Marie-France Ouellet revient chaque jour sur les images de l’après-midi du 22 décembre 2023. La mère regardait sa fille de quatre ans qu’elle avait emmenée glisser avec son petit frère sur un terrain appartenant à la Ville de Dolbeau-Mistassini, à proximité du motel Chute des Pères. Elle a vu Eva-Rose se faire emporter par les eaux glaciales de la rivière Mistassibi après avoir traversé une partie de la clôture qui borde le plan d’eau.
Un an plus tard, elle a accepté de parler une dernière fois aux médias, se sentant redevable envers ceux qui ont soutenu son entourage. La rencontre a eu lieu dans un commerce de Dolbeau-Mistassini parce que Marie-France Ouellet souhaitait protéger la vie privée de sa famille. Le regard des autres lui pèse lorsqu’elle se rend dans les lieux publics.
Marie-France Ouellet est la seule à avoir été témoin des derniers instants de sa fille.
Chaque fois que j’y pense, cela revient à l’événement. C’est vraiment vicieux.
La famille traverse cette tempête en se soutenant mutuellement, même si le deuil est propre à chaque personne. Marie-France Ouellet, quant à elle, aspire à ne retenir que des souvenirs mémorables de sa fille aînée tout en tentant de se reconstruire.
Nous sommes tous dans la même situation, mais nous avons des réactions très différentes.
résume-t-elle.
La petite Eva-Rose Gauthier avait quatre ans.
Photo : Complexe funéraire Marc Leclerc
Il ne se passe pas un jour sans que l’on parle du petit. On y pense, on pleure souvent, confie-t-elle, la gorge serrée par l’émotion. C’est ennuyeux à dire, mais ça nous a rapproché, ça nous a fait comprendre des choses.
Certains jours sont plus difficiles que d’autres : le cinquième anniversaire d’Eva-Rose, Halloween et sa première année scolaire qui n’a jamais eu lieu. À la veille de Noël, Marie-France Ouellet anticipe les moments à venir.
Elle aurait aimé une belle robe qui tournait. Je me souviens de ma fille avec ses belles robes filantes, à quel point elle était heureuse. Forcément, je la reverrai dans la rivière. Tous les souvenirs sont ruinés par cet événement
» laisse-t-elle tomber, des sanglots dans la voix.
Ce que je trouve le plus difficile, c’est de ne pas acheter sa robe, de ne pas la rendre heureuse, de ne pas acheter ses cadeaux, de ne pas faire de photos de lutins.
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Marie-France Ouellet tente de reprendre une vie normale, mais la tâche est difficile.
Photo : - / Jonathan Lamothe
Il est - pour une seule diapositive
Eva-Rose avait accompagné sa grand-mère maternelle au travail toute la matinée du 22 décembre. Cette dernière avait suggéré à Marie-France Ouellet de sortir avec le petit qui avait été gentil.
Mon Dieu, ça ne m’a pas tenté. J’ai suggéré du bricolage
se souvient la mère.
La mère cherchait des options pour plaire à sa fille qui voulait glisser. La neige devenait rare. Elle a opté pour l’arrière du motel de la Chute des Pères, où elle glissait lorsqu’elle était plus jeune. La vue était magnifique dans cette région.
Ma fille ne s’est pas rendue [à l’eau]il y avait un chemin qui n’était pas enneigé, une vallée qui la ralentirait. Je m’attendais à ce qu’elle s’arrête à mi-chemin. Ce n’était pas dangereux. Trente centimètres plus loin, elle ne serait pas tombée dans la rivière
explique-t-elle.
Le premier faux pas d’Eva-Rose était son dernier.
J’aurais plutôt fait ces foutus bricolages.
Ce n’est pas le secteur qu’elle a choisi de délaisser qui ronge Marie-France Ouellet, mais plutôt les conséquences qui en ont découlé.
J’ai emporté ce petit bonheur dans la vie de tout le monde autour de moi.
La plus grande culpabilité que j’ai, c’est envers mon père. J’ai l’impression de lui avoir enlevé sa petite fille qui était tout pour lui. J’ai l’impression d’avoir enlevé ma fille à tous ceux que j’aime. J’ai l’impression de faire du mal aux gens. Je me sens comme une mauvaise personne à cause de ce qui s’est passé
dit-elle en larmes.
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La petite fille est tombée à l’eau après avoir accidentellement franchi la clôture.
Photo: - / Kenza Chafik
Je n’avais aucun pouvoir sur la clôture. Personne n’aurait vérifié la clôture, suppose Marie-France Ouellet. C’est là, c’est censé être entretenu, c’est censé servir à quelque chose.
La mère se souvient de chaque seconde du désastre. Sa mémoire n’a fait qu’effacer le trajet entre les berges de la rivière et l’hôpital, où elle a été emmenée, sous le choc.
La Ville mise en demeure
Au lendemain du drame, la fameuse clôture était réparée.
Depuis, la famille d’Eva-Rose Gauthier a mis en demeure la Ville de Dolbeau-Mistassini, le 26 février, pour réclamer une indemnisation. Le dossier, qui a été rapidement confié aux assureurs de la Municipalité, n’est toujours pas réglé. Le montant demandé par les demandeurs est inconnu.
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Le maire de Dolbeau-Mistassini, André Guy, s’est rendu sur les lieux du drame en compagnie de conseillers municipaux peu après les événements.
Photo: - / Kenza Chafik
Trouve ta fille
Après le drame, Marie-France Ouellet s’est demandée pendant cinq longs mois où pouvait se trouver sa fille ou si l’appel en pleine nuit annonçant la découverte de son corps allait la réveiller.
Nous l’avons tellement cherché. Nous allions au bord de la rivière. Mon père marchait le long des rochers à sa recherche sans jamais savoir où elle pouvait être.
Tout au long de la recherche, ce que je voulais, c’était tenir ma fille dans mes bras, la bercer, m’excuser, lui dire que je l’aime, lui chanter une dernière fois sa chanson.
Le corps d’Eva-Rose a été retrouvé le 19 mai dans le secteur Vauvert, au nord du Lac Saint-Jean. Ses funérailles ont été célébrées le 7 juin.
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Lors des recherches, une grue a été nécessaire pour mettre les bateaux à l’eau en raison du terrain accidenté près de la rivière.
Photo: - / Kenza Chafik
L’équipe du Complexe funéraire Marc Leclerc lui a permis de réaliser son souhait de revoir sa fille une dernière fois.
Je n’ai pas vu son visage, je ne l’ai pas touché peau à peau, mais j’ai pu la serrer dans mes bras, chanter sa chanson une dernière fois. Cela m’a vraiment apaisé de pouvoir toucher sa petite main à travers la couverture. Ma fille m’a été ramenée.
À partir de ce moment, j’ai recommencé à respirer. Avant cela, j’étais constamment en pilote automatique, je n’étais pas fonctionnel.
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La maman d’Éva-Rose souhaitait que le prénom de sa petite fille soit tatoué sur son bras.
Photo : - / Jonathan Lamothe
Une vie plus jamais normale
L’été s’est relativement bien passé pour l’éducateur spécialisé formé. C’était une bonne période avec une pente croissante
. Le mois d’août a mis un terme brutal à cette progression.
Ma fille rêvait d’aller à l’école. Cela faisait plus d’un an qu’elle nous parlait de ce qu’elle allait faire, de ce qu’elle allait apprendre. C’était une petite fille tellement intelligente. J’ai trouvé ça difficile. Cette année aurait été sa première rentrée scolaire.
Marie-France Ouellet apprend à vivre sans sa fille.
Ma vie ne sera plus jamais normale. Je resterai toujours la mère de la petite fille tombée dans la rivière.
C’est difficile d’être la mère que je veux être pour Arthur. Je manque d’énergie. C’est difficile, mais je fais ce que je peux
constate-t-elle avec une grande douleur.
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Pour Marie-France Ouellet, l’heure est à la reconstruction.
Photo : - / Jonathan Lamothe
Marie-France Ouellet se donne encore le droit de rêver. Elle souhaite agrandir sa famille sans jamais remplacer ni oublier Eva-Rose. Elle espère qu’Arthur et ses futurs enfants sauront à quel point leur sœur, désormais parmi les stars, était exceptionnelle.
Je continue de lui parler, de lui apprendre des choses. Il faut que ça continue, si ça s’arrête complètement, je n’y arriverai pas
conclut la mère.
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