Décès de l’artiste Daniel Spoerri, créateur de « peintures pièges » et figure majeure du Nouveau Réalisme

Nous avons été nombreux à le redécouvrir en 2022, lors de l’exposition que lui consacre Mamac à Nice réunissant plus de 300 de ses œuvres. Né en 1930 en Roumanie, figure majeure du Nouveau Réalisme et inventeur du Eat-Art, Daniel Spoerri est décédé le 6 novembre à l’âge de 94 ans. Il a dynamisé le monde de l’art en faisant des anecdotes et des rebuts de la société de consommation un terrain de réflexion pour l’art contemporain. », rappelle le Centre Pompidou dans un communiqué diffusé hier soir. Le musée Marmottan Monet à Paris présente actuellement une de ses « peintures pièges » (Tableau n°5, 1968) dans l’exposition « Trompe-l’oeil ». En 2022, l’artiste nous ouvre les portes de son atelier à Vienne.

Des curiosités à gogo

Comme si Daniel Spoerri résidait au cœur de son œuvre, il lui suffit de parcourir quelques mètres pour obtenir tous les matériaux qui constituent ses peintures. Au bout de sa rue, la Wienzeile, le Naschmarkt est un marché où l’on trouve de la nourriture mais aussi des petites antiquaires et de nombreux restaurants proposant une cuisine locale. Pour accéder à son atelier, il faut traverser un porche donnant sur une cour calme et arborée puis monter deux étages. Depuis 2007, l’artiste, né en 1930 à Galati en Roumanie, mais qui a vécu à Bâle, Paris et Los Angeles, s’est installé à Vienne dans un appartement bourgeois qui lui permet d’allier pleinement art et vie, temps de travail, de réflexion et de repos. .

L’artiste vit et travaille à Vienne ©️Rita Newman

Dans son appartement, il reçoit derrière un grand bureau et laisse les visiteurs déambuler à leur guise, découvrant tous ces témoignages du quotidien qu’il regroupe par famille. Ainsi, dans la succession des pièces, des étagères abritent des oiseaux empaillés, des coquillages, des pierres ou des effigies primitives, d’autres meubles ressemblent à des cabinets de curiosités, tandis que des tables supportent une accumulation de vaisselle, de tissus ou une collection considérable de trouvailles et d’achats encore inédits. été trié.

Action Restaurant Spoerri, Düsseldorf, 1972, série Peintures pièges, objets et restes de repas fixés sur panneau de bois, 70 x 70 x 40 cm, Milan, coll. privé ©F. Mantegna

Daniel Spoerri, Action Restaurant SpoerriDüsseldorf, 1972, série Peintures pièges, objets et restes de repas fixés sur panneau de bois, 70 x 70 x 40 cm, Milan, coll. privé ©F. Mantegna

C’est ordonné, d’une certaine manière, et fantaisiste, coloré ou atonal. Comme dans ses œuvres, les empilements sont horizontaux ou verticaux et les périodes se mélangent. Tout semble intéresser Daniel Spoerri, même si on retrouve certaines catégories récurrentes. Et l’atelier permet de comprendre comment il sélectionne et positionne les objets, par thèmes, mais aussi formes, couleurs ou définitions poétiques. Il peut combiner des fragments de poupées, notamment des têtes et des mains, associés à des petits papillons, pour une toile de format carré ce jour-là. Aux murs, il a conservé quelques œuvres anciennes, dont certaines de ses préférées, qui fascinent toujours commissaires d’exposition ou directeurs de musée, nous raconte son assistante… Elles témoignent aussi de la cohérence sans faille de la démarche de l’artiste, depuis ses premières peintures pièges ou fausses peintures pièges.

Une relation obsessionnelle à l’objet

La question que l’on se pose en rencontrant Daniel Spoerri, qui fut d’abord danseur étoile, metteur en scène puis auteur de poésie concrète, concerne justement le lien qu’il entretient avec l’objet depuis ses premières créations plastiques. ” Je ne suis pas attaché à la notion d’objet, déclare-t-il d’emblée, car cela ferait directement référence au ready-made. Mais mon travail consiste à mettre en lumière une situation, avec tout ce que cela implique, à rassembler des objets de valeur avec d’autres qui n’en ont pas. D’ailleurs, sans argent au départ, je n’étais pas susceptible de m’entourer de luxe et c’est pour cela que j’ai commencé à fréquenter les brocantes. Une peinture piège est la reconstitution d’une scène à un moment précis, à l’image des banquets que j’organise encore aujourd’hui. A la fin du repas, je choisis une table, mais si une seule personne souhaite conserver un objet qu’elle y a posé et ne pas le laisser immortaliser, j’en sélectionne une autre. »

Daniel Spoerri, Les Puces, 1961, objets et outils fixés sur une table en bois et isorel, 49,5 x 75 x 92 cm, Vitry-sur-Seine, coll. MacVal. ©Jacques FaujourDaniel Spoerri, Les Puces, 1961, objets et outils fixés sur une table en bois et isorel, 49,5 x 75 x 92 cm, Vitry-sur-Seine, coll. MacVal. ©Jacques Faujour

Daniel Spoerri, Puces1961, objets et outils fixés sur une table en bois et isorel, 49,5 x 75 x 92 cm, Vitry-sur-Seine, coll. MacVal. ©Jacques Faujour

En 1949, à Bâle, où sa mère a émigré pendant la Seconde Guerre mondiale, il rencontre Jean Tinguely et Eva Aeppli, dont il parle encore avec émotion. Dix ans plus tard, tous trois arrivent à Paris, où Daniel Spoerri s’associe aux futurs Nouveaux Réalistes, notamment Arman, François Dufrêne, Raymond Hains et Yves Klein, avec qui il a de nombreuses discussions. Il se défend cependant d’être un intellectuel et précise qu’il se laisse guider par son intuition, choisissant des séquences « qui lui plaisent ». Il fixe les temps et les moments de partage, utilisant souvent le terme « des expériences à vivre « . L’esthétique relationnelle, concept créé par l’historien de l’art Nicolas Bourriaud, aurait pu s’inspirer, en partie, de ses actions, mais il dit n’en avoir pas entendu parler…

L’art comme expérience à vivre

Les premiers repas orchestrés par Daniel Spoerri ont lieu en 1963, avant qu’il ouvre, en 1968, un restaurant à Düsseldorf, puis une Eat Art Gallery, toujours participative. Aujourd’hui, dans chacune de ses fondations (l’Ausstellungshaus Spoerri est situé dans la campagne viennoise, et Il Giardino di Daniel Spoerri à Seggiano, en Italie), l’artiste veille à ce qu’il y ait un restaurant pour accueillir le public. Parce qu’il ne cache pas qu’il a eu faim. Durant son enfance, il allait aider les agriculteurs à glaner quelques pommes de terre qu’il vendait au marché de Galati. Après que son père ait été assassiné lors d’un pogrom en 1941, il a dû emménager chez son oncle, où il a subi des privations. Sans oublier les toutes premières années à Paris. De là naît son rapport à la nourriture, littéralement vécu dans un mode de survie, et à l’accumulation. Dans ses œuvres, il ne faut voir aucune critique à l’égard de la société de consommation naissante, et en présence d’animaux ou d’ossements, aucune considération écologique. Daniel Spoerri dit : « qu’il résout des questions personnelles, dans lesquelles la mort est très présente ».

Daniel Spoerri, La Sainte Famille, 1986, extrait de la série « Trésor des pauvres » Centre Pompidou, Paris - Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle - © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN-Grand Palais/ Daniel Spoerri / Adagp, Paris, 2021Daniel Spoerri, La Sainte Famille, 1986, extrait de la série « Trésor des pauvres » Centre Pompidou, Paris - Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle - © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN-Grand Palais/ Daniel Spoerri / Adagp, Paris, 2021

Daniel Spoerri, La Sainte Famille1986, de la série « Trésor des pauvres », Centre Pompidou, Paris – Musée national d’art moderne – Centre de création industrielle – © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN-Grand Palais/ Daniel Spoerri / Adagp, Paris, 2021

Chassant des souvenirs potentiellement désastreux, il dévoile alors avec plaisir l’une de ses dernières trouvailles, un mini soulier en bronze. A côté se trouve un texte d’Alfred Jarry qu’il lit. Daniel Spoerri n’a reçu aucune formation artistique et est fier d’avoir acquis ses connaissances par lui-même. D’ailleurs, dans une pièce voisine, une impressionnante bibliothèque recouvrant deux pans de murs en témoigne. Mais si on attire son attention sur ce sujet, il assure qu’il ne cherche pas à tout comprendre et qu’il reste « un peu enfantin, comme ces jeunes qui ont toujours un tas de trucs dans les poches… « . Il aime vivre à Vienne, où il rencontre encore des artistes et se sent au cœur d’une Europe centrale composée de Roumains, comme lui, mais aussi de Polonais, de Serbes et de Slaves. S’il ne visite pas toutes les expositions qui lui sont consacrées, il a hâte de découvrir sa dernière exposition personnelle, au Mamac à Nice. D’autant que la salle 13 – reconstitution de l’endroit où il vécut à Paris de 1959 à 1965 – vient d’être léguée par la Fondation RNK, grâce à l’engagement d’Ingeborg Henze-Ketterer, et intégrera les collections permanentes de l’institution. Ce geste représente un bel hommage à celui qui fêtera ses 92 ans le 27 mars prochain.

Daniel Spoerri, Baby Park, 1961, « Peinture faux piège », assemblage d'objets sur panneau, 140 × 56 × 12 cm, Collection Peruz, Milan ©Daniel Spoerri / ADAGP, Paris, 2021Daniel Spoerri, Baby Park, 1961, « Peinture faux piège », assemblage d'objets sur panneau, 140 × 56 × 12 cm, Collection Peruz, Milan ©Daniel Spoerri / ADAGP, Paris, 2021

Daniel Spoerri, Le parc pour bébé1961, « Peinture faux piège », assemblage d’objets sur panneau, 140 × 56 × 12 cm, Collection Peruz, Milan ©Daniel Spoerri / ADAGP, Paris, 2021

«Le Théâtre des Objets de Daniel Spoerri»
Musée d’Art Moderne et Contemporain
Place Yves Klein, 06000 Nice
www.mamac-nice.org
Jusqu’au 27 mars 2022

 
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