ENTRETIEN – C’est une première : avec Louvre Couturele « musée des musées » rassemble chefs-d’œuvre des Arts décoratifs et vêtements iconiques de grands créateurs.
Ces dernières années, il n’est pas une grande institution qui n’ait son exposition de mode. Normal, le sujet, à la croisée de la culture savante et de la pop culture, fascine les foules, notamment la Gen Z, friande de spectaculaire. Mais jusqu’à présent, le « musée des musées » ne s’y était pas essayé. C’est fait avec Louvre Couture (1), un voyage éblouissant qui rassemble des pièces iconiques prêtées par quarante-cinq des plus grandes maisons et des chefs-d’œuvre du département des objets d’art du musée.
Au cœur même des collections, sur 9 000 m2, se trouvent des silhouettes signées (entre autres) Azzedine Alaïa, Rick Owens, Hubert de Givenchy, Marine Serre, Thom Browne, Alexander McQueen, Demna et Karl Lagerfeld qui résonnent avec l’histoire des arts décoratifs, celui des styles, de l’artisanat et de l’ornement, de Byzance au Second Empire. Une balade esthétique, savante et décalée au cœur de l’histoire de la mode depuis les années 1960, conçue par Olivier Gabet, directeur du département des objets d’art du Louvre.
Un sujet qu’il connaît sur le bout des doigts pour avoir dirigé le Musée des Arts Décoratifs de Paris pendant près de dix ans. C’est notamment sous sa direction que le MAD connaît un succès avec des expositions comme Thierry Mugler, couturissime ou Sculpter les sensdédié à la designer néerlandaise Iris van Herpen.
Madame Figaro. – Le Louvre est-il un lieu de mode inattendu ?
Olivier Gabet. – Il est vrai que le Louvre ne possède pas de collection de mode à proprement parler, néanmoins le musée possède des collections textiles très importantes, des tapisseries médiévales ou de somptueux tissus coptes par exemple. Et, lorsqu’on déambule dans les pièces, la mode est partout ! Ici, une peinture ancienne, là, un bas-relief égyptien, plus loin, une sculpture grecque… La question du vêtement est intensément artistique. Il a également fait l’objet de Défilé au Louvre (2), le livre sur lequel j’ai travaillé la critique de mode Sophie Fontanel. Ensuite, le Louvre et sa Cour Carrée accueillent régulièrement des défilés de mode depuis 1982, notamment ceux de Nicolas Ghesquière pour la maison Louis Vuitton. Enfin, le Louvre reste le tableau d’humeur absolu, de nombreux créateurs viennent y puiser leur inspiration !
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Comment avez-vous choisi la centaine de silhouettes et accessoires présentés ?
Il y a des créateurs évidemment incontournables sur le sujet : je pense à Hubert de Givenchy, dont la passion pour les objets d’art est bien connue, à Karl Lagerfeld pour Chanel ou à Yves Saint Laurent, qui furent, on le sait, de grands collectionneurs, ou encore même John Galliano pour Dior. D’autres sont plus inattendus et sauront, je l’espère, surprendre le public, comme Jonathan Anderson pour Loewe, Daniel Roseberry pour Schiaparelli ou le travail de Matthieu Blazy pour Bottega Veneta (il a été nommé directeur artistique de Chanel mi-décembre, NDLR).
La nouvelle génération est donc très présente dans l’exposition. Comment les jeunes créateurs trouvent-ils l’inspiration dans les objets d’art ?
Ils maîtrisent parfaitement l’histoire de l’art. Prenez Iris van Herpen, par exemple. Nous vous présentons deux de ses créations, dont une impressionnante robe cathédrale ornée de motifs imprimés en 3D inspirés de l’architecture gothique. Cette œuvre m’a fait penser à tout le vocabulaire des encensoirs et des arts précieux de la fin du gothique flamboyant – période à laquelle Iris, d’origine flamande, est très sensible. Autre exemple avec la radicale Marine Serre. Visiteuse régulière des collections, elle maîtrise parfaitement l’art médiéval et excelle dans le recyclage des cultures visuelles. Nous vous présentons, aux côtés de splendides tapisseries médiévales, un manteau en tissu à motifs upcyclé Dame à la licorneet le lien est frappant. D’autres jeunes créateurs ont un rapport assez distancié aux questions d’histoire de l’art, comme Simon Porte Jacquemus, très libre sur ce sujet. On joue alors la carte du baroque, et on présente une robe de bal assez extraordinaire, un modèle de sa collection Le Chouchou (présenté au château de Versailles en 2024, NDLR) dans les salons Napoléon III. Quant à son microbag Chiquito, nous le comparons à nos vitrines d’objets miniatures, comme ces tabatières du XVIIIe siècle. Cela fonctionne très bien.
Les rapprochements sont très précis et scientifiques, mais jouez-vous aussi avec le décalage ?
Sinon, ce serait complètement ennuyeux. La mode n’est ni un prétexte ni un alibi, et les objets ne sont pas non plus de simples documentations par rapport à la mode : il y a une réelle égalité dans le traitement. Et même si l’on joue avec les insignes, les objets de couronnement ou les collections royales, cela n’arrête pas l’humour. Nous vous présentons par exemple la célèbre minaudière pigeon de Jonathan Anderson pour sa marque JW Anderson (en 2020, NDLR) à côté d’une magnifique colombe eucharistique, splendide oiseau naturaliste en émail de Limoges. Le travail de Jonathan Anderson pour Loewe est également présent, avec cette impressionnante veste métallique en étain martelé d’une seule pièce exposée dans notre salle d’armure. Nous avons aussi travaillé les contrastes, comme pour Balenciaga. Nous présentons un costume noir graphique avec un chapeau laqué, issu de la première collection couture de Demna pour la maison, dans le salon de l’Abondant – l’un des plus beaux décors du XVIIIe siècle.e préservé dans le monde. Ici, j’ai voulu une dichotomie entre silhouette et décor, et je me suis inspiré des photos des femmes Balenciaga des années 50 et 60, de toutes ces grandes mondaines new-yorkaises comme la baronne de Rothschild ou Mona von Bismarck… Elles s’affichaient dans des robes Cristóbal Balenciaga aux lignes raffinées. et formes conceptuelles… dans leurs intérieurs du XVIIIe sièclee ultrachargé.
Alors la mode est-elle aussi un art ?
La mode est l’un des domaines d’expression les plus passionnants et dynamiques de la création contemporaine. Dans l’exposition, il y a des pièces d’une beauté absolue, comme cette robe sculpturale d’Azzedine Alaïa, prêtée par la Fondation. C’est l’un des derniers modèles du créateur (disparu en 2017, NDLR) et nous le faisons dialoguer avec les Bronzes de la Couronne, époque Louis XIV. En 2015, Azzedine Alaïa présentait ses créations aux côtés des chefs-d’œuvre de la Villa Borghèse à Rome – c’est donc un clin d’œil. Les créateurs de mode sont des créateurs comme les autres, leur sensibilité et l’acuité de leur vision disent bien de notre époque.
(1) Louvre-Couture. Objets d’art, objets de modedu 24 janvier au 21 juillet, au Musée du Louvre, à Paris.
(2) Défilé au Louvrepar Sophie Fontanel, Edition Seghers, octobre 2024.
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