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L’artiste japonaise Chiharu Shiota tisse ses toiles au Grand Palais

L’exposition s’ouvre sur cette phrase en forme d’avertissement : «Qu’elles intimident, surprennent ou apaisent, les installations de Chiharu Shiota ne manquent pas de fasciner.« . Rien n’est plus vrai. Il faut ajouter que les œuvres de la Japonaise Chiharu Shiota, née à Osaka en 1972, interrogent et peuvent aussi choquer.

Depuis le 11 décembre, une foule de curieux se presse à l’ouverture devant la porte H du Grand Palais, non loin de la patinoire installée sous la grande verrière. Des Français mais aussi de nombreux étrangers attirés par la réputation de cet artiste reconnu dans le monde entier. Elle travaille en Australie et en Pologne, avant de s’installer à Berlin à la fin des années 1990. À voir jusqu’au 19 mars 2025.

Les visiteurs admirent l’installation de Chiharu Shiota, Où vas-tu ?, à l’entrée de l’exposition au Grand Palais, le 17 décembre 2024. (VALÉRIE GAGET)

En entrant dans cette exposition monographique, co-organisée avec le Musée Mori de Tokyo, le visiteur est surpris par une installation suspendue au-dessus de l’escalier monumental. Les montures métalliques tissées de fils blancs ressemblent à des ailes d’ange volant vers le ciel. Une œuvre monumentale mais poétique et aérienne en guise de lever de rideau.

Le parcours retrace trente ans de création aux multiples facettes depuis ses premiers pas d’artiste, dans les années 90. C’est le plus important qui ait jamais été consacré à sa carrière en Europe. Aux côtés des installations immersives les plus spectaculaires, il rassemble des dessins délicats (dont le tout premier chef-d’œuvre de l’artiste, une fleur et un papillon peints à l’âge de 5 ans), des photos, des vidéos de ses performances (un bain d’eau boueuse, son corps nu escaladant un mur et nichée dans une grotte), des décors de théâtre et d’opéra, des vieilles chaussures et des jouets qu’elle collectionne. Elle aime les objets de seconde main qui ont déjà servi.

Le fil conducteur de l’exposition, s’il fallait en choisir un, ce serait justement le fil conducteur, un élément essentiel de son œuvre. Chiharu Shiota était-elle une araignée ou Penelope dans une vie antérieure ? Pourtant, elle tisse sa toile et nous capture dans les filets de son imaginaire. L’installation nommée Voyage incertain qu’elle recrée pour le Grand Palais plonge les visiteurs émerveillés dans un bain de couleurs.

Des bateaux en métal noir libèrent des geysers de fils rouges qui s’entrelacent et créent une brume incandescente au plafond. L’artiste explique que «d’une certaine manière, ils symbolisent mon état mental face à la complexité des relations humaines« . Ces fils de laine rouges, qu’un petit garçon veut absolument toucher, nous font penser aux réseaux de neurones du cerveau ou encore à la circulation sanguine dans nos veines. Le visiteur circule dans l’œuvre et lui fait vivre.

Les visiteurs sont invités à ressentir « les frémissements de l’âme » qui rythment le monde intérieur et l’art. Le plasticien s’inspire souvent d’une expérience ou d’une émotion personnelle. Une autre pièce surprenante, entièrement tissée de fil noir, évoque un souvenir terrifiant.

À l’âge de 9 ans, Chiharu a assisté, impuissante, à l’incendie de la maison de ses voisins. Le lendemain, il y avait un piano calciné devant leur maison. Dans son installation appelée En silence, elle a placé un piano au centre de la pièce. Il semble piégé dans une matrice de fils noirs qui envahissent la pièce et recouvrent tout. Ils sont comme une fumée noire, une musique muette s’échappant du piano brûlé. Le fil agit comme un cocon qui protège les choses mais il évoque aussi la méchante araignée qui les capture.



Chiharu Shiota, En silence, 2002/2024, au Grand Palais, à Paris, le 17 décembre 2024 (VALÉRIE GAGET)

Avez-vous vu la vallée des valises ? , demande une dame. Oui, quelle imagination ! », s’émerveille son amie. La dernière salle de l’exposition laisse de nombreux visiteurs sans voix. Au plafond pend un régiment de vieilles valises suspendues par des fils rouges. “Quand je regarde une pile de valises, je ne vois que le nombre de vies humaines auxquelles elles correspondent. Pourquoi ces personnes ont-elles quitté leur lieu de naissance à la recherche d’une destination ?» demande l’artiste japonais exilé en Allemagne. Je pense aux sentiments qui les animaient le matin de leur départ

Ceux qui ont eu la chance de visiter le musée d’Ellis Island, porte d’entrée des immigrants vers les Etats-Unis, se souviennent de l’image de leurs piles de bagages. Son installation évoque également le sort tragique des victimes de la Shoah abandonnant leurs valises à l’entrée des camps de la mort.

L’artiste japonaise Chiharu Shiota tisse ses toiles au Grand Palais
L’artiste japonaise Chiharu Shiota tisse ses toiles au Grand Palais
(Valérie Gaget)

Avec l’affluence, certaines parties de l’exposition sont difficiles d’accès. Notamment le couloir trop étroit où sont présentées les premières œuvres de l’artiste. On regrettera également qu’un seul banc permette de s’asseoir pour profiter du film projeté dans l’exposition. Il retrace de manière intelligente et intelligible, même pour les non-initiés, le parcours de Chiharu Shiota et décrypte les mystères de sa création.

On entend la plasticienne de 52 ans revenir à plusieurs reprises sur ses choix et ses thèmes de prédilection : la vie, la mort, la peur de la mort, l’absence, la mémoire, le traumatisme. Elle termine par ces mots : «Tant que j’ai de l’imagination, je continue à créer et à rêver« .

Chiharu Shiota, les frissons de l’âme, au Grand Palais, à Paris, jusqu’au 19 mars 2025. Du mardi au dimanche de 10h à 19h30, le vendredi jusqu’à 22h. Tarifs : de 11 à 14 €. Gratuit pour les moins de 18 ans, les visiteurs handicapés et les demandeurs d’emploi.

 
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