Aux Etats-Unis, l’étrange disparition des salles à manger

Aux Etats-Unis, l’étrange disparition des salles à manger
Aux Etats-Unis, l’étrange disparition des salles à manger

Où sont passées les salles à manger ? Dans les nouveaux logements américains, ces espaces réservés aux repas ont tendance à briller par leur absence, analyse The Atlantic. Quant à ceux qui existent depuis des décennies dans les vieilles maisons, nombreux sont ceux qui prennent la poussière en attendant le prochain déjeuner de Pâques ou le prochain dîner de Thanksgiving.

Adieu salle à manger, bonjour « cuisine ouverte »

Les Américains n’ont pour autant pas arrêté de manger. Mais, comme de nombreux Européens, ils déjeunent et dînent désormais dans des espaces qui font également office de cuisine ou de salon. À l’ère du triomphe des séries et du streaming, les repas sont aussi souvent relégués dans les canapés et les chambres. Résultat : pour de nombreux Américains, il est devenu pratiquement impossible d’inviter des amis à dîner.

Le prédateur ultime de la salle à manger, poursuit The Atlantic, est le « salon ». Très souvent, la rencontre d’un salon et d’une cuisine, reliés par une sorte de salle à manger ouverte (le fameux îlot central, ou bar, sur lequel on peut dîner).

« Ce n’est pas que les Américains ne veulent pas de salle à manger. C’est qu’ils veulent autre chose, et cette chose prend de la place. résume Stephen Smith, directeur exécutif du Center for Building in North America, une organisation qui milite en faveur d’une réforme des codes du bâtiment. « Dans le cas des maisons unifamiliales, cela se traduit par un grand espace de vie. C’est donc ce que les développeurs construisent aujourd’hui.

Selon des enquêtes menées en 2015 et 2016 par l’Association nationale des constructeurs d’habitations, 86 % des ménages souhaitent une cuisine et une salle à manger combinées.

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Recevoir des amis ou avoir sa propre chambre : impactés par la crise immobilière, les Américains doivent désormais choisir Onurdongel / Getty Images

Les Etats-Unis frappés par une « épidémie de solitude »

La disparition de la salle à manger ne peut cependant s’expliquer par le seul triomphe de l’îlot central. La crise du logement qui frappe le marché américain y est aussi pour beaucoup : en favorisant des appartements toujours plus petits, elle impacte directement les pièces destinées uniquement à la restauration.

Le fait que de plus en plus d’Américains vivent seuls favorise également la création d’appartements sans espaces collectifs. Selon le Bureau du recensement des États-Unis, la part des ménages composés d’une seule personne a plus que triplé entre 1940 et 2020. Mais une salle à manger peut sembler inutile à quelqu’un qui vit seul (ou être trop chère).

Quant aux appartements destinés à la colocation, leurs promoteurs sacrifient de plus en plus les pièces communes pour proposer une chambre supplémentaire.

Publié en 2015, un rapport du Food Marketing Institute ajoutait que près de la moitié du temps que les Américains passent à manger est du « temps solitaire ». Ces repas en solo illustreraient donc en partie « l’épidémie de solitude » qui, selon NPR, frappe aujourd’hui les Etats-Unis, ainsi que les problèmes de santé mentale qui en découlent.

La salle à manger, un espace initialement réservé aux puissants

La disparition progressive des salles à manger témoigne aussi de l’évolution de la société. La pièce, se souvient The Atlantic, est apparue au début du XXe siècle, lorsque la classe moyenne supérieure a commencé à embaucher des travailleurs étrangers comme domestiques. De nombreuses maisons américaines furent alors conçues pour offrir une section séparée dédiée au ménage (cuisines, buanderies).

Dans les ménages moins riches qui ne pouvaient pas embaucher de personnel, les tâches domestiques étaient confiées aux femmes. La cuisine est devenue leur royaume, la salle à manger celui du couple ou de la famille, cette répartition spatiale renforçant la ségrégation entre les sexes.

Bonne nouvelle, les mœurs évoluent et, avec elles, la décoration intérieure. Salles à manger, cuisines et salons fusionnent aujourd’hui : faut-il y voir un décloisonnement des tâches domestiques ?

« La plupart des nouveaux appartements sont construits pour Netflix »

Les nouveaux modes de vie, en tout cas, favorisent aussi la disparition des salles à manger. « Aujourd’hui, la plupart des nouveaux appartements sont construits pour Netflix et la détente, résume Bobby Fijan, promoteur immobilier et expert en plans de développement. Et si la salle à manger disparaît, c’est parce que nous consacrons le peu d’espace dont nous disposons aux chambres et aux placards.

Ces nouveaux modèles d’habitat répondent à une réalité : on mange moins souvent à table, et plus seul. Mais se pourrait-il aussi qu’ils l’encouragent ? « C’est un problème de poule et d’œuf. répond Fix. Combien de dîners de groupe pourrions-nous organiser si nous avions l’espace nécessaire pour accueillir des invités ? »

Les tendances et les modes, enfin, n’expliquent pas tout. La réglementation du bâtiment s’inscrit dans cette révolution intérieure. Du côté des maisons individuelles d’abord : bien que celles-ci fleurissent sur le territoire américain, elles doivent obéir à des limitations de surface de plus en plus strictes. Concernant l’habitat collectif, les nouveaux immeubles sont désormais contraints de se structurer autour de couloirs à double charge, c’est-à-dire qui desservent deux rangées d’appartements. Cette obligation rend difficile la construction de grands logements.

“Mais quand on ne peut construire que de petits appartements avec un seul mur de fenêtres, les pièces disparaissent naturellement, conclut l’expert. Personne ne veut d’une salle à manger sans fenêtres.

 
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