On compte plus de 1 000 artistes et travailleurs des Arts visuels et médiatiques, de la littérature et du magazine. Ils sont issus de ces pratiques qui ne se terminent pas sur une scène et font partie de la Grande Mobilisation pour les Arts du Québec (GMAQ). Ils ont signé, aux côtés de Kev Lambert, Philémon Cimon, Alain Deneault, Raymonde April et Ines Talbi, une lettre envoyée la semaine dernière au ministre de la Culture. « Nous pensions qu’il était évident que lorsque nous scandions « les arts ne vont pas bien », nous parlions de tous les arts. Il semble que nous nous soyons trompés», écrivent-ils pour contrer leur sentiment d’invisibilité et ramener les arts visuels et littéraires dans les débats sur le financement de la culture.
« Nous, artistes, sommes essoufflés », écrivent les signataires de cette lettre intitulée Tous les arts ne sont pas vivants. Une missive rédigée en réaction directe aux propos tenus par le ministre Lacombe à Tout un matinon ICI Première, on October 2.
Ce dernier a ensuite exposé ses priorités en matière de financement de la culture : maintenant que des solutions ont été apportées à la production audiovisuelle, les festivals sont dans sa ligne de mire. Ensuite, a déclaré M. Lacombe, l’urgence sera le financement des arts de la scène. « Sont exclues de cette sphère les nombreuses pratiques où les artistes demeurent le plus souvent dans l’ombre de l’atelier, du studio ou du bureau », déplorent ces « artistes non vivants » du GMAQ.
Mais ces artistes souffrent tout autant du manque de financement du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) par le gouvernement Legault. M. Lacombe a régulièrement rappelé au cours des derniers mois que le financement, en dollars, du CALQ a toujours augmenté, atteignant, selon lui, des investissements sans précédent.
Or, souligne le GMAQ, en 2022-2023, dans les programmes « Création » et « Recherche et exploration », ces deux piliers du soutien direct aux artistes, seulement 27 % des demandes de subvention déposées ont été acceptées.
Et en 2023-2024, selon les données compilées par Devoir, le taux de réussite continue de baisser. Il est de 21 % dans le programme « Création », et de 22 % en « Exploration et recherche », selon les données du rapport annuel du CALQ. « Près de trois demandes sur quatre sont rejetées », analyse le courrier.
Faire une demande de bourse demande un énorme travail administratif, rappelle le GMAQ. Un travail « réalisé le plus souvent en vain, comme le montrent les chiffres. Dans ce contexte, nous sommes nombreux à nous demander comment nous pourrons poursuivre une pratique artistique sérieuse.
Edith Brunette, une des instigatrices de cette lettre collective, vit personnellement cette baisse du taux d’acceptation des demandes faites au CALQ, qui se dessine depuis la pandémie, selon elle.
Artiste professionnel depuis une douzaine d’années, Mmoi Les domaines d’action de Brunette sont la performance, la vidéo, l’écriture et l’intervention. « Entre 2010 et la pandémie, j’ai obtenu environ 50 % des demandes que j’ai soumises. Je ne le fais pas tous les ans, cela dépend des projets que je mène. »
« Là, depuis deux ans, il y a 0 % d’acceptation… », évalue celle qui consacre la moitié de son temps à sa pratique artistique et gagne environ 5 000 dollars de revenus par an.
Ruissellement ou élévation
Depuis les manifestations du Front commun des arts, les groupes des arts du spectacle et le cabinet du ministre de la Culture rapportent avoir ensemble un dialogue franc et continu et des conversations régulières pour trouver des solutions.
En prenant la plume, les artistes « non vivants » souhaitent eux aussi en être un. Ils nous rappellent la solidarité qui existe entre les arts. Les actions à entreprendre pour réparer le système ne doivent pas être pensées de manière isolée, ni par discipline ou secteur d’activité, disent-ils. Ils veulent également s’assurer que « l’argent public investi dans les arts et la culture parvienne aux artistes ».
En fait, la réponse du ministère aux demandes du printemps dernier n’a apporté, selon eux, qu’une légère augmentation temporaire du budget du programme de soutien aux organismes.
Des organisations qui existent pour et grâce aux artistes. « Sans eux, nous pourrions difficilement poursuivre nos projets : à l’inverse, ils n’auraient aucune raison d’exister sans nous », résume le groupe.
La directrice du centre d’artistes Verticale, Charlotte Panaccio-Letendre, est tout à fait d’accord. Elle devient émue lorsqu’elle parle de la codépendance de tous les acteurs des arts, de l’écosystème que forment artistes et diffuseurs.
« Il est impératif pour nous, chez Verticale, d’augmenter les cachets des artistes. Nous souhaitons suivre les échelles professionnelles du Front des Artistes Canadiens. »
Un artiste qui expose à Verticale reçoit, pour ses droits d’exposition 2024-2025, environ 2 400 $. « Ce ne sont ni des honoraires ni un salaire, mais des redevances pour la diffusion. » Trop souvent, explique Mmoi Panaccio-Letendre, ces artistes ne disposaient pas de subventions pour la création ou la production de l’œuvre et les finançaient de leurs propres poches.
« Les artistes vivent certes modestement, mais doivent manger, se loger, prendre soin d’eux-mêmes et prendre soin de leur famille comme tout le monde », ajoute le GMAQ.
« Affirmer le droit des artistes à vivre décemment, c’est aussi rappeler qu’être une société nécessite soin et solidarité, et que tolérer et approuver une culture de la pauvreté, pour quelque groupe que ce soit, est inexcusable. »
Payer pour les futurs refus
Sara A. Tremblay, 41 ans, fait de la photographie, de l’intervention, de la performance live, du dessin, de la vidéo. Professionnelle depuis 2006, elle a réussi à vivre de son art, « mais toujours grâce au groupe », explique-t-elle.
« Je ne suis pas un exemple : je fais le moins de demandes possible au CALQ. » Pour elle, c’est trop difficile : « Remplir un questionnaire labyrinthique, décrire un projet qui n’existe pas encore et les matériaux que je vais utiliser pour le faire, ça me bloque. »
« Alors, lorsque je postule pour une bourse, j’engage quelqu’un pour les remplir à ma place. Quelqu’un que je paie pour faire des demandes qui seront probablement refusées. »
Actuellement, Mmoi Tremblay a quatre emplois : en restauration, en enseignement, comme artiste avec ses projets à succès… et au GMAQ, « parce que je fais partie des artistes qui pensent qu’il est essentiel d’être vu, entendu, respecté et soutenu, et que Je veux que les choses changent.
La lettre interpelle directement le ministre sur les avenues de financement parallèles : « Comme vous le savez déjà, le marché culturel québécois est trop petit pour que nous puissions sérieusement envisager la venue du secteur privé pour compenser le manque actuel de soutien public », écrivent les signataires.
Ils concluent : « Nous, artistes et travailleurs de l’art, exigeons donc une augmentation substantielle et permanente du budget du CALQ, tout en réaffirmant la nécessité de son autonomie politique. »
Dimanche matin, les signataires de Tous les arts ne sont pas vivants ont indiqué avoir été contactés par le cabinet au cours du week-end pour organiser une réunion avec le ministre.