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[LIVRE] L’Art Contemporain décrypté par A. de Kerros : le vademecum incontournable

Une banane collée sur un mur. L’installation de Maurizio Cattelan s’est vendue chez Sotheby’s pour plus de six millions de dollars le 20 novembre à New York. Quand on parle d’art contemporain, tout le monde voit de quoi il s’agit, qu’il s’agisse de cette banane ou de l’urinoir de Duchamps qui fut en 1917 la première œuvre « conceptuelle ». Le définir est une autre paire de manches, et encore une autre de le considérer comme un système. Saluons la réédition du livre d’Aude de Kerros (chez Eyrolles, en version augmentée, format poche) grâce auquel l’art conceptuel qui a envahi la planète est décrypté et démystifié.

L’expansion mondiale de l’art contemporain trouve son origine dans la lutte culturelle entre les États-Unis et l’URSS. Cela a favorisé un art de propagande réaliste après la guerre. Les Etats-Unis décident d’encourager un contrepoids avec un contre-art : ce sera l’art conceptuel. L’art en rupture, sans référence au passé, ne participant à aucune identité (les niant même), semble capable de se répandre sur toute la terre. « Trois formes de richesse, explains Aude de Kerros, expérimentez la circulation et la fluidité mondiales : matières premières, finance et art… ce dernier jouant un rôle unique dans la mondialisation. » Par ailleurs, les plasticiens occidentaux ont tendance à être contestataires : les subventionner, les honorer de prix prestigieux, permet de les empocher, tout en maintenant, pour le bien de la forme et de leur dignité, le discours politique apparemment critique. Sous leurs dehors exigeants, les plasticiens sont les serviteurs du système.

La règle des trois tiers

Comment imposer un art déraciné ? Avec des biennales et des foires internationales où s’applique une règle tacite, celle des trois tiers : un tiers de galeries locales, un tiers de galeries anglo-saxonnes, un tiers de galeries de divers pays. Cette règle s’applique également aux galeries internationales dans le choix de leurs artistes (un tiers local ; un tiers anglo-saxon ; un tiers d’origines diverses), ainsi qu’aux musées d’art contemporain qui souhaitent être labellisés « internationaux ». Ces quotas façonnent la mondialisation à la manière de New York.

Dans ces foires et biennales, seul l’art conceptuel devrait apparaître. La peinture au sens classique du terme (quel que soit le mouvement auquel elle appartient) est interdite. Elle n’existe pas. L’art contemporain est exclusif. Mais tout n’est pas uniforme et la Chine, qui pèse lourd dans l’art contemporain, laisse une certaine place à ses arts plus traditionnels. De même, la Russie. Ces pays ont vécu des moments tragiques et particuliers – l’un la Révolution culturelle, l’autre la totalisation de l’art – qui rendent leur approche différente. La mondialisation rêvée se heurte ici et là à des identités et des histoires qui résistent.

Une combine à la Ponzi ?

Outre le fait que l’art conceptuel est une négation de l’art – l’œuvre n’a aucune valeur en tant que chose créée et façonnée, seul compte le concept expliqué par un discours – il est avant tout un produit financier. Et quel produit ! « La chaîne de production de cotes, désormais bien rodée, écrit Aude de Kerros, fait de l’art contemporain un produit financier dont la rentabilité est estimée à 8% ». Juteux, le système s’apparente à une pyramide de Ponzi dans laquelle il faut « amener en permanence de nouveaux collectionneurs sur le marché ». L’œuvre n’est plus un objet de contemplation mais un investissement, où une partie du blanchiment d’argent peut entrer grâce à l’opacité de ce marché et aux changements de mains incessants.

Ce système financier a connu quelques secousses mais semble stable. On achète, on revend avec un gros profit et, en cas de coup dur, comme une bulle financière qui éclate, les participants s’accordent pour préserver le système en attendant que les choses se calment. Rouages ​​incontournables, Sotheby’s et Christie’s sont « au centre du marché mondial ». Ils présentent des ventes record qui font grimper les audiences. Une vente peut devenir un événement comme ce fut le cas en octobre 2021 lorsqu’une œuvre de Banksy s’est autodétruite en pleine vente chez Sotheby’s… valant au plasticien un nouveau record de prix : 21,8 millions d’euros !

Des lueurs d’espoir

Faut-il désespérer face à ce rouleau compresseur qui enlaidit la planète en diffusant son message mondialiste ? Non, nous dit Aude de Kerros. Le goût est las d’un art contemporain devenu trop uniformément kitsch, réduit à créer « monnaie et discours sociétal en réseau fermé ». De plus, Internet offre à l’art méprisé par les galeries une vitrine qui n’existait pas auparavant. Pot de terre contre pot de fer, certainement. Mais cette entreprise de néant esthétique et spirituel qu’est l’Art Contemporain, entièrement vouée aux pouvoirs de l’argent, porte en elle les germes de sa disparition future.

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