On retrouve avec grand plaisir ses œuvres – plus anciennes ou plus récentes et inédites – à la fois superbement peintes dans le goût des maîtres anciens et empreintes d’énigme. Il y règne une douceur mêlée à une étrange violence contenue dans des vues apparemment banales semblant parfois tirées de vieux albums. Dans la galerie de portraits de la dernière salle, personne ne regarde droit dans les yeux. Nous sommes confrontés à une inquiétante étrangeté que Freud ou Magritte n’auraient pas nié. Une vision de notre humanité.
Borremans est un artiste figuratif voire narratif. Il nous raconte des histoires avec ses œuvres auxquelles il ajoute des titres énigmatiques. Mais ces récits nous échappent. Il ne nous donne pas les clés. L’histoire se déroule devant nous et nous n’en voyons que d’étranges traces. Le visage de cette petite fille aux yeux fermés : est-elle morte ? Est-ce qu’elle dort ? Ces drôles de chapeaux de pape, à quoi servent-ils ? De quel passé sont-ils issus ?
L’exposition Borremans à Bozar
Le portrait d’un jeune garçon semble très classique mais deux rayons sortent de ses yeux, à la fois les rayons de sainteté des peintures anciennes et les rayons laser d’aujourd’hui. Dans Le couvercle, il peint un corps jeune, apparemment en bonne santé, mais le visage recouvert d’un couvercle, qui rappelle les pièces de monnaie placées sur les défunts pour qu’ils payent leur voyage au royaume des morts.
Dans Feu du Soleil, nous voyons des chérubins apparemment tombés en disgrâce, rongeant les membres perdus. Dans cette exposition, ce sont les seules figures qui ne restent pas immobiles.
Il n’y a presque jamais de sang ni de souffrance explicite. Mais l’anxiété est souvent encore plus forte. Michaël Borremans évite tout détail qui pourrait dater ou situer géographiquement le sujet.
Même s’il s’est mis à la peinture tardivement (33 ans) après avoir été d’abord dessinateur, il s’inscrit dans la lignée des grands peintres de l’histoire de l’art, comme Velázquez, Chardin ou Manet, artistes qu’il admire, tout en créant des œuvres profondément contemporaines. travail.
La première salle avec trois petits tableaux est comme une annonce de la suite ?
Il y a un masque, comme un visage anonyme mais transparent. C’est une nature morte qui vibre de couleurs et d’ombres. En face il y a Dormeur, un enfant endormi, qui rappelle aussi la mort. Le masque est plus animé que la personne ! Dans tout mon travail, il y a cette tension entre ce qui est animé et ce qui est mort. Les mains rouges et vertes sont les miennes mais aussi celles du spectateur. Je voulais seulement montrer des peintures à Voorlinden dans cette série de salles très blanches, presque sacrées. C’est une sélection de mes tableaux préférés, plus que mes tableaux les plus connus. Par exemple, j’aime le petit tableau avec une chaussure et une brique.
Le titre de l’exposition « Une confrontation au zoo » est étrange.
Elle s’inspire de la dernière salle, avec onze portraits qui n’ont aucune fonction, qui n’ont rien à voir avec l’individualité des modèles. J’aime bousculer le genre du portrait. Parfois j’y mets expressément de l’étrangeté, mais c’est souvent spontané lié à ma personnalité. Il faudrait la psychanalyse, ce que je n’ai pas fait, pour le savoir.
On parle de vos tableaux, Van Eyck, Chardin ?
Vous pouvez ajouter Velázquez, Manet, Goya, j’ai beaucoup de favoris. J’essaie de donner plusieurs couches à mes peintures : une personne pourra apprécier la poésie, une autre cherchera le concept caché derrière, une autre encore appréciera la métaphore ou un dialogue implicite avec les peintres du passé. J’aime qu’un tableau ait plusieurs raisons d’être.
Marché de l’art : record pour Michael Borremans
Prenons l’exemple de L’Oeuf avec six tableaux presque identiques, représentant une jeune fille posant ses mains sur un œuf. Ou le feu du soleil ?
Dans « L’œuf », la jeune fille met ses mains sur l’œuf, ne le touche pas et pourrait éventuellement l’écraser. Je laisse cela ouvert. C’est cette tension implicite qui m’intéresse, comme la répétition de cette image qui donne un sentiment d’urgence. Sur le mur d’en face, il y a une autre répétition avec une fille mangeant un morceau de pain grillé. Je n’avais pas au départ l’idée de faire des séries. Mais quand je les ai alignés contre le mur de mon atelier je me suis dit que c’était une installation magnifique. Jan Hoet qui m’aimait bien a adoré. “Le Feu du Soleil” est complètement différent. C’est une série de grands tableaux, très théâtraux, plus animés que mes œuvres habituelles, que j’ai réalisé pour une exposition à Hong Kong. Avec des petits enfants peints en rouge jouant avec du sang et des membres coupés. Et cela suggère du cannibalisme, de la violence, mais lié aux petits enfants présumés innocents. Dans l’histoire de l’art, les petits enfants sont toujours des chérubins, des anges. Je voulais inverser la tendance. C’est beau et c’est un peu choquant en même temps. C’est un commentaire sur la condition humaine, sur la violence, sur la manière irresponsable dont nous consommons notre monde. Cette série a suscité une certaine controverse sur les réseaux sociaux en Asie et en Amérique. Je suis enfin devenu un artiste controversé ! (sourire).
Votre art a-t-il une signification politique ?
C’est presque toujours un commentaire sur la condition humaine. Mais parfois c’est plus poignant comme ici. Ce n’est jamais direct, littéral. Je ne fais jamais d’illustrations simples. Nous sommes conditionnés à voir les images comme des illustrations pour nous manipuler ou nous charmer. Nous ne sommes pas tous conscients de leur puissant impact psychologique et de la manière dont ils influencent la politique et l’économie. Les nazis l’ont utilisé de manière très efficace. L’art peut alors être une force pour contrecarrer cela. Nous le voyons clairement avec le succès des musées et la façon dont les gens recherchent différentes choses qui leur donnent une conscience, une identité en dehors du monde de la consommation. On cherche du sens aux choses et souvent on le cherche dans les tableaux car ils sont à chaque fois uniques.
Vous êtes une référence dans l’art contemporain mais qu’est-ce que cela représente pour vous ? Quels sont les artistes actuels que vous appréciez ?
L’art contemporain va dans tous les sens, c’est très intéressant. Nous sommes dans une période révolutionnaire. Avant, il y avait une évolution, des avant-gardes, maintenant tout est là et on voit beaucoup d’artistes qui créent des synthèses. Tout est devenu possible et tout est devenu, d’ailleurs, accepté ! Chaque artiste est sa propre avant-garde. Cela donne également une sensation de chaos qui est une forme d’énergie. J’aime les artistes contemporains qui sont très différents de moi, comme Paul McCarthy parce qu’il est vraiment fou, il m’inspire, il a du courage, il ose tout, j’admire ça. Il n’a pas de limites, il est sauvage. Mais j’aime aussi Miriam Cahn depuis vingt ans, son travail est très particulier, c’est magnifique. Au début, je ne savais pas quoi en penser, mais plus je connais son travail, plus je l’apprécie. C’est fou mais aussi très émouvant. Elle utilise des couleurs très fortes et étranges.
mouetteJ’essaie de donner plusieurs couches à mes peintures.
Votre galerie belge, Zeno X, ferme ses portes, vous n’êtes plus représenté en Belgique ?
Je travaille exclusivement avec David Zwirner qui est présent partout dans le monde. C’est très pratique pour moi et cela me procure beaucoup de paix. Il peut investir en moi.
Nous célébrons le centième anniversaire du manifeste surréaliste. Vous sentez-vous dans leur lignée ?
Bien sûr, suite au mouvement Dada et au surréalisme. Je suis très influencé par des créateurs comme Bunuel ou Man Ray. Magritte aussi, bien sûr, mais c’est dans mon inconscient. Enfants, nous étions déjà plongés dans son univers comme dans ceux de Van Eyck et d’Ensor. Ces peintres sont dans nos racines. Il y a bien sûr l’art belge. La Belgique est certes un pays assez jeune, mais il y a une attitude, une culture belge, comme en témoignent Tintin, Arno ou Bruxelles qui est tellement belge avec tous les problèmes de la Belgique. Il est triste que la première compétence partagée entre les deux communautés ait été la culture. Vous, les francophones, par exemple, avez de magnifiques réalisateurs, vous savez utiliser cette langue avec sa poésie contrairement à nous en Flandre. Les Dardennes, Bouli Lanners… Il existe une culture cinématographique unique. En Flandre, on ne sait pas ce qui se passe au niveau culturel en Wallonie, il n’y a pas assez de communication. Mon atelier à Renaix est proche de la frontière linguistique.
Michaël Borremans, musée Voorlinden, près de La Haye, jusqu’au 23 mars. Vous pouvez combiner la visite avec celle de la très belle exposition comparant les œuvres sur la nuit et l’obscurité et Spilliaert et Dirk Braeckman au Kunstmuseum de La Haye jusqu’au 12 janvier.