Un trésor classé En fait partie sera exposé à partir de mars 2025. Histoire d’un feuilleton brûlant.
Par Sophie Cachon
Publié le 29 novembre 2024 à 6h30
Mis à jour le 29 novembre 2024 à 9h15
Cchaud devant ! Le foyer était placé sur une étagère, à la vue de tous. En novembre 2023, alors que quatre conservateurs de la bibliothèque d’étude et de conservation de Besançon montent aux combles de l’établissement pour travailler sur des documents, une pile de lettres posée sur une étagère à hauteur des yeux, sans enveloppe ni lien, attire leur attention. Tout d’abord, la lettre qui recouvre la pile, en tête de liste de l’Assemblée nationale. Un court texte explique qu’il s’agit « lettres scabreuses écrites à une dame par un personnage célèbre du XIXe siècle ».
Dès les premières feuilles tournées, les bibliothécaires tombèrent, stupéfaits, sur le nom de l’un des deux épistolaires : « Monsieur Courbet », qui se transforma vite en un « Gustave » familier, puis en petits noms de plus en plus piquants que les deux. murmura-t-il sur le papier en l’absence de l’oreiller. Les bibliothécaires viennent de découvrir, intactes et bien rangées, cent seize lettres érotiques échangées entre le célèbre peintre Gustave Courbet (1819-1877) et une certaine Mathilde Carly de Svazzema (1839-?) – soit vingt-cinq d’une et quatre – vingt et un de l’autre – entre février 1872 et mai 1873.
C’est elle qui prit l’initiative d’écrire au maître pour lui faire part de toute son admiration, et plus s’il y avait affinités. Aventurier, “roller pour hommes à la mode” comme on le disait à l’époque, Mathilde Carly de Svazzema était au XIXème siècle ce que sont aujourd’hui les « brouteurs », c’est-à-dire les gens qui harcèlent les naïfs en ligne. Les deux correspondants ne se connaissent pas, ne se sont jamais vus et ne se reverront jamais. Les réponses du peintre, qui a quitté Paris pour sa Franche-Comté natale en raison de ses démêlés avec le gouvernement, sont sans équivoque.
Une prose colorée
“Ça prend vite une tournure érotique, à l’initiative de Courbet.” explique Pierre Emmanuel Guilleray, découvreur, avec trois collègues, de ce trésor classé X qui raconte, non pas une histoire d’amour, mais un jeu d’attraction érotique, entre naïveté, désir et confort. Gustave Courbet était à cette époque un homme célèbre mais épuisé. Il vient de sortir de prison et est accusé à tort de sa participation à la destruction de la colonne Vendôme pendant la Commune. A Paris, ses biens sont sur le point d’être saisis. A Ornans, Courbet répond toujours aux ordres, travaille comme un forcené, mais est déjà très malade. Obèse, il souffre d’hydropisie et craint de se retrouver seul.
Alors, en amoureux de bonne chère qu’il reste, il écrit et échauffe ses sens. « […] chère Putain, réfléchis-y, tu sais que je t’adore, tu sais que je fais des choses injustes pour te plaire ; tu sais que je donnerais je ne sais quoi tout de suite pour te sucer la chatte, mordre tes poils dorés, ta motte et dévorer tes gros tétons pointus, décharger dans ta bouche, embrasser ton ventre saillant, caresser tes flancs amoureusement avec ma langue , introduit-le si je pouvais dans ton autre petit con entre tes belles fesses, qu’est-ce que j’en sais !! » écrit-il le 8 février 1873. Et la belle répondit : « J’aurai mon c… tout prêt à recevoir les sensations que vous souhaitez lui faire vivre. »
On imagine aisément que le directeur de la bibliothèque de Besançon, à qui le paquet de lettres fut sans doute confié au début du XXe siècle par un descendant du docteur Blondon, ami et exécuteur testamentaire de Courbet, ne put qu’immédiatement le classer comme enfer. , ce cabinet secret réservé aux volumes sulfureux de toute bibliothèque qui se respecte. Cachée dans une véritable armoire, celle des directeurs successifs, installée au grenier dans les années 1950 et dont le contenu avait été déposé sur les étagères où elle avait été retrouvée, la correspondance a survécu un siècle et demi à l’abri de la poussière et de la censure.
Découverte extraordinaire mais pas tout à fait surprenante, la prose colorée de Courbet met en lumière une autre facette de celui qui a toujours été considéré comme un ogre vivant dans l’excès. “On retrouve la même énormité que celle présente dans ses tableaux, mais du côté du sexe”, explique Laurence Madeline, directrice des musées de la ville de Besançon. Une exposition au Musée des Beaux-Arts de la ville, mettant en valeur les œuvres aux côtés des lettres, fut un temps envisagée avant d’être abandonnée. On aurait pu comprendre comment l’artiste, insatiable, s’empare des mots de cette relation virtuelle en peignant à deux mains la chair de ses belles endormies du Dormir (1866) ou les cuisses rosées du mythique Origine du monde (1866).
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Classées, numérotées, scannées, les lettres ont été étudiées sous toutes les coutures depuis leur apparition il y a un an. En mars prochain, la bibliothèque de Besançon proposera une exposition dévoilant des pièces sélectionnées qu’il ne faut pas mettre devant tout le monde. Parallèlement, les éditions Gallimard publieront l’intégralité de cette torride correspondance. Nous verrons de première main comment l’artiste sait se passer des habituelles courtoisies épistolaires pour entrer directement dans le vif du sujet. En mai 1873, Courbet, naïf mais pas trop naïf, met fin à ses échanges avec sa compagne qui n’a pas peur : elle a copié toutes ses lettres et menace de le faire chanter. Elle sera arrêtée pour chantage et proxénétisme. Deux mois plus tard, il s’exile en Suisse où il poursuit encore davantage sa correspondance, cette fois avec sa famille et ses amis. Il y mourut en 1877.
« Courbet, les lettres cachées. Histoire d’un trésor retrouvé », du 21 mars au 21 septembre 2025 à la bibliothèque de Besançon (25). Tel. : 03 81 87 81 40.
Correspondance Gustave Courbet – Mathilde Carly de Svazzema, éd. Gallimard (à paraître en mars 2025).
La correspondance de Courbet, texte établi par Petra Ten-Doesschate Chu, éd. Flammarion (1996).
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