L’amour coule (3⭐/4)
Nous l’avons laissé avec Les choses que nous disons, les choses que nous faisons Alors Chronique d’une affaire passagèreEmmanuel Mouret nous revient avec une variation inédite et séduisante sur les intermittents du cœur. Il fut donc un temps où Jeanne n’était plus amoureuse de Victor et souffrait de se sentir malhonnête avec lui. Mais Alice, sa meilleure amie, la rassure : elle-même n’éprouve aucune passion pour Éric, son compagnon, alors que leur relation semble se dérouler à merveille… Elle ignore cependant qu’il entretient une liaison torride avec Rebecca, leur amie commune !
Cependant, lorsque Joan décide finalement de quitter Victor et que ce dernier disparaît, la vie des trois amis est littéralement bouleversée. Ce scénario finement tricoté par Emmanuel Mouret et Carmen Leroi s’appuie d’abord sur un casting absolument impeccable : Joan et Victor sont interprétés par India Hair et Vincent Macaigne, Alice et Éric par Camille Cottin et Grégoire Ludig. Quant à Sara Forestier, elle incarne Rebecca. Damien Bonnard et Éric Caravaca complètent le tableau.
Nos critiques cinéma de la semaine
«Trois amis est pour moi une comédie dramatique dans le sens où le tragique et le comique s’entremêlent partout.» Qui mieux qu’Emmanuel Mouret pour résumer le sujet d’un film où alternent rires et larmes, émotions fortes et passions légères, deuils et renaissances ? Et qui de mieux qu’un fantôme pas du tout effrayant pour servir de voix off et de fil rouge à cette histoire ? C’est donc le personnage de Victor qui fera le lien entre l’histoire et nous, apparaissant et disparaissant aux yeux d’une Jeanne qui doute constamment de ses sentiments. Le film tire aussi son charme et sa force de cette petite dose de fantaisie.
C’est en quelques semaines la deuxième apparition fantomatique et bienveillante du cinéma français : Ludivine Sagnier dans Quand l’automne arrive le nouveau film de François Ozon, disparaît lui aussi subitement pour mieux puis réapparaître à certains personnages vivants de l’histoire ! Mais ces fantômes n’ont rien à voir avec ceux qui hantent les Films d’horreur. Loin d’être silencieux ou vindicatifs, ils s’expriment sereinement, prodiguant conseils et recommandations, sans l’ombre d’une acrimonie ou d’un ressentiment. Chez Mouret, comme chez Ozon, les morts ne veulent que du bien à ceux qui sont restés. ” Souffrir, faire des erreurs, c’est aussi ça être vivant.ainsi disait le fantôme Victor à sa bien-aimée qui avait cessé de l’aimer, plus philosophique et empathique que jamais.
Comme d’habitude dans le monde de Mouret, on parle beaucoup. Il est sans doute l’héritier de Marivaux, Rohmer et Woody Allen, pour ne citer qu’eux, dans l’art subtil de la conversation romantique entre amoureux et entre amis. Ici, presque tout se passe par les mots. Non pas une parole sacrée, définitive, paralysante, mais des phrases et des mots qui circulent entre les personnages et les situations pour mieux les incarner. La mise en scène est également en phase avec cette fluidité permanente du langage : la caméra de Mouret s’empresse de raconter sans pause ces histoires entremêlées.
Bérénice Béjo : « Tout choix est politique »
Et si ce film est une étape supplémentaire dans la belle filmographie de Mouret, c’est parce que le cinéaste accepte à plusieurs reprises de sortir de sa zone de confort, preuve s’il le fallait de sa grande pertinence. D’abord, nous ne sommes plus à Paris, comme dans la majorité de ses films précédents, mais à Lyon. Une grande ville, certes, mais aux accents du sud et sans la pression spécifique de la capitale. Une ville où l’on s’apaise, serait-on tenté de dire, à l’image des nouveaux personnages que l’on voit dans Trois amis .
Et surtout, ces nouveaux personnages de Mouret n’évoluent plus uniquement dans les milieux artistiques. Ils peuvent être enseignants ou travailler dans une station de radio. Nous rencontrons certes un peintre, mais il vit ailleurs et son histoire sera une parenthèse aussi enchantée que décevante et vite refermée. En acceptant une forme de banalité quotidienne, Mouret se débarrasse des tics d’un petit milieu parisien. Loin de Paris, sa fable gagne en légèreté sérieuse, en émotions simples et communicatives. Son “Joan, Alice, Rebecca et les autres » prend alors le charme indéniable d’un cinéma de chronique cher à Claude Sautet et Bertrand Tavernier, notamment. Qui va s’en plaindre ?
Au cœur du rayonnement (3⭐/4)
«Inspiré d’une histoire vraie« . Placée au début du générique d’un film, la mention peut faire frémir tant elle est parfois utilisée pour dire n’importe quoi, de n’importe quelle manière. Rien de tel ici, le nouveau film du réalisateur espagnol Icíar Bollaín est un reflet absolument fidèle et terrifiant de ce qui s’est réellement passé de 1999 à 2002 à Ponferrada, dans la province de León, en Espagne. Ou encore l’histoire du harcèlement sexuel et moral que le maire de cette ville a fait subir à une jeune et brillante diplômée de 25 ans qu’il avait fait entrer dans son conseil municipal. Et le retentissant procès qui s’en est suivi, la victime ayant décidé de traduire en justice son bourreau, contre l’avis de presque tout le monde.
L’Affaire Nevenka, de Icíar Bollaín, avec Mireia Oriol, Urko Olazabal, Ricardo Gómez. 1 h 57. Sortie mercredi. (Crédits : LTD/David Herranz/Epicentre Films)
L’histoire de ce premier MeToo politique espagnol est d’autant plus glaçante qu’elle concentre tous les éléments du processus de contrôle que l’on connaît désormais. Grâce
dans la fiction, on est au plus près des angoisses et des tourments que traverse cette jeune femme au courage incroyable, y compris dans sa conscience. Pour l’incarner, Mireia Oriol se révèle plus que parfaite, tandis que l’acteur Urko Olazabal est tout simplement époustouflant dans le rôle du prédateur manipulateur. Pulvériser les clichés et les idées reçues,L’affaire Nevenkafait preuve d’une redoutable efficacité qui n’empêche en rien la complexité. Le cinéaste évite ainsi de caricaturer les salauds, mais sans jamais les exonérer de quoi que ce soit. En cela aussi, elle accomplit une œuvre d’utilité publique.
Pauvre petite fille riche (2⭐/4)
Mettez-vous au travail !est le troisième film co-réalisé par le cinéaste Gilles Perret et l’homme politique François Ruffin. Cela montre que cette équipe insolite au cinéma comme en politique ne cache pas son jeu. Ensemble, ils inventent à chaque fois un ofni (objet filmique non identifiable) qui oscille entre documentaire et tract, film militant et reportage. Cette fois, tout part de l’invitation que Ruffin lance à l’avocate et chroniqueuse d’extrême droite Sarah Saldmann, la mettant au défi de venir découvrir les dures et éprouvantes réalités sociales de sa circonscription.
Au boulot !, de Gilles Perret et François Ruffin. 01h24 Sortie mercredi. (Crédits : LTD/Les 400 Clous)
Adoptant certaines pratiques de la télé-réalité, les deux auteurs filment la jeune femme alors qu’elle prend la place d’une ouvrière sur une chaîne de production alimentaire le temps d’une journée. Choc des cultures garanti et convictions soudain vacillantes… Et alors ? nous voulons dire. Car au final le cobaye consentant finit par quitter le navire, furieux d’être utilisé de cette manière alors même qu’il en avait accepté le principe. Mais fallait-il vraiment en faire un film ?
Avant l’apocalypse (3⭐/4)
En 2018, un jeune Italien diplômé en philosophie et cinéphile a trouvé l’opportunité de voyager à Gaza avec son appareil photo à la main. Au cours de deux séjours, il a rencontré des gens de son âge et a filmé des moments forts comme les funérailles d’un photographe palestinien abattu à 27 ans. Si elle met en lumière la dureté du blocus israélien et ses méthodes médiocres, elle capte aussi les joies furtives de cette vie suspendue dans une prison à ciel ouvert : le sport, la bibliothèque d’un jeune marxiste, les rêves d’un ailleurs.
Le voyage à Gaza, de Piero Usberti. 1h07, sortie le 6 novembre. (Crédits : LTD/JHR Films)
D’autres témoignages révèlent une oppression interne par la tradition et par le tout-puissant Hamas au nom de la résistance. Le film s’est terminé quelques jours avant le 7 octobre. Une expérience unique pour découvrir les protagonistes tout en se demandant s’ils sont encore en vie, s’ils ont des liens avec le Hamas, question que leur pose le documentariste. Libre au spectateur de douter – ou non – des réponses : le piège dans lequel il est coincé déchire l’écran tandis que le film, subtil et poignant, reste un voyage qui entremêle désir, émotion, découverte.