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Le bruissement entre les murs

Clara Chichin et Sabatina Leccia sont tous deux lauréats de la bourse Transverse 2022. Dotée par l’ADAGP et Freelens, cette bourse encourage des formes originales de narration par le décloisonnement des pratiques, en faisant dialoguer un photographe avec un artiste d’une autre discipline. La restitution du projet prend la forme d’un livre. Celui de Clara Chichin et Sabatina Leccia a été publié par Sun/Sun et s’intitule Le bruissement entre les murs. C’est aussi le titre de leur exposition à la Galerie XII, qui se tient du 9 novembre au 18 janvier et présente un ensemble d’œuvres issues de cette collaboration fertile, née dans les murs de pêchers de Montreuil.

Parlez-nous de vos pratiques respectives ?

Clara Chichin : Je suis un artiste photographe. J’ai étudié aux Beaux- de Paris et avant cela, j’ai suivi un cursus plus théorique en art, littérature et pensée contemporaine qui m’a donné une curiosité pour la pluridisciplinarité. Dans ma pratique photographique, je m’intéresse aussi bien aux humains qu’aux non-humains. Je présente souvent mes images sous forme d’équivalences entre personnages, végétaux, minéraux, natures mortes… Depuis plusieurs années, mon travail s’intéresse notamment au paysage et à sa représentation, à la nature et au lien que l’on tisse avec elle.

Sabatina Leccia : Pour ma part, j’ai d’abord étudié l’histoire de l’art et l’archéologie avant de m’orienter vers le textile avec un master intitulé « Textile Futures » à Central Saint Martins (Londres). L’approche du textile y était très expérimentale. Déjà à cette époque, en 2010, nous réfléchissions aux enjeux écologiques, à la pollution provoquée par cette industrie et à la manière de repenser notre manière de fabriquer du textile. Après mon diplôme, j’ai travaillé pendant trois ans dans le secteur de la mode, comme brodeuse dans des ateliers de haute couture. C’est alors que je bifurque vers le domaine artistique, à la frontière entre l’art et l’artisanat. Je me suis intéressé au dessin, tout en gardant mon aiguille à broder puisque je perce le papier. Ma pratique est très lente et me plonge dans un état méditatif. Cela me permet de créer des paysages ou des cartes intérieures.

Quel est le fil conducteur de votre projet « Le bruissement entre les murs » » ?

Nous voulions explorer la nature dans un environnement urbain. Nous sommes tous deux montreuillois et les murs de pêches nous ont intéressés pour leur dimension historique et patrimoniale. Nous avons décidé de suivre l’idée d’une balade régulière dans ces jardins avec en tête l’envie de travailler l’abondance. Le titre « Le bruissement entre les murs » s’inspire d’un texte de Gilles Clément sur des murs pêche et qui parle de zones interstitielles entre les murs. C’est ce que nous avons voulu explorer avec ce projet : que se passe-t-il au sein de ces jardins, entre les murs qui ponctuent les promenades ? Mais aussi, que se passe-t-il lorsque deux artistes aux techniques différentes se rencontrent ? Dès le départ, nous étions vraiment dans cette idée d’enthousiasme, de partage collectif et d’abondance de matériel.

Comment ce dialogue se matérialise-t-il au niveau de l’œuvre ?

Clara Chichin : Dans notre première rencontre, il y a l’idée d’une photographie augmentée du geste de Sabtatina, une hybridation des médiums. Nos deux pratiques se sont vraiment mélangées et nous avons réfléchi et créé les images à quatre mains. Nous avons eu la chance d’être accueillis par Arnaud Levenes, en résidence à La Capsule, résidence photographique au Bourget, ce qui nous a permis d’être ensemble pour créer nos œuvres. Nous avons eu ce temps de production commune où nous imprimions, retravaillions les images, Sabatina retravaillait par-dessus, mais en fait nous étions tout le temps côte à côte, nous influençant mutuellement, dans une sorte de conversation et de discussion. ‘hybridation.

Samedi Leccia : J’ai travaillé les images en fonction des saisons, car nous avons visité ce site sur un an. En hiver ou en automne, la végétation est moins florissante et les couleurs sont moins nombreuses. J’ai donc utilisé mon aiguille pour percer les images, les gratter. J’ai beaucoup travaillé autour du papier. Nous avons également imprimé certaines images sur des textiles dont j’ai détissé un à un certains fils, dans un geste lent avec lequel j’ai créé un paysage dans le paysage. Puis, avec l’arrivée du printemps et sa palette chromatique, j’ai proposé de travailler les images à l’aide de pigments de plantes tinctoriales ou de fleurs que nous pourrions récolter sur place. Pour nous, il était important que la couleur provienne de la plante et que les images colorées soient aux couleurs de ce jardin. Il y a un rapport à la texture et à la transformation des images qui évolue selon les saisons et ce que j’ai vu. Les interventions matérialisent également les relations plus qu’humain invisible, imperceptible.

Samedi évoque la lenteur de sa pratique. Dans le texte duexposition, tu parles deun « retour au rythme lent de la vie. « . Pouvez-vous nous en dire plus surl’importance de cette longue période ?

Il y avait cette idée de s’autoriser une certaine lenteur, notamment à travers l’errance. Nous voulions être dans un autre rythme, un rythme où l’on a le droit de rêver, sans se soucier immédiatement de la production ou de la productivité. Nous avons voulu laisser infuser en nous l’expérience de ces promenades, de l’observation de la métamorphose du paysage. Cette lenteur s’est également retrouvée dans la récolte des plantes avec lesquelles nous avons travaillé ainsi que dans la réalisation de l’image. On laisse parfois « reposer » les images avant de les reprendre pour leur donner une nouvelle matérialité. Lorsque nous travaillions avec les plantes, nous étions dans ce rythme, suivant le cycle de la nature, c’est avec l’arrivée du printemps, la floraison, que la couleur émergeait dans nos images. dan Cela créait une sorte de tension vivante. Ce qui était fascinant dans ce projet, c’était cette connexion à un autre rythme, une relation directe avec les éléments naturels.

Il y a peut-être une dimension politique dans votre travail à travers la question écologique, mais qui passe par une expression plutôt poétique.

Nous sommes en effet davantage dans une logique de sensibilisation à une nouvelle façon d’être en relation avec le vivant. Il s’agit pour nous bien de déambuler, d’observer les transformations, notamment celles des plantes, et de créer une œuvre comme un espace poétique, propice à la rêverie. Nous nous inspirons notamment des réflexions du philosophe Baptiste Morizot et d’Estelle Zhong Mengal, selon qui la crise écologique est une crise de sensibilité. Nous essayons de ramener cette sensibilité. Il y a aussi l’influence de Gilles Clément qui parle du jardin comme d’un lieu où il est encore possible de risquer le rêve, comme d’un lieu de résistance. Ce qui était important pour nous aussi, c’est que la Fédération des Murs à Pêches (https://mursapeches.blog/qui-sommes-nous/documents/), qui regroupe différentes associations, soit engagée dans une démarche de préservation de cet espace montreuillois. . Ce lieu propice à la rêverie résiste au monde marchand, à l’industrialisation et à l’urbanisation. L’idée n’était donc pas de dénoncer quelque chose, mais plutôt de tisser quelque chose de sensible entre l’humain et le vivant.

Comment votre collaboration a-t-elle modifié vos pratiques respectives ?

Clara Chichin : En tant que photographe, j’ai dû apprendre à me détacher des images. C’était un peu difficile au début d’accepter que quelqu’un d’autre puisse s’approprier mes images et les transformer, leur donner une autre forme de vie. Mais ce qui était encore plus excitant, c’est que cela nous a amené dans des directions où je n’aurais probablement pas pu aller seul, notamment en ce qui concerne le travail avec les pigments végétaux. C’était quelque chose qui m’intéressait, mais que je n’avais pas osé faire auparavant. Cette collaboration m’a donc permis de sortir de ma zone de confort. Sans Sabatina, je ne serais jamais arrivé aussi loin dans cette exploration.

Samedi Leccia : Je voulais depuis longtemps intégrer la photographie dans mon propre travail mais je n’osais pas. Du coup, être à côté de Clara qui prenait les photos, c’est devenu plus naturel et intégré dans mon quotidien. Cette collaboration m’a permis d’intégrer ce médium dans ma pratique artistique. Ce fut non seulement enrichissant pour le projet, mais aussi pour nos pratiques respectives. C’est alors qu’on se rend compte à quel point cela nous a nourris les uns les autres.

Plus d’informations

Clara Chichin et Sabatina Leccia – Le bruissement entre les murs
Du 9 novembre 2024 au 18 janvier 2025
Galerie XII
14 Rue des Jardins Saint-Paul
75004 Paris
www.galerie-photo12.com

 
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