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« L’éternité, si possible », une exposition teintée d’espoir à la salle Alfred-Pellan

Villes jumelles depuis 2000, Laval et Nice n’ont apparemment rien en commun. Pourtant les voilà unis face à l’extinction planétaire grâce à l’art contemporain — et à l’amitié de Jasmine Colizza et Hélène Fincker, qui ont signé L’éternité, si possible. L’exposition teintée d’espoir réunit quatre artistes québécois et quatre français à la salle Alfred-Pellan, après leur passage sur la Côte d’Azur.

« Bonjour le monde » : ces paroles de bienveillance, a priori universelles, se veulent rassurantes. Dans le domaine informatique auquel il est associé, ce bonjour au monde est synonyme de réussite. Et l’optimisme, raison pour laquelle Églé Vismanté le ramène au cœur de Bonjour le mondeune image photosensible (anthotype) imprimée sur tissu.

« La particularité de ce type d’impression, précise-t-elle, c’est qu’elle s’autodétruit avec la lumière. Cette œuvre disparaîtra, et nous nous retrouverons avec un drapeau blanc, qui signifiera… ou rien, ou la paix. »

Mais alors, l’éternité est-elle possible ? Nous en avons discuté avec un groupe réuni dans la cour de la Maison des arts de Laval, la moitié des artistes de l’exposition (Tom Barbagli, Mathieu Latulippe, Églé Vismanté, le duo Pierre&Marie) et Jasmine Colizza, directrice artistique chez Alfred-Pellan.

« Penser à long terme ou à court terme, c’est toute la question aujourd’hui », estime Tom Barbagli, pour qui la durée est une donnée variable, impossible à définir. Son installation d’horloge Le temps des pierres fait tout sauf donner l’heure.

« Chose indémontrable » pour Mathieu Latulippe, l’éternité reste un piège tant que persiste le rêve d’immortalité. « C’est une illusion qu’on se crée, avec des fictions rassurantes. Comme avec la cigarette : on sait que c’est dangereux, mais on ne change rien », explique celui qui a conçu un bunker de survie pour les amateurs de golf.

« Nous ne pouvons pas imaginer ce but. Les scientifiques nous envoient des signaux et il est extrêmement difficile de faire changer les choses », souligne Marie-Pier Lebeau, de Pierre&Marie. Les œuvres de l’exposition frisent les scénarios catastrophes, comme la destruction de cathédrales peintes et filmées par Martin Bureau ou les (faux) artefacts d’explosions nucléaires dans l’installation d’Aurélien Mauplot.

« Les grandes entreprises qui continuent de siphonner [nos ressources] créer une sorte d’après-moi-déluge», déplore Mathieu Latulippe. Son JunGolf Monoplex évoque le paradoxe de jouer au golf en période de précarité environnementale. « Il est minuit et une chez Mathieu », selon Jasmine Colizza.

La plupart des fictions de L’éternité, si possible reposent moins sur le déni irréparable évoqué par Latulippe que sur un mince espoir de sauver le raisonnement. « Nous sommes super optimistes, nous autres », clame la voix féminine de Pierre&Marie. Une fin du monde brillanteune œuvre au néon qui décrit les trois vies d’une bougie, joue sur la séduction. « Nous essayons de trouver un équilibre entre dénoncer nos échecs, nos excès et revendiquer l’émerveillement. Nous résistons par la joie. »

Églé Vismanté cherche à retrouver « des moments de poésie ou d’optimisme, quelque chose de beau dans les décombres ». Outre son Bonjour le mondeelle propose une vidéo tirée de sa visite dans un village des Alpes dévasté en 2020 par la tempête Alex. « La vidéo est une acceptation du drame et, en même temps, une envie d’enchanter, malgré tout. »

« L’émerveillement, poursuit Tom Barbagli, mène au bonheur, et le bonheur ne peut conduire qu’à une certaine sagesse. sagesse, [c’est empêcher] que la peur et les émotions négatives nous conduisent au fatalisme. »

L’art peut-il néanmoins aider ? Si le titre de l’exposition est fabuleux, les artistes sont conscients de leurs limites. « On se pose des questions, on n’a pas les réponses », reconnaît Pierre de Pierre&Marie. Nous éduquons les gens à voir au-delà de leur petit moi. »

Pour Tom Barbagli, l’art est une « ouverture sur l’imaginaire » et permet à « chacun de rebondir ». « Un artiste est une voix parmi d’autres », note Églé Vismanté. Le changement [ne viendra pas] d’un seul artiste, ou d’un seul scientifique, mais de la masse des idées. Si nous pouvons contribuer, c’est bien. »

Les œuvres ciblent une situation, une crise. Capitale naturelleun grand rideau-paysage de Pierre&Marie, dénonce le système économique dans lequel les forêts ne sont valorisées qu’à la quantité de bois coupé. « Les chercheurs étudient la valeur que [une forêt] si on ne le réduisait pas, en termes de captage de carbone, de biodiversité, de pollinisation et même de beauté », résume Marie-Pier Lebeau.

La cloche qui sonne dans la salle d’exposition provient de la fausse horloge de Tom Barbagli. Le pendule a des pierres, les aiguilles ne tournent pas à droite — heureusement. « L’horloge continue de tourner, mais dans les deux sens », dit celui qui instaure un éternel recommencement. « Il faut recommencer un cycle et mettre un pied devant l’autre, correctement. »

Alors peut-être que l’éternité sera possible.

L’éternité, si possible

À la salle Alfred-Pellan, à la Maison des arts de Laval, jusqu’au 10 novembre.

A voir en vidéo

 
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