaînes et elles en programmaient très peu. De plus, il s’agissait davantage de rapports, produits en interne par les services d’information. L’arrivée de Canal+ a provoqué un glissement et modifié considérablement le paysage. A la fin des années 80, nous recevions trois mille projets par an, avions un grand nombre de cartons et avions beaucoup de monde qui travaillait. La production privée s’appuie alors sur de grandes sociétés qui ne s’intéressent qu’à la fiction. Beaucoup de réalisateurs avec lesquels nous souhaitions travailler ont préféré créer leur propre société – certaines existent encore. Et ce réseau de producteurs qui a débuté chez nous a ensuite bénéficié à d’autres filières.
Comment êtes-vous arrivé sur Canal+ ?
J’étais à Télé-Hachette, une société dirigée par Frédéric Rossif qui fut le roi du cinéma animalier et historique. J’étais sa petite main et j’ai beaucoup appris avec lui. Quand le travail s’est arrêté, l’assistant du président d’Havas, avec qui j’avais fait mes études secondaires, m’a parlé d’une chaîne qui était en train de se créer. C’était en 1983 et, quelques jours plus tard, j’ai été appelé à apporter mon savoir-faire. Je me souviens avoir entendu : « Chaque documentaire doit être aussi bon que la meilleure publicité. » Ce à quoi j’ai répondu : “Vu le prix d’un film publicitaire, ça ne va pas tenir !” » Nous avons commencé à quatre, dans un bureau miteux de l’avenue de la Grande-Armée. Quand je suis parti, au début des années 2000, nous étions cinq mille.
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Quelle place occupait le documentaire dans le projet initial ?
Pierre Lescure et Alain De Greef, arrivés peu après [en tant que directeur et directeur de production, ndlr]a conçu Canal+ autour du cinéma, du sport, de la fiction, des programmes courts et du documentaire. Le premier était Premier contact [chef-d’œuvre ethnographique tourné en Papouasie-Nouvelle-Guinée par Bob Connolly et Robin Anderson, ndlr]diffusée le 4 novembre 1984 où André Rousselet [président de Havas, ndlr] j’ai appuyé sur le bouton sans savoir si cela fonctionnerait. La première année a également été difficile, ne serait-ce que techniquement, mais Pierre et Alain ont compris qu’il fallait proposer aux abonnés ce qu’ils ne voyaient pas ailleurs – le documentaire en faisait partie – et le faire savoir. Et fin 1985, nous avions dépassé le premier million d’abonnés.
Quels types de documentaires programmiez-vous ?
Nous avons été les premiers à acquérir les films animaliers de la BBC, les plus beaux au monde. Étant les seuls français sur le marché, nous avons acheté ce que nous voulions. Nous étions les rois de la jungle ! Nous sommes ensuite passés aux films sociaux, en prenant soin de maintenir un équilibre entre documentaires d’image et documentaires de contenu. Certains ont déplacé les lignes, comme Souvenirs d’immigrés, par Yamina Benguigui, qui avait été refusée par toutes les chaînes. Ou Yougoslavie, suicide d’une nation européennepar Brian Lapping, que je considère comme un génie. Quand Agnès Varda nous a soumis un projet de court-métrage, Alain De Greef n’en voulait pas, nous en avions déjà beaucoup. Mais le jour où, sur nos conseils, elle est venue vers lui avec une pomme de terre en forme de coeur, il a fondu et lui a dit « D’accord, mais faites plutôt un grand film. » Cela a donné Les Glaneurs et le Glaneur. Il y a quarante ans, les longs métrages documentaires étaient rares. Maintenant, nous le montrons à Cannes ; et quand je veux regarder des documentaires à la télévision, le choix ne manque pas. Canal+ a participé à cette évolution.
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