LLe café du petit matin passé à discuter entre amis chez Chez Gigi, c’est fini. Trois mois que l’emblématique bar tabac de la commune de Saint-Angeau, dans le Val-de-Bonnieure, a fermé ses portes. Il a suffi d’une mauvaise chute pour forcer Ghislaine Plissonneau, 95 ans, à raccrocher ses gants, le 6 août. «J’ouvrais six jours par semaine», raconte Gigi, qui a repris l’ancien hôtel-restaurant en 1962 et vit toujours à la maison derrière le bar.
Soixante-deux ans derrière le comptoir, ce n’est pas si courant. Une institution. Ce n’est pas un hasard si sa bobine est affichée sous forme d’affiche à l’intérieur. « Un cadeau des buralistes de France : c’est la plus ancienne buraliste du pays et une mascotte de Saint-Angeau, connue à des kilomètres à la ronde », sourit Aurélien Debouchaud, son petit-fils, qui, avec sa sœur Glwadys, leur cousin Bruno, son conjoint et ses parents, s’occupent à tour de rôle de leur grand-mère.
« Mes clients étaient comme ma famille. »
Les années n’ont pas adouci son fort caractère. Mais il ne faut pas compter sur Gigi pour raconter l’histoire. “Ça ne doit pas durer longtemps, je ne suis pas un monstre !” dit la nonagénaire, les yeux brillants. Je suis une personne directe, il n’y a pas de surprises chez moi. » Cela fait rire ses petits-enfants. « Chez nous, elle était toujours plus douce. Mais sans ce personnage, elle ne serait pas arrivée jusque-là, avoue avec admiration Aurélien Debouchaud. Elle a encore dirigé seule l’établissement toutes ces années tout en élevant deux enfants. »
« Avec quelqu’un de temps en temps pour faire la vaisselle », ajoute Gigi, dont les quatre chambres d’hôtel ont hébergé des commerciales jusque dans les années 1980. Depuis 2004, il ne restait plus que le bar et le bureau. tabac. « Si je restais sur mon canapé, je ne verrais pas autant de monde », confiait Gigi à CL en 2009. Il y avait beaucoup de monde, des locaux, des camionneurs, des footballeurs du club de Saint-Angeau… « J’ai mis les scores de l’équipe. au tableau », raconte Gigi, qui régale depuis longtemps ses clients avec son coq au vin, ses cagouilles ou ses snacks découpés dans le pain.
Même après la fermeture du restaurant, ses tables étaient disponibles pour les personnes venant avec leur pique-nique. « Les éboueurs s’arrêtaient encore à 9 heures tous les mercredis avant que je ferme », raconte Gigi, qui animait de nombreuses soirées taverne et ne fermait que le dimanche après-midi… pour aller aux thés dansants de La Cigale à Chenon.
Un sacré numéro
Inutile de lui poser des questions sur ses meilleurs souvenirs. « J’ai tout pris, tout était bon ! », raconte Gigi, originaire de Vendée, qui a travaillé plusieurs années comme vendeuse au magasin Saint-Simon d’Angoulême avant de racheter l’ancien relais de poste de Saint-Angeau. “Quand on est jeune, on a envie de créer quelque chose.” Son pire souvenir ? « Ayant fermé », répond-elle d’emblée.
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« La fermeture a été brutale, de nombreux clients frappent encore à la porte, leurs enfants ou petits-enfants offrant des petits cadeaux. Les coiffeurs viennent faire son coiffage à domicile, raconte Aurélien Debouchaud. Nous faisons tout pour qu’elle puisse rester à la maison le plus longtemps possible. » A l’intérieur du bar, seuls les paquets de cigarettes ont disparu des rayons. Le temps s’est arrêté sur les bouteilles de whisky et de Malibu, toujours au-dessus du comptoir, à côté d’une pendule de collection Suze. « Elle a probablement été l’une des dernières à proposer du café avec une cafetière électrique », s’amuse son petit-fils. La première gorgée pourrait être intense ! »
Pourtant, il manque à beaucoup de monde à Saint-Angeau. « Ne plus avoir de lieu convivial pour se retrouver le matin autour d’un café, ça crée un vide », confie Marie Artaud, qui tient l’épicerie Les Gourmandises, en face du bar tabac. Depuis son arrivée à Saint-Angeau en 1998, le voisin de Gigi ne l’avait jamais vu fermer sauf le dimanche après-midi. « Nous avons bien ri. Gigi, c’est un sacré numéro, certains ont été envoyés au mur», avoue Alain Starosta, qui y venait prendre un café tous les matins. En achetant un paquet de cigarettes qu’il a laissé derrière lui. « Cela m’a obligé à revenir fumer une cigarette. Comme ça, j’ai moins fumé ! »
Entreprise à vendre
Voir rouvrir le bar tabac Saint-Angeau, c’est le rêve de Gigi et de ses petits-enfants, qui viennent de mettre en vente le commerce et sa licence IV. « La dernière de la ville, on ne veut pas qu’elle aille ailleurs », confie Aurélien Debouchaud, l’un des petits-fils de Gigi. Ici il y a de tout, deux épiceries, un restaurant, un centre de santé, une pharmacie… Nous voulons qu’un bar tabac puisse redonner vie à la commune. »