« Il y a quelque chose de stimulant, et toujours d’intimidant pour moi, dans le fait d’exposer dans des lieux historiques. Notamment à la Conciergerie, à quelques mètres de la Sainte-Chapelle, qui est à mes yeux le monument des monuments en termes de spiritualité gothique. »
« Monuments des monuments », c’est en effet l’obsession desAhmet Ertuğ. Du 9 février au 20 mai, une belle mise en abîme a lieu sous les voûtes ancestrales de la Salle des Gens d’Armes de la Conciergerie. Si les murs de celui-ci ont été témoins des discussions sur les banquets royaux du Moyen Âge et des secrets des prisonniers de la Révolution, ils écoutent aujourd’hui les commentaires joyeux des curieux et passionnés d’histoire qui découvrent les monuments capturés par le photographe turc. .
Thierry Grillet, commissaire de l’exposition, auprès du Centre des monuments nationaux qui conserve, restaure et anime la Conciergerie, propose une sélection d’une vingtaine de tirages grand format de l’œuvre d’Ahmet Ertuğ et nous invite ainsi à une méditation contemplative et exceptionnelle. Entre France et Italie, à la manière du « Grand Tour », ce voyage initié par de jeunes aristocrates entre le XVIIe et le XIXe siècle, cet architecte de formation nous fait découvrir ou redécouvrir des lieux spirituels, des lieux d’étude, et de pouvoir, des temples. de savoir, ou encore des pièces et des façades aux détails excentriques. Ces photos sont disposées sur des chevalets autour des colonnes de la salle, et invitent le visiteur à déambuler en spirales ; une manière pour l’artiste de ne pas suivre « la carte géographique, mais [d’]obéir à la carte intérieure de ce qui fait, pour [s]ses yeux, la beauté d’une architecture. »
Ces chefs-d’œuvre classiques du patrimoine répondent tous aux trois principes établis par le théoricien Vitruve dans De l’Architecture : solidité, notamment par « le choix des meilleurs matériaux », utilité, « en aménageant les lieux de manière à ce qu’ils puissent être utilisés facilement », et beauté, « en donnant à l’œuvre une forme agréable et élégante qui flatte l’œil par le précision et beauté des proportions. » Et c’est surtout ce dernier point qu’Ahmet Ertuğ parvient à magnifier. Comme il l’explique lui-même : « Je marche dans les pas de l’architecte qui a construit ce que je vois sous mes yeux et dont plusieurs siècles me séparent. Je me demande où cet homme aurait pu se tenir pour admirer son travail et c’est là que j’ai installé mon appareil photo. Toute l’âme du lieu ressuscite dans mon image finale. »
Grâce à son œil expert en architecture et à son talent photographique, Ertuğ capture et fige ces bâtiments avec une véritable prouesse technique. Salle des Géants du Palazzo del Te, salle de la Mappemonde du Palais Farnèse, façade de la Basilique Saint-Marc à Venise, galerie de Sculptures du Palazzo Grimani, bibliothèque Laurentienne à Florence, siège de la Société Générale ou encore Sainte-Chapelle…. Tel un géomètre, il scrute chaque recoin de l’espace, analyse la perspective dans les moindres détails, cherche le point de fuite pour se positionner et retranscrire toute la puissance et la beauté de ces lieux. Ainsi, ces monuments se révèlent sous un nouveau jour, offrant une vision enveloppante que l’œil humain ne peut saisir seul. Grâce à l’utilisation de grands films négatifs et à des temps d’exposition prolongés, chaque détail, chaque contour est capturé, permettant au spectateur de s’immerger dans le lieu et de s’y attarder. Les inscriptions sur les colonnes, la rugosité des sols, la précision des sculptures… Autant d’éléments qui nous transportent au cœur même de la conception de ces lieux mythiques, révélant la finesse et le talent de leurs créateurs et de ceux qui transmettent cela. à nous. patrimoine commun.
Marine Aubenas
Ahmet Ertuğ : Voyage dans les pierres et la lumière
Jusqu’au 20 mai 2024
La conciergerie
2, boulevard du Palais
75001 Paris
www.paris-conciergerie.fr
