Salvador Dalí était-il un génie ?

Salvador Dalí était-il un génie ?
Salvador Dalí était-il un génie ?

La biographie monumentale écrite en anglais par Ian Gibson vient d’être traduite en français. On découvre que Dalí était un authentique surréaliste, avant d’être un véritable croyant catholique, même si ses dernières années furent peu glorieuses.


Le genre biographique a désormais ses propres conventions. Il est loin le temps où La Fontaine, voulant écrire la vie d’Ésope, commençait par une prudence : « Nous n’avons rien de certain concernant la naissance d’Homère et d’Ésope. Nous savons à peine ce qui leur est arrivé de plus remarquable. » Aujourd’hui,un biographe ne saurait être aussi restrictif. Il doit tout dire, mettre en avant tous les faits, et son enquête journalistique n’a rien laissé dans le noir. Dans sa synthèse sur Salvador Dalí qui vient d’être traduite en français, l’écrivain irlandais Ian Gibson propose de nous raconter, jour après jour, “la vie frénétique” par le peintre surréaliste. Une entreprise ambitieuse visant à attaquer quelqu’un qui prétendait être un “génie”l’égal de Picasso ou de Raphaël. Il faut à Ian Gibson plus de 600 pages (on est loin d’Esope) pour dévoiler la personnalité emblématique de l’inventeur du “montres souples”.

Un peintre surréaliste avant tout

L’un des aspects les plus intéressants, à mon avis, du livre de Ian Gibson consiste à revendiquer pour Dalí une appartenance incontestable au mouvement surréaliste. Dalí, en réalité, doit tout à cette influence majeure, qui le ramène à ses préoccupations les plus intimes. La figure importante de l’époque, pour lui, était André Breton, tête pensante et autorité unificatrice du mouvement. Ian Gibson note par exemple à propos du jeune Dalí : « Non seulement Dalí a suivi avec beaucoup d’attention l’œuvre de Breton, lorsqu’il est apparu dans La révolution surréalistemais il a eu ses livres… » Le Deuxième manifeste du surréalismeGibson, indique-t-il, a eu un impact profond sur le peintre. De son côté, Breton n’a pas hésité à faire savoir à quel point la production de son jeune frère était importante pour lui, dès la fin des années 1920. Comme l’explique très bien Gibson, pour résumer cet état de fascination mutuelle, du moins à cette date : «Pour Breton, l’œuvre actuelle de Dalí apporte une contribution dévastatrice à l’attaque des surréalistes contre les valeurs de la société contemporaine et contre la réalité conventionnelle. » Cette relation entre les deux hommes, cette “l’amitié des stars” comme le disait Nietzsche, est vraiment une très belle chose, même si, par la suite, Breton a pris ses distances avec « Dollars Avida ».

Sa rencontre fulgurante avec Gala

Ian Gibson estime que ces années surréalistes de Dalí, jusqu’à son départ pour l’Amérique en 1940, ont été les meilleures de sa carrière. Ian Gibson est plus journaliste que critique d’art. Il répertorie les tableaux de Dalí, les décrit parfois, mais ne cherche jamais à faire ressortir leur indescriptible beauté. Pourtant, tous les éléments sont évoqués, tout ce qui a pu avoir une empreinte directe sur la création du maître. Ian Gibson ne manque ainsi pas de souligner la sexualité de Dalí qui, comme on le sait, reposait, dans une large mesure, sur l’onanisme (voir son tableau Le grand masturbateur1929). Sa rencontre éblouissante avec Gala fut un éblouissement érotique inoubliable. Ian Gibson, d’ailleurs, rend justice au personnage extraordinaire qu’était Gala. C’est l’un des meilleurs passages du livre.

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La méthode paranoïaque-critique

Ian Gibson s’attarde longuement sur une invention essentielle de Dalí, qu’il appelle la « méthode paranoïaque-critique » et qu’il a décrit à plusieurs reprises, notamment dans un article publié dans la revue Le surréalisme au service de la révolution (juillet 1930) et intitulé “L’âne pourri”dont Jacques Lacan était un lecteur admiratif. Dans son Journal d’un génieDalí a donné l’explication suivante : « D’une manière générale, il s’agirait de la systématisation la plus rigoureuse des phénomènes et des matériaux les plus délirants, dans le but de rendre tangiblement créatives mes idées les plus obsessionnellement dangereuses. » Gibson raconte que le grand-père de Dalí souffrait de paranoïa. Et Dalí avait également lu certains livres de Freud, récemment traduits en espagnol, notammentIntroduction à la psychanalyseoù les Viennois affirmaient que la paranoïa apparaissait chez l’individu pour « repousser les pulsions homosexuelles trop fortes ». Le désir homosexuel était l’une des obsessions de Dalí.

La « publicité » Dalí

Et puis bien sûr, il y a Dalí “publicité”celle des frivoles années 70 notamment. Ian Gibson se désespère de voir un si grand artiste plonger dans de tels abîmes de vulgarité. Il écrit, à mon avis très justement : « L’excellent goût était en effet la dernière chose qui caractérisait le peintre, dont le but, comme il l’a reconnu plus tard, était de stupidiser le public. » Il est vrai que Dalí a su délibérément choquer ses admirateurs, par exemple en se ralliant à Franco lorsqu’en 1948, avec Gala, il retourna en Espagne. Mais pourquoi, sur une autre question, réservée à la stricte conscience de chacun, ai-je envie de parler de religion, remettant en question, comme le fait Ian Gibson, la sincérité de Dalí ? Dans sa vieillesse, Dalí, profondément désespéré, cherchait, je cite : « les signes d’une renaissance spirituelle avec l’Église de Rome au premier plan ». Maintenant, voici ce que cela ne plaît pas à son biographe – dont le livre, cependant, je crois, doit être lu, car il transmet au lecteur la folie authentique de Dalí, dont l’écho, désormais plus familier à nos oreilles, propage une résonance indestructible de vérité.

Ian Gibson, La vie frénétique de Salvador Dalí. Ed. Le Cherche Midi, 664 pages, €89.

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